'^. c: c c f r c c IL C V L i A c X rc c ^ c c c c c c C x C vr r v| CI J c C<. c ce c i C;( <: c.c( C C.CC \ C Ci C c ce c ce c C C ccc ce < .ce ( c c e c< < c ■ ' c <: ( ( ( ce < '^'X c c, ^ (^ C ((k' -ACC te v( tr caC e e ce ce (C a CH'f.c c c cr . frc . ^ et . ce C C et rc. v'' C c c c ' c '^ ^' ï 4C ■ ■^ Qk ' ( c',r. ;(' C: ^;(i^^ ^iç ce <'C- iTt ce iCn- -ce ce tCc.À <<:. C e ■•< •C"- ((X ce C(( c ^c ce C O ^ ' cc^ c cc> '' ce i\ c ce . ce ' ■ ''Ci •■'itC cr^ ^c: - ( cc-^-cccc CEI ce c'rc^tcctC c < ; ^' ■' 'C^^ ' (C(( i A : .ce ra ce- (ïCeccoiE : r :(x:m€ cml. : c^ me € ( C^^ (CKOl Ci^ ^ r^c" câcc ce c_ Ç-(.c cim^cac c iCCC^CvC C" (CTcc^sZvC t 4r^e(i; ces:: rcc coc ' crxrKcc: ^ C7CCCCCC ■. ^ cicorccc c: crc ccc ^.""c: ccrc'^ c^ v' c: vocc c ^ '^ c: 'ccc^^' c |«- C>WlCv'.C ^^i'CC. c: (C C ce ^ ce ce t .cc<<- rv' CCC C ccc c r. ccr< (C '- '.('■ce <^r . •(^c^ c < u^ccc'' e ' (î:i_ • c ^ e ^ (CCC ce C vC C ' ce ■c: < ce > d < cce^ c: s à San-Carli). J'étais ilu nombre, mais je ne connaissais de lui (jue son nom. l'n soir, en entrant dans le salon plein de foule de la duchesse d'Albe, un beau jeune honmie au visage mâle, à l'u'il mélanco- lique, mais ferme comme celui d"un homme qui a la conscience que sa tristesse est un génie, s'avança vers moi sans être pré- senté. Il me tendit une main fraternelle, avec un geste à la fois hardi et bienveillant; puis, d'une voix sonore, concentrée, tra- gique, mais avec un accent légèrement transalpin, il me récita quelques strophes de la Méditation intitulée le Désespoir, ([ui venait de paraître à Paris, et qui Unit ainsi : Jusqu'à ce fjue la mort, ouvrant son aile immense, Knyluulisso à jamais dans l'éternel silence L'éternelle duuleur ! puis il se nomma. Je fus bien fier d'entendre mes propres accents dans la bouche de celui qui remplissait des siens mon oreille et l'oreille de l'Europe. Nous causâmes; il me confia ([ne ses sublimes ou- vrages, payés seulement d'enthousiasme sur les théâtres de l'Ita- lie, laissaient sa mère et lui dans un état de fortune insuffisant et précaire. Je l'engageai à aller à Paris et à Londres, centres du monde artistique , d'où sa renommée retentirait bien mieu\ que de l'extrémité de l'Italie. Malheureusement il m'écouta. Je me reprocherai toujours ce conseil : c'était l'engager à sacrifier aux barbares. Il y trouva la fortune, il y popularisa son génie; mais il altéra peut-être ce génie par la nécessité de complaire au goût bien plus dramatique que musical de la France. Les vagues de la mer de Xaples, les brises des pins sur les collines de Rome, les pécheurs de Sorrente ou de Gai'te, les jeunes filles des îles et les bergers des montagnes baignées du soleil de la Méditerra- née, chantent bien autrement que les vagues de la Seine, les boues de Paris, les pluies de Londres. C'était enlever Tarbre à son sol, l'insecte au soleil de son bourdonnement, le génie local à son inspiration naturelle et continue. Ce conseil a coûté, je n'en doute pas, de bien suaves mélodies au monde des sons. ET RELIGIECSES. 13 Rossini, comme le rossignol, a cessé de chanter dans son été; il s"est retiré dans sa force et dans sa gloire; il a toujours monté, et n"a pas voulu descendre : mais qui sait combien il avait en- core à monter? Il y a de la sagesse , mais il y a aussi de la re- cherche dans ce repos prématuré. L'instrument de Dieu doit ré- sonner jusqu'à ce qu'Use brise; ce n'est pas à lui de dire : « C'est assez! » c'est au Maître divin. Maintenant Rossini vit heureux, riche et indifférent, à Bo- logne; et moi j'essuie encore les ondées, les orages elles pous- sières du chemin de la vie 1 S'il lit jamais ces lignes, qu'il donne un souvenir au jeune étranger du salon de la duchesse d'Albe, comme j'envoie un perpétuel hommage au plus délicieux génie du temps. II MILLY ou LA TERRE NATALE II iMILLY LA TERRE NATALE Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie? Dans son brillant exil mon cœur en a frémi ; 11 résonne de loin dans mon àme attendrie, Comme les pas connus ou la voix d'un ami. Montagnes que voilait le brouillard de Tautomne. Vallons que tapissait le givre du matin, Saules dont Témondeur elTcuillait la couronne. Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain, ŒC VR. COMPL. — m. 18 HAllMOMES POETIQUES Murs noircis par les ans, cotcanx, sentier rapide, Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide, Kt, leur urne à la main, s'entretenaient du jour; Chaumière où du foyer étincelait la flamme, Toit que le pèlerin aimait à voir fumer, Objets inanimés, avez-vous donc une àme Oui s'attache à notre àme et la force d'aimer? .l'ai vu des cieux d'azur, où la nuit est sans voiles, Dorés jusqu'au matin sous les pieds des étoiles, Arrondir sur mon front, comme un arc infini, Leur dôme de cristal qu'aucun vent n'a terni; J'ai vu des monts voilés de citrons et d'olives Réflécliir dans les eaux leurs ombres fugitives, Et dans leurs frais vallons, au souffle du zéphyr, Bercer sur l'épi mur le cop prêt à mûrir ; Sur des bords où les mers ont à peine un murmure, j'ai vu des flots brillants Tonduleuse ceinture Presser et relâcher dans l'azur de ses plis De leurs caps dentelés les contours assouplis, S'étendre dans le golfe en nappes de lumière. Blanchir lécueil fumant de gerbes de poussière, Porter dans le lointain d'un occident vermeil Des îles qui semblaient le lit d'or du soleil. Ou, s' ouvrant devant moi sans rideau, sans limite. Me montrer l'infini que le mystère habite; J'ai vu ces fiers sommets, pyramides des airs, Où l'été repliait le manteau dos hivers, Jusqu'au sein des vallons descendant par étages. Entrecouper leurs flancs de hameaux et d'ombrages. ET RELIGIEUSES. 19 De pics et de rochers ici se hérisser, En pentes de gazon pUis loin fuir et glisser, Lancer en arcs fumants, avec un bruit de foudre, Leurs torrents en écume et leurs fleuves en poudre. Sur leurs flancs éclairés, obscurcis tour à tour. Former des vagues d'ombre et des îles de jour. Creuser de frais vallons que la pensée adore, Remonter, redescendre, et remonter encore. Puis des derniers degrés de leurs vastes remparts. A travers les sapins et les chênes épars. Dans le miroir des lacs qui dorment sous leur ombre Jeter leurs reflets verts ou leur image sombre. Et sur le tiède azur de ces limpides eaux Faire onduler leur neige et flotter leurs coteaux ; J'ai visité ces bords et ce divin asile Qu'a choisis pour dormir l'ombre du doux Virgile, €es champs que la Sibylle à ses yeux déroula, Et Cume, et l'Elysée : et mon cœur n'e^t pas là!... Mais il est sur la terre une montagne aride Qui ne porte en ses flancs ni bois ni flot limpide. Dont par l'effort des ans rhumble sommet miné. Et sous son propre poids jour par jour incliné, Dépouillé de son sol fuyant dans les ravines. Garde à peine un buis sec qui montre ses racines, Et se couvre partout de rocs prêts à crouler, Que sous son pied léger le chevreau fait rouler. Ces débris, par leur chute, ont formé d'âge en àgc Un coteau qui décroît, et, d'étage en étage. Porte, à l'abri des murs dont ils sont étayés, Quelques avares champs de nos sueurs payés. Quelques ceps dont les bras, cherchant en vain l'érable, Serpentent sur la terre ou ramper.t sur le sable, 20 HARMONIES POÉTIQUES (Quelques buissofi? de ronce, où Tenfant des lianieaux Cueille un fruit oublié, qu'il dispute aux oiscciux; (.lii la maigre brebis des chaumières voisines Broute, en laissant sa laine en tribut aux épines: Lieux que ni le doux bruit des eaux pendant Tété. Ni le frémissement du feuillage agité, Ni riiynnic aérien du rossignol qui veille. Ne rappellent au cœur, n'enciiantent pour loreille; Mais que, sous les rayons d'un ciel toujours d'airain, La cigale assourdit de son cri souterrain. Il est dans ces déserts un toit rusti({ue et sombre Que la montagne seule abrite de son ombre, Kt dont les murs, battus par la pluie et les vents, Portent leur âge écrit sur la mousse des ans. Sur le seuil désuni de trois marches de pierre, Le hasard a planté les racines d'un lierre Qui, redoublant cent fois ses nœuds entrelacés, Cache l'affront du temps sous ses bras élancés , El, recourbant en ai"c sa volute rustique, Fait le seul ornemejit du champêtre porti(jue. Un jardin qui descend au revers d'un coteau , Y présente au couchant son sable altéré d'eau; La pierre sans ciment, que l'hiver a noircie, Un borne tristement l'enceinte rétrécic; La terre, que la bêche ouvre à chaque saison, Y montre à nu son sein sans ombre et sans gazon ; Ni tapis émaillés, ni cintres de verdure. Ni ruisseau sous des bois, ni fraîcheur, ni murmure: Seulement sept tilleuls par le soc oubliés, Protégeant un peu d'herbe étendue à leurs i)i(,'ds. Y versent dans l'automne une ombre tiède et rare, D'autant plus douce au front son-, un cii'l |)lus avare; Arbres dont le sommeil et des songes si beaux Dans mon heureuse enfance ha!)ilaient les rameaux l ET RELIGIEUSES. 21 Dans le champêtre enclos qui soupire après Tonde, Un puits dans le rocher cache son eau profonde, Où le vieillard qui puise , après de longs efforts Dépose en gémissant son urne sur les bords; Une aire où le tléau sur l'argile étendue Bat à coups cadencés la gerbe répandue, Où la blanche colombe et T humble passereau Se disputent l'épi qu'oublia le râteau; Et sur la terre épars des instruments rustiques, Des jougs rompus, des chars dormant sous les portiques. Des essieux dont l'ornière a brisé les rayons. Et des socs émoussés qu'ont usés les sillons. Rien n'y console l'œil de sa prison stérile. Ni les dômes dorés d'une superbe ville, Ni le chemin poudreux, ni le fleuve lointain, Ni les toits blanchissants aux clartés du matin : Seulement, répandus de distance en distance, De sauvages abris qu'habite l'indigence. Le long d'étroits sentiers en désordre semés. Montrent leur toit de chaume et leurs murs enfumés. Où le vieillard, assis au bord de sa demeure. Dans son berceau de jonc endort l'enfant qui pleure; Enfin un sol sans ombre et des cieux sans couleur. Et des vallons sans onde! — Et c'est là qu'est mon cœur! Ce sont là les séjours, les sites, les rivages Dont mon âme attendrie évoque les images, Et dont pendant les nuits mes songes les plus beaux, Pour enchanter mes yeux , composent leurs tableaux ! Là chaque heure du jour, chaque aspect des montagnes, Chaque son qui le soir s'élève des campagnes, 22 IIAK.MOMKS l'OETlnl'KS (Ihaqiic mois qui revient, comme un pas des saisons, Reverdir ou ianer les bois ou les gazons; La lune qui décroît et s'arrondit dans l'ombre, L'étoile qui gravit sur la colline sombre, Les troupeaux, des hauts lieux chassés par les frimas, Des coteaux aux vallons descendant pas à pas, Le vent, Tépine en fleurs, l'herbe verte ou flétrie, Le soc dans le sillon, l'onde dans la prairie. Tout m'y parle une langue aux intimes accents. Dont les mots entendus dans l'àme et dans les sens Sont des bruits, des parfums, des foudres, des orages. Des rochers, des torrents, et ces douces images. Et ces vieux souvenirs dormant au fond de nous, Qu'un site nous conserve et qu'il nous rend plus doux. Là mon cœur en tout lieu se retrouve lui-môme; Tout s'y souvient de moi, tout m'y connaît, tout m'aime! Mon œil trouve un ami dans tout cet horizon ; Chaque arbre a son histoire, et chafjuo pierre un nom. Qu'importe que ce nom, comme Tlièbe ou Palmyre, ^'e nous rappelle pas les fastes d'un empire, Le sang humain versé pour le choix des tyrans. Ou ces fléaux de Dieu que l'homme appelle grands? Ce site où la pensée a rattaché sa trame. Ces lieux encor tout pleins des fastes de notre âme, Sont aussi grands pour nous que ces champs du destin Où naquit, où tomba quelque empire incertain: Rien n'est vil! rien n'est grand! l'âme en est la mesure. Un cœur palpite au nom de quelque humble masure. Et sous les monuments des héros et des dieux Le pasteur passe et sifile en détournant les yeux. Voilà le banc rustique où s'asseyait mon père, La salle où résonnait sa voix mâle et sévère , ET RELIGIEUSES. 23 Quand les pasteurs assis sur leurs socs renversés Lui comptaient les sillons par chaque heure tracés, Ou qu'encor palpitant des scènes de sa gloire, De l'échafaud des rois il nous disait l'histoire, Et, plein du grand combat qu'il avait combattu, En racontant sa vie enseignait la vertu! \'"oilà la place vide où ma mère à toute heure Au plus léger soupir sortait de sa demeure, Et, nous faisant porter ou la laine ou le pain, Revêtait l'indigence ou nourrissait la faim; Voilà les toits de chaume où sa main attentive Versait sur la blessure ou le miel ou l'olive. Ouvrait près du chevet des vieillards expirants Ce livre où l'espérance est permise aux mourants. Recueillait leurs soupirs sur leur bouche oppressée. Faisait tourner vers Dieu leur dernière pensée , Et, tenant par la main les plus jeunes de nous, A la veuve, à l'enfant, qui tombaient à genoux. Disait, en essuyant les pleurs de leurs paupières: « Je vous donne un peu d'or, rendez-leur vos prières I » Voilà le seuil, à l'ombre, où son pied nous berçait, La branche du figuier que sa main abaissait ; Voici l'étroit sentier où, quand l'airain sonore Dans le temple lointain vibrait avec l'aurore. Nous montions sur sa trace à l'autel du Seigneur Offrir deux purs encens, innocence et bonheur! C'est ici que sa voix pieuse et solennelle Nous expli({uait un Dieu que nous sentions en elle. Et, nous montrant l'épi dans son germe enfermé, La grappe distillant son breuvage embaumé, La génisse en lait pur changeant le suc des planies. Le rocher qui s'entr'ouvre aux sources ruisselantes, La laine des brebis dérobée aux rameaux Sei'vant à tapisser les doux nids des oiseaux , ■2^ HARMONIES POETIQUES \-A le soleil exact à ses douze donioures Partageant aux climats les saisons et les heures, Et ces astres des nuits que Dieu seul peut compter, Mondes où la pensée ose à peine monter, Nous enseignait la loi par la reconnaissance, Kt faisait admirer à notre sini])le enfance ('.(Miiment l'astre et l'insecte invisible à nos yeux Avaient, ainsi que nous, leur père dans les cieux! <^es bruyères, ces champs, ces vignes, ces prairies. Ont tous leurs souvenirs et leurs ombres chéries. I.à mes sœurs folâtraient, et le vent dans leurs jeux Les suivait en jouant avec leurs blonds cheveux; Là, guidant les bergers aux sommets des collines, .rallumais des bûchers de bois mort et d'épines, E\ uies yeux, suspendus aux flammes du foyer, Passaient heure après heui'e à les voir ondoyer. Là, contre la fureur de Taciuilon rapide. Le saule caverneux nous prêtait son tronc vide, Kt j'écoutais siffler dans son feuillage mort Des brises dont mon âme a retenu Taccord. Voilà le peuplier qui, penché sur l'abîme. Dans la saison des nids nous berçait sur sa cime, Le ruisseau dans les prés dont les dormantes eaux Submergeaient lentement nos barques de roseaux. Le cîiène, le rocher, le moulin monotone, Kt \r iiiiu- au soleil où, dans les jours d'automne. Je venais sur la pierre, assis près des vieillards. Suivre le jojr (]ui meurt de mes derniers regards. Tout est encore debout, tout renaît à sa ])lace; De nos pas sur le sable on suit encor la trace ; Rien ne manque à ces lieux qu'un cœur pour en jouir Mais, hélas! Tlieure baisse, et va s'évanouir! ET RELIGIEUSES. 25 La \ie a dispersé, comme l'épi sur l'aire, Loin du champ paternel les enfants et la mère, Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts D'où l'hirondelle a fui pendant de longs hivers. Déjà l'herbe qui croît sur les dalles antiques Efface autour des murs les sentiers domestiques, Et le lierre, flottant comme un manteau de deuil. Couvre à demi la porte et rampe sur le seuil ; Bientôt peut-être... — Écarte, ô mon Dieu, ce présage! Bientôt un étranger, inconnu du village. Viendra, l'or à la main, s'emparer de ces lieux, Qu'habite encor pour nous l'ombre de nos aïeux, Et d'où nos souvenirs des berceaux et des tombes S'enfuiront à sa voix, comme un nid de colombes Dont la hache a fauché l'arbre dans les forêts, Et qui ne savent plus où se poser après ! Ne permets pas , Seigneur, ce deuil et cet outrage ! Ne souffre pas, mon Dieu, que notre humble héritage Passe de mains en mains, troqué comme un vil prix, Comme le toit du vice ou le champ des proscrits ; Qu'un avide étranger vienne d'un pied superbe Fouler l'humble sillon de nos berceaux sur l'herbe. Dépouiller l'orphelin, grossir, compter son or Aux lieux où l'indigence avait seule un trésor. Et blasphémer ton nom sous ces mêmes portiques Où ma mère à nos voix enseignait des cantiques ! Ah ! que plutôt cent fois, aux vents abandonné. Le toit pende en lambeaux sur le mur incliné ; Que les fleurs du tombeau, les mauves, les épines, Sur les parvis brisés germent dans les ruines ; Que le lézard dormant s'y réchauffe au soleil , Que Philomèle y chante aux heures du sommeil. 26 llAll.MOMES POETlnlES Oiic riuimblc passereau, les colombes fidèles, V rasseinbleiit en paix leurs petits sous leurs ailes, Kt que l'oiseau du ciel vienne bâtir son nid Aux lieux oîi rinnocence eut autrefois son lit 1. Ah I si 11' nombre écrit sous l'œil des destinées Jus.ju'aux cheveux blanchis prolonge mes années, Paissé-je, heureux vieillard, y voir baisser mes jours Parmi ces monuments de mes simples amours ! Et quand ces toits bénis et ces tristes décombres >'c seront plus pour moi peuplés que par des ombres, Y retrouver au moins dans les noms, dans les lieux, Tant d'êtres adorés disjiarus de mes yeux ! Et vous (jui survivrez à ma cendre glacée, Si vous voulez charmer ma dernière pensée, l'n jour, élevez-moi... Non, ne m'élevez rien! Mais, près des lieux où dort l'humble espoir du chrétien. Creusez-moi dans ces champs la couche que j'envie. Et ce dernier sillon oii germe une autre vie ! Étendez sur ma tète un lit d'herbes des champs Oue l'agneau du hameau broute encore au printemps. Où l'oiseau dont mes sœurs ont peuplé ces asiles Vienne aimer et chanter durant mes nuits tranquilles. Là, pour marquer la place où vous m'allez coucher, Roulez de la montagne un fragment de rocher ; Que nul ciseau surtout ne le taille, et n'efface La mousse des vieux jours qui l)runit sa surface, Et d'hiver en hiver incrustée à ses flancs, Donne en lettre vivante une date à ses ans ! Point de siècle ou de nom sur cette agreste page I Devant l'éternité tout siècle est du même âge, Et celui dont la voix réveille le trépas Au défaut d'un vain nom ne nous oubliera pas! ET RELIGIEUSES. 27 Là, sous des cieux connus, sous les collines sombres Qui couvrirent jadis mon berceau de leurs ombres, Plus près du sol natal, de l'air et du soleil, D'un sommeil plus léger j'attendrai le réveil ! Là ma cendre, mêlée à la terre qui m'aime, Retrouvera la vie avant mon esprit même, Verdira dans les prés, fleurira dans les fleurs. Boira des nuits d'été les parfums et les pleurs ; Et quand du jour sans soir la première étincelle Viendra m'y réveiller pour l'aurore éternelle, En ouvrant mes regards je reverrai des lieux Adorés de mon cœur et connus de mes yeux , Les pierres du hameau, le clocher, la montagne, Le lit sec du torrent et l'aride campagne ; Et, rassemblant de l'œil tous les êtres chéris Dont l'ombre près de moi dormait sous ces débris, Avec des sœurs, un père et l'âme d'une mère, Ne laissant plus de cendre en dépôt à la terre, Comme le passager qui des vagues descend Jette encore au navire un œil reconnaissant, Nos voix diront ensemble à ces lieux pleins de charmes L'adieu, le seul adieu qui n'aura point de larmes! COMMENTAIRE DE LA UEl XlEMt IIARMOMK C"cst dans les Confidences qu'on retrouvera tout ce qui con- cerne cette Harmonie. J'y ai oublié seulement un trait. Le voici; il n"a d'intérêt qu'en famille. Quand j'écrivis cette Harmonie, j'étais en Italie. Je l'envoyai ù ma mère : elle vit que j'avais parlé d'un lierre qui tapissait, au nord, le mur humide et froid de la maison. C'était une erreur, le lierre n'existait pas; il n'y avait que de la mousse, des vignes vierges, des pariétaires. Ma mère, qui était la sincérité jusqu'au scrupule, souffrit de ce petit mensonge poétique. Elle ne voulut fias que son fils eût menti, même pour donner une couleur de plus à un tableau imaginaire ; elle planta de ses propres mains un lierre à l'endroit où il manquait. Sans doute que Dieu bénil ce petit plant et (juc les pluies d'hiver l'arrosèrent , car. en peu d'années, il habilla complètement le mur. Ma mère mourut; !<■ lierre grandit toujours; et maintenant il est devenu si vigoureux, si ramifié, si touffu, si usurpateur de toute la maison, qu'il fait une corniche verte etflotlantc au toit, et qu'il gène 1rs persicnnes 30 HARMONIES rGHTIQUES ET UELIGIEISES. «In r.Mt'- (lu norii. Eos «'-Irangors cl les |iaysans on coupent parfois dos branches, on inômoiro ilo ma nii-rc; mais il on repousse suffi- samment pour couvrir tout un clianip dos morts. En ôcrivant cette noie, je no imis m"om[iochor do faire un triste retour sur les vicissitudes de la vie. Le lierre restera altacliA à cotte maison; et les enfants seront forcés delà quitter pour jamais. Milly sera sans doute vendu dans pou de jours. Chose l'-trango! le jour où j"écris cette note (24 octobre 1849), j'ouvre un journal, et j'y lis ceci : « La Porte Ottomane fait une » concession immense d(^ torram en Asie à M. de Lamartine, )- pour un établissement agricole. » Si cela est vrai, j'irai; j'y bâtirai un toit, je rappellerai Milly; j'y emporterai un rejet de ce lierre, je le planterai dans ce sol, et je retrouverai dans ses feuilles cette sève des larmes du cœur de ma mère, le faux SimcU de Virgile I Il INVOCATION DU POETE m INVOGATIOX DU POETE Au nom sacré du Père, et du Fils, son image, Descends, esprit des deux, esprit qui d'âge en âgç, Des harpes de Jessé chérissant les concerts, Par la voix de la lyre instruisis l'univers! Soit que, te balançant sur l'aile des tempêtes, Tu lances tes éclairs dans les yeux des prophètes; Soit qu'aux bords du Jourdain, à l'ombre du palmier, Tu viennes sous les traits du tranquille ramier, Te posant sur le pied des lyres immortelles, Sous leur soufilc sacré laisser frémir tes ailes; ŒUVH. COUPL. — III. •} 34 HARMONIES POETIQUES Soit qu en langues de feu, dans les airs suspendu, Sur le front de Tapôtre en secret descendu. Tu perces tout à coup, comme un jour sans aurore, De tes rayons divins son cœur qui doute encore. Descends, je dois chanter! Mais (juc puis-je sans toi,. 0 langue de l'esprit? Parle toi-même en moi! Chante ces grands secrets que ton œil seul éclaire, L'enfance, la vieillesse et la fni de la terre. Et les destins de l'âme, et cet arrêt fatal Qui va finir la lutte et du bien et du mal ! Qu'importe à tes regards la distance ou l'espace? Au signe de tes yeux le temps naît ou s'eflace. Et l'avenir tremblant, à ta voix enfanté, Passe derrière toi comme un siècle compté. Je tremble en commençant que ma bouche profane, De ton divin délire indigne ou faible organe, rs"altèi"e en les rendant tes célestes accords. J'ai préparé pourtant et mon âme et mon corps; Et, pour orner l'argile où tu devais descendre. J'ai jeûné, j'ai prié, j'ai veillé sous la cendre. Tant que les songes faux par ton souffle écartés Ont bercé ma jeunesse au sein des vanités, Et qu'encore amoureux d'une molle harmonie. Par l'ombre du péché mon âme fut ternie, Attendant dans l' effroi l'heure de son retour. Désirant et tremblant de voir naître le jour. Tout plein du grand objet que ta grâce m'inspire, De peur de la souiller j'ai respecté ma lyre. Mais maintenant qu'assis au milieu de mes jours J'en vois une moitié s'éclipser pour toujours. Et l'autre, se hâtant sous le temps qui la presse,. De ses derniers festons dépouiller ma jeunesse, 11 est temps! hâtons-nous de ravir à la mort Le chant mystérieux qui sur ma harpe dort! ET RELIGIEUSES. 35 Que le feu dont la flamme éclaire et purifie Le charbon qui brûla les lèvres d'Isaïe, D'une bouche mortelle épure les accents Et que nos chants vers Dieu montent comme l'encens! IV LE CRI DE LAME IV LE CRI DE L'AME <}uand le souffle divin qui flotte sur le monde S'arrête sur mon âme ouverte au moindre fent. Et la fait tout à coup frissonner comme mie onde Où le cygne s'abat dans un cercle mouvant; Quand mon regard se plonge au rayonnant abîme Où luisent ces trésors du riche firmament, Ces perles de la nuit que son souffle ranime, Des sentiers du Seigneur innombrable ornement; 40 HARMONIES POETIQUES Quand crun ciOl de printemps l'aurore qui ruisselle Se brise et rejaillit en gerbes de chaleur. Que cliaque atome d'air roule son étincelle, Et que tout sous mes pas devient lumière ou flcui'; Quand tout chante ou gazouille, ou roucoule ou bourdonne, Que d'immortalité tout semble se nourrir, Et que rhomme, ébloui de cet air qui rayonne, Croit qu'un jour si vivant ne pourra plus mourir; Que je roule en mon sein mille pensers sublimes, Et que mon faible esprit, ne pouvant les porter, S'arrête en frissonnant sur les derniers abîmes , Et, faute d'un appui, va s'y précipiter; Quand, dans le ciel d'amour où mon âme est ravie, Je presse sur mon cœur un fantôme adoré. Et que je clierche en vain des paroles de vie Pour l'embraser du feu dont je suis dévoré; Quand je sens qu'un soupir de mon âme oppressée Pourrait créef un monde en son brûlant essor, Que ma vie userait le temps, que ma pensée En remplissant le ciel déborderait cncor : Jéhovah! Jéhovah, ton nom seul me soulage. Il est le seul écho qui réponde à mon cœur ; Ou plutôt ces élans, ces transports sans langage, Sont encore un écho de ta propre grandeur. ET RELIGIEUSES. 41 Tu ne dors pas .souvent dans mon sein, nom sublime I Tu ne dors pas souvent sur mes lèvres de feu : Mais chaque impression t'y trouve et t'y ranime, Et le cri de mon âme est toujours toi, mon Dieu! HYMNE AU CHRIST HYMNE AU CHRIST A M. MANZONI Verbe incréé, source féconde De justice et de liberté ; Parole qui guéris le monde, Rayon vivant de vérité, Est-il vrai que ta voix d'âge en âge entendue, Pareille au bruit lointain qui meurt dans l'étendue, N'a plus pour nous guider que des sons impuissants; Et qu'une voix plus souveraine, La voix de la parole humaine. Étouffe c\ jamais tes accents? 46 HARMONIES POÉTIQUES Mais la raison c'est toi; mais cette raison même, Qu'était-ellc avant l'heure oii tu vins réclaircr? Nuage, obscurité, doute, combat, système. Flambeau que notre orgueil portait pour s'égarer! Le monde n'était que ténèbres, Les doctrines sans foi luttaient comme des flots. Et, trompé, détrompé de leurs clartés funèbres, L'esprit humain flottait noyé dans ce chaos; L'espérance ou la peur, au gré de leurs caprices. Ravageaient tour à tour et repeuplaient les cieux ; La fourbe s'engraissait du sang des sacrifices, Mille dieux attestaient l'ignorance des dieux. Fouillez les cendres de Palmyre, Fouillez les limons d'Osiris Et ces panthéons où respire L'ombre fétide encor de tous ces dieux proscrits; Tirez de la fange ou de l'herbe, Tirez ces dieux moulés, fondus, taillés, pétris. Ces monstres mutilés, ces symboles flétris. Et dites ce qu'était cette raison superbe Quand elle adorait ces débris! Ne sachant plus nommer les exploits ou les crimes, Les noms tombaient du sort comme au hasard jetés; La gloire suffisait aux âmes magnanimes. Et les vertus les plus sublimes N'étaient que des vices dorés. Tu parais! ton verbe vole, Comme autrefois la parole ET RELIGIEUSES. 47 Qu'entendit le noir chaos De la nuit tira l'aurore, Des cieux sépara les flots, Et du nombre fit éclore L'harmonie et le repos; Ta parole créatrice Sépare vertus et vice. Mensonges et vérité; Le maître apprend la justice , L'esclave la liberté, L'indigent le sacrifice. Le riche la charité! Un Dieu créateur et père. En qui l'innocence espère, S'abaisse jusqu'aux mortels; La prière, qu'il appelle. S'élève à lui libre et belle. Sans jamais souiller son aile Des holocaustes cruels. Nos iniquités, nos crimes, IN os désirs illégitimes. Voilà les seules victimes Qu'on immole à ses autels ! L'immortalité se lève. Et brille au delà des temps; L'espérance, divin rêve, De l'exil que l'homme achève Abrège les courts instants; L'amour céleste soulève Nos fardeaux les plus pesants; Le siècle éternel commence, Le juste a sa conscience, Le remords son innocence; L'humble foi fait la science 48 HARMONIES POÉTIQUES Dca sages et des enfants; Kt riiommc, qu'elle console, Dans cette seule parole Se repose deux mille ans! Et l'esprit, éclairé par tes lois immortelles, Dans la sphère morale où tu guidas nos yeux Découvrit tout à coup plus de vertus nouvelles Que^ le jour oîi d'IIerschel le verre audacieux Porta l'œil étonné dans les célestes routes, Le regard qui des nuits interroge les voûtes Ne vit d'astres nouveaux pulluler dans les cieux! Non, jamais de ces feux qui roulent sur nos têtes. Jamais de ce Sina qu'embrasaient les tempêtes, Jamais de cet Iloreb, trône de Jéhova, Aux yeux des siècles n'éclata Un foyer de clarté plus vive et plus féconde Que cette vérité qui jaillit sur le monde. Des collines de (iolgotha! I.'astre qu'à ton berceau le mage vit éclore, L'étoile (lui guida les bergers de l'aurore Vers le Dieu couronné d'indigence et d'affront, Répandit sur la terre un joui- qui luit encore, Ouc chaque âge à son tour reçoit, bénit, adore, Oui dans la nuit des temps jamais ne s'évapore. Et ne s'éteindra pas quand les cieux s'éteindront! ET RELIGIEUSES. 4,, Ils disent cependant que cet astre se voile; Que les clartés du siècle ont vaincu celte étoile; Que ce monde vieilli n'a plus besoin de toi; Que la raison est seule immortelle et divine;'") Que la rouille des temps a i-ongé ta doctrine T Et que de jour en jour de ton temple en ruin'e Quelque pierre, en tombant, déi-acine ta foi. 0 Christ, il est trop vrai, ton éclipse est bien sombre! La terre sur ton astre a projeté son ombre ; Nous marchons dans un siècle où tout tombe à grand bruit : Vingt siècles écroulés y mêlent leur poussière. Fables et vérités, ténèbres et lumière Flottent confusément devant notre paupière, Et l'un dit : « C'est le jour! » et l'autre : « C'est la nuit! » Comme un rayon du ciel qui perce les nuages, En traversant la fange et la nuit des vieux âges, Ta parole a subi nos profanations : L'œil impur des mortels souillerait le jour même ! L'imposture a terni la vérité suprême. Et les tyrans, prenant ta foi pour diadème, Ont doré de ton nom le joug des nations ! Mais, pareille à l'éclair qui, tombant sur la terre, Remonte au firmament sans qu'une ombre l'altère. L'homme n'a pu souiller ta loi de vérité, y L'ignorance a terni tes lumières sublimes, La haine a confondu tes vertus et nos crimes, ŒLVR, COMI'I.. — III. 50 IlAininMES POETIQUES Les naltfurs aux tyrans ont vendu tes maximes Elle est cncor justice, amour et liberté! Et Taveugle raison demande quels miracles De cette loi vieillie attestent les oracles! \h! le miracle est là, permanent et sans fin, Que cette vérité par ces flots d'impostures, Que ce flambeau brillant ]iar tant d'ombres obscures, Oue ce verbe incrcé, par nos lèvres imjiures Ait passé deux mille ans, et soit encor divin! Oue d'ombres! dites- vous. — Mais, ô flambeau des âges. Tu n'avais pas promis des astres sans nuages! L'œil humain n'est pas fait pour la pure clarté : Point de jour ici-bas qu'un peu d'ombre n'altère; De sa propre splendeur Dieu se voile à la terre, Et ce n'est qu'à travers la nuit et le mystère Que l'œil peut voir le jour, l'âme la vérité! Un siècle naît et parle, un cri d'espoir s'élève; Le genre humain déçu voit lutter rêve et rêve, Système, opinions, dogmes, flux et reflux; Cent ans passent; le Temps, comme un nuage vide. Les roule avec l'oubli sous son aile rapide. Quand il a balayé cette poussière aride. Que reste-t-il du siècle? Un mensonge de plus! Mais l'ère où tu naquis, toujours, toujours nouvelle, Luit au-dessus de nous comme une ère éternelle ; Une moitié des temps pâlit à ce flambeau, ET RELIGIEUSES. ^1 L'autre moitié s'éclaire au jour de tes symboles; Deux mille ans, épuisant leurs sagesses frivoles, JN'ont pas pu démentir une de tes paroles, Et toute vérité date de ton berceau ! Et c'est en vain que l'homme, ingrat et las de croire. De ses autels brisés et de son souvenir Comme un songe importun veut enfin te bannir : Tu règnes malgré lui jusque dans sa mémoire, Et, du haut d'un passé rayonnant de ta gloire, Tu jettes ta splendeur au dernier avenir. Lumière des esprits, tu pâlis, ils pâlissent! Fondement des États, tu fléchis, ils fléchissent! Sève du genre humain, il tarit si tu meurs! Racine de nos lois dans le sol enfoncée, Partout où tu languis on voit languir les niœurs; Chaque fibre à ton nom s'émeut dans tous les cœurs. Et tu revis partout, jusque dans la pensée. Jusque dans la haine insensée De tes ingrats blasphémateurs! Phare élevé sur des rivages Que le temps n'a pu foudroyer. Les lumières de tous les âges Se concentrent dans ton foyer. Consacrant l'humaine mémoire, Tu guides les yeux de l'histoire Jusqu'à la source d'où tout sort: Les sept jours n'ont plus de mystère, Et l'homme sait pourquoi la terre Lutte entre la vie et la mort ! 52 HARMONIES TOÉTIQUES Ton pouvoir n'est plus le caprice Des démagogues et des rois; Il est réternelle justice (jui se rélléchit dans nos lois! Ta vertu n'est plus ce problème , Rêve qui se nourrit soi-même D'orgueil et d'immortalité: Elle est l'holocauste sublime D'une volonté magnanime A réternelle volonté! Ta vérité n'est plus ce prisme Où des temps chaque erreur a lui, L'éclair qui jaillit du sophisme Et s'évanouit avec lui! Rayon de Faurorc éternelle, Pure, féconde, universelle. Elle éclaire tous les vivants; Sul)lime égalité des âmes, Pour les sages foudres et flammes, Ombre et voile à l'œil des enfants! Aliment qui contient la vie. Chaleur dont le foyer est Dieu, Germe qui croît et fructifie, Ton verbe la sème en tout lieu. Vérité palpable et pratique, L'amour divin la communique De l'œil à l'œil, du cœur au cœ'ur; Et, sans proférer de paroles, Des actions sont ses symboles, Et des vertus sont sa splendeur! ET RELIGIEUSES. 53 Chaque instinct ù ton joug nous lie; L'homme naît, vit, meurt avec toi: Chacun des anneaux de sa vie, 0 Christ, est rivé par ta foi! SoufTrant, ses pleurs sont une offrande; Heureux, son bonheur te demande De bénir sa prospérité; Et le mourant que tu consoles Franchit, armé de tes paroles, L'ombre de l'immortalité! Tu gardes, quand l'homme succombe, Sa mémoire après le trépas, Et tu rattaches à la tombe Les liens brisés ici-bas ; Les pleurs tombés de la paupière Ne mouillent plus la froide pierre; Mais, de ces larmes s'abreuvant, La prière, union suprême. Porte la paix au mort qu'elle aime. Rapporte l'espoir au vivant î Prix divin de tout sacrifice, Tout bien se nourrit de ta foi : De quelque mal qu'elle gémisse. L'humanité se tourne à toi. Si je demande à chaque obole, A chaque larme qui console, A chaque généreux pardon, A chaque vertu qu'on me nomme : En quel nom consolez-vous l'homme? Ils me répondent : « En son nom! » 54 I[.\U MOMES POÉTIQUES^ (î'cst toi dont la pitié plus tcndro Verso ranmonc à pleines mains, (luide rav(niii;le, et vient att(Midiv Le voyageur sur les chemins ; C'est toi qui , dans l'asile immonde Où les déshérités du monde Viennent pour jileurer et soulTrir, Donne au vieillard de saintes filles,. A l'enfant sans nom des familles, Au malade un lit pour mourir ! Tu vis dans toutes les reliques : Temple debout et renversé. Autels, colonnes, basiliques. Tout est à toi dans le passé! Tout ce que l'homme élève encore,. Toute demeure où l'on adore, Tout est à toi dans l'avenir! Les siècles n'ont pas de poussière,. Les collines n'ont pas de pierre Qui ne porte ton souvenir. Enfin, vaste et puissante idée, Plus forte ({ue l'esprit humain. Toute âme est pleine, est obsédée De ton nom qu'elle évoque en vain ! Préférant ses doutes funèbres, L'homme amasse en vain les ténèbres,. Partout ta splendeur le poursuit; Et, comme au jour qui nous éclaire ^ Le monde ne peut s'y soustraire Ou' en se replongeant dans la nuit! ET RELIGIEUSES. Et tu meurs? Et ta foi dans un lit de nuages S'enfonce pour jamais sous l'horizon des âges, Comme un de ces soleils que le ciel a perdus, Dont l'astronome dit : « C'était là qu'il n'est plus! Et les fils de nos fils, dans les lointaines ères. Feraient aussi leur fable avec tes saints mystères. Et parleraient un jour de l'Homme de la croix Comme des dieux menteurs disparus à ta voix, De ces porteurs de foudre ou du vil caducée. Rêves dont au réveil a rougi la pensée? Mais tous ces dieux, ô Christ, n'avaient rien apporté Qu'une ombre plus épaisse à notre obscurité; Mais, du délire humain lâche et honteux symbole, Ils croulèrent au bruit de ta sainte parole; Mais tu venais asseoir sur leur trône abattu Le Dieu de vérité, de grâce et de vertu! Leurs lois se trahissaient devant les lois chrétiennes : Mais où sont les vertus cjiii démentent les tiennes? Pour éclipser ton jour quel jour nouveau paraît? Toi qui les remplaças, qui te remplacerait? Ah ! qui sait si cette ombre oi^i pâlit ta doctrine Est une décadence — ou quelque nuit divine, Quelque nuage faux prêt à se déchirer, Où ta foi va monter et se transfigurer, Comme aux jours de ta vie humaine et méconnue Tu te transfiguras toi-mcme dans la nue, Quand, ta divinité reprenant son essor, Un jour sorti de toi revêtit le Thabor, 56 HARMONIES POETIQUES Dans Ion vol glorieux te balança sans ailes, Éblouit les regards des disciples lidèles, Et, pour les consoler de ton prochain adieu, Homme prêt à mourir, te montra déjà Dieu? Oui , de quelque faux nom que Tavenir te nomme , Nous te saluons Dieu ! car tu n'es pas un homme. L'homme n"eùt jias trouvé dans notre infirmité Ce germe tout di\in de l'immortalité, La clarté dans la nuit, la vertu dans le vice, Dans régoïsme étroit la soif du sacrifice, Dans la lutte la paix, l'espoir dans la douleur. Dans Torgueil révolté l'humilité du cœur. Dans la haine Tamour, le pardon dans l'offense, Et dans le repentir la seconde innocence! Notre encens à ce prix ne saurait s'égarer, Et j'en crois des vertus qui se font adorer. Repos de notre ignorance, Tes dogmes mystérieux Sont un temple à l'espérance Montant de la terre aux cieux ; Ta morale chaste et sainte Embaume sa pure enceinte De paix, de grâce et d'amour; Et l'air que l'âme y respire A le parfum du zéphire Qu'Éden exhalait au jour. ET RELIGIEUSES. 57 Dès que l'humaine nature Se plie au joug de ta foi, Elle s'élève et s'épure Et se divinise en toi. Toutes ses vaines pensées Montent du cœur, élancées Aussi haut que son destin ; L'homme revient en arrière, Fils égaré de lumière Qui retrouve son chemin ! Les troubles du cœur s'apaisent, L'âme n'est qu'un long soupir; Tous les vains désirs se taisent Dans un immense désir. La paix, volupté nouvelle, Sens de la vie éternelle , En a la sérénité : Du chrétien la vie entière ^ N'est qu'une longue prière, Un hymne en action à l'immortalité. Et les vertus les plus rudes Du stoïque triomphant Sont les humbles habitudes De la femme et de l'enfant; Et la terre transformée N'est qu'une route semée D'ombrages délicieux, Oi^i l'homme en l'homme a son frère, Où l'homme à Dieu dit : « Mon père! » Où chaque pas mène aux cieux. 58 IIAKMOMES POETIQUES ET RELIGIEUSES. ( ) lui ([ui (is lever cette seconde aurore , Dont un second chaos vit l'harmonie éclore, Parole qui portais, avec la vérité. Justice et tolérance, amour et liberté: Règne à jamais, ù Christ, sur la raison humaine, Kt de riiomme à son Dieu sois la divine chaîne ! Illumine sans fin de tes feux éclatants Les siècles endormis dans le berceau des temps ; Et que ton nom, légué pour unique héritage, De la mère à Tenfant descende d'âge en âge, Tant que Vœ'û dans la nuit aura soif de clarté. Et le cœur d'espérance et d'immortalité; Tant que l'humanité plaintive et désolée Arrosera de pleurs sa terrestre vallée. Et tant que les vertus garderont leurs autels. Ou n'auront pas changé de nom chez les mortels ! Pour moi, soit que Ion nom ressuscite ou succombe, ^ U Dieu de mon berceau , sois le Dieu de ma tombe ! Plus la nuit est obscure, et plus mes faibles yeux S'attachent au Hambeau qui pâlit dans les cieux. Et quand l'autel brisé que la foule abandonne S'écroulerait sur moi... temple que je chéris. Temple où j'ai tout reçu, temple où j'ai tout appris. J'embrasserais encor ta dernière colonne, Dussé-je être écrasé sous tes sacrés débris! COMMENTAIRE DK I,A CINQL'IÈME HARMONIE J'ai adressé cette Harmonie, en 1829, à Manzoni , dans une des phases religieuses de ma pensée. Je chantais la vérité, par ce besoin d'adoration qui est en nous. Je ne dirai rien ici du sujet ; mais je dirai un mot de Manzoni. Je l'avais connu, quelques mois auparavant, à Florence, où il avait passé un hiver. J'avais lu autrefois ses tragédies, puis ses romans, avec admiration, mais sans enthousiasme. Je venais de lire ses poésies lyriques, où le grand poëte éclate tout entier. Qui ne sait par cœur sa cantate sur la tombe de Bonaparte ? Manzoni m'avait intéressé plus encore par sa personne que par ses œuvres. C'est un génie souffrant, un accent de douleur incarné dans un homme sensible; c'est en même temps un génie pieux. Sa figure porte tous ces caractères. Sa stature est frêle; son visage, doux et triste; son regard, tourné vers les regrets; sa parole, lente, faible, découragée. Il avait alors autour de lui une charmante famille d'enfants. Sa fille, âgée de dix-huit ans. et GO HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES. qui ilovail si UM mourir eu cutraînaul sa luèrc dans la tombe, était un des plus beaux jets de la beauté italienne qu'on pût con- ttMupler de l'autre cùté des Alpes. Elle portait sur le front des rayons visibles d"àmc, de splentleur et d"iiilelligencc. Elle se gra- vait dans les yeux comme une poésie cbantée dans l'oreille. Statue i que son emblème. Mais dont nul ne suit le berceau! iSe t' étonne donc pas qu'un ange d'harmonie Vienne d'en haut te réveiller: Souviens-toi de Jacob! Les songes du génie L'escendent sur des fronts qui n'ont dans l'insomnie Qu'une pierre pour oreiller. ET HELIGIEUSES. 99 Moi-mùmc , plein des biens dont l'opulence abonde, Que je changerais volontiers Cet or dont la fortune avec dédain m'inonde, Pour une heure du temps où je n'avais au monde Que ma vigne et que mes figuiers; Pour ces songes divins qui chantaient dans mon âme. Et que nul or ne peut payer, Pendant que le soleil baissait, et que la flamme Que ma mère allumait, ainsi qu'une humble femme. Éclairait son étroit foyer; Et qu'assis autour d'elle à la table de hêtre Que nous préparait son amour, Nous rendions grâce à Dieu de ce repas champêtre. Riche- des simples fruits que le champ faisait naître, Et d'un pain qui suffit au jour ' ! 1 Voir à la table de ce volume la r'-ponsa de M. iteboiil. COMMENTAIRE DE LA ONZIÈME HAHMOME On connaît le génie poétique et sensible de M. Reboul, poëte et ouvrier, si antique de pensée, si noble de sentiment. Le tra- vail ne déroge pas. On connaît moins sa vie : je l'ignorais moi- même. Un jour, passant à Nîmes, je voulus, avant de visiter les Arènes, visiter ce frère en poésie. Un pauvre homme que je ren- contrai dans la rue me conduisit à la porte d"une petite maison noire , sur le seuil de laquelle on respirait cette délicieuse odeur de pain cuit sortant du four. J'entrai : un jeune homme en man- ches de chemise, les cheveux noirs légèrement cendrés de farine, était au comptoir, vendant du pain à de pauvres femmes. Je me nommai, il ne rougit pas; il passa sa veste et me conduisit, par un escalier de bois, dans sa chambre de travail, au-dessus de sa boutique. Il y avait le lit de sa femme, une table à écrire, quel- ques livres, et quelques vers commencés sur des feuilles éparses. Nous causâmes de notre métier commun. Il me lut des vers ad- mirables, et des scènes de tragédie antique qui respirent la m;\le sévérité du génie romain. On sentait que cet homme avait fré- quenté les souvenirs vivants de Rome, et que son âme était une 102 IIAK.MOMES POKTKRES ET RELIGIEUSES. IMcrrc détachôc de ces monuments au pied desquels il avait iïrandi, un lierre ou un laurier sauvage du pont du Gard ou des Arènes. Depuis, jai re\ u Ueboul à rassemblée constituante. Ame libre, et née pour une république; cn'ur simple et pur, comme il en faudrait tant au peuple pour lui faire conserver cl honorer la liberté qu'il a conquise, et qu'il perdra s'il ne sait ni la modérer parla justice, ni la sanctifier par la vertu. xu POURQUOI MON AME EST-ELLE TRISTE XII POURQUOI MON AME EST-ELLE TRISTE Pourquoi gémis-tu sans cesse, 0 mon âme? réponds-moi, D'où vient ce poids de tristesse Qui pèse aujourd'hui sur toi? Au tombeau qui nous dévore, Pleurant, tu n'as pas encore Conduit tes derniers amis; L'astre serein de ta vie S'élève encore; et l'envie Cherche pourquoi tu gémis. 106 IIAUMOMKS POETIQUES La IciTC encore a des ])lages, Le ciel encore a des jours, La gloire encor des mirages. Le cœur encor des amours; La nature olïre à tes veilles Des mystères, des merveilles, Qu'aucun €eil n'a profimé; Et, flétrissant tout (ravancc Dans les champs de l'espérance. Ta main n'a pas tout glané ! El qu'est-ce que la terre? L^nc prison flottante Une demeure étroite, un navire, une tente (Juc son Dieu dans l'espace éleva pf)ur un jour, Kt dont le vent du ciel en trois pas fait le tour; Des plaines, des vallons, des mers et des collines Où tout sort de la poudre et retourne en ruines , Et dont la masse à peine est à l'immensité Ce que l'heure qui sonne est à l'éternité: Fange en palais pétrie, hélas! mais toujours fange. Ou tout est monotone et cependant tout change! Et qu'est-ce que la vie? Un réveil d'un moment! De naître et de mourir un court étonnement, Un mot qu'avec mépris l'Être éternel prononce; Labyrinthe sans clef, question sans réponse. Songe qui s'évapore, étincelle (jui fuit. Éclair qui sort de l'ombre et rentre dans la nuit, Minute que le temps prête et retire à l'homme. Chose qui ne vaut pas le mot dont on la nomme! ET RELIGIEUSES. 107 Et qu'est-ce que la gloire? Un vain son répété, Une dérision de notre vanité, Un nom qui retentit sur des lèvres mortelles, Vain, trompeur, inconstant, périssable comme elles, Et qui, tantôt croissant et tantôt alïaibli, Passe de bouche en bouche à l'éternel oubli; Nectar empoisonné dont notre orgueil s'enivre, Qui fait mourir deux fois ce qui veut toujours vivre ! Et qu'est-ce que l'amour? Ah! prête à le nommer, Ma bouche en le niant craindrait de blasphémer ! Lui seul est au-dessus de tout mot qui l'exprime. Éclair brillant et pur du feu qui nous anime ; Étincelle ravie au grand foyer des cieux; Char de feu qui , vivants , nous porte au rang des dieux ; Rayon, foudre des sens, inextinguible flamme Qui fond deux cœurs mortels et n'en fait plus qu'une âme. Il est... il serait tout, s'il ne devait finir, Si le cœur d'un mortel le pouvait contenir, Ou si, semblable au feu dont Dieu fit son emblème. Sa flamme en s'exhalant ne l'étouffait lui-même! Mais quand ces biens que l'homme envie Déborderaient dans un seul cœur, La mort seule au bout de la vie Fait un supplice du bonheur : Le flot du temps qui nous entraîne N'attend pas que la joie humaine Fleurisse longtemj)s sur son cours. Race éphémère et fugitive, Que peux-tu semer sur la rive De ce torrent qui fuit toujours? 108 HARMONIES POÉTIQUES H l'ail, et SCS rives fanées M'annoncent déjà (ju'il est tard ; Il luit, et mes vertes années Disparaissent de mon regard ! Chaque projet, ciiaque espérance Ressemble à ce liège qu'on lance Sur la trace des matelots, Qui ne s'éloigne et ne surnage Que pour mesurer le sillage Du navire qui fend les flots. Où suis-je? Est-ce moi? Je m'éveille D'un songe qm n'est pas fini : Tout était promesse et merveille Dans un avenir infini. J'étais jeune!... Hélas! mes années Sur ma tète tombent fanées, Et ne refleuriront jamais! Mon cœur était plein,... il est vide! Mon sein fécond,... il est aride! J'aimais :... où sont ceux que j'aimais? Mes jours, que le deuil décolore, Glissent avant d'être comptés; Mon cœur, hélas! palpite encore De ses dernières voluptés. Sous mes pas la terre est couverte De ])lus d'une palme encor verte, Mais qui survit à mes désirs; Tant d'objets chers à ma paupière Sont encor là, sur la poussière Tiède de mes brûlants soupirs! ET RELIGIEUSES. 109 Je vois passer, je vois sourire La femme aux perfides appas Qui m'enivra d'un long délire, Dont mes lèvres baisaient les pas! Ses blonds cheveux flottent encore; Les fraîches couleurs de l'aurore Teignent toujours son front charmant, Et dans l'azur de sa paupière Brille encore assez de lumière Pour fasciner l'œil d'un amant. La foule, qui s'ouvre à mesure, La flatte encor d'un long coup d'œil, Et la poursuit d'un long murmure Dont s'enivre son jeune orgueil. Et moi, je souris et je passe; Sans effort de mon cœur j' efface Ce songe de félicité. Et je dis, la pitié dans l'âme: « Amour ! se peut-il que ta flamme Meure encore avant la beauté? » Hélas! dans une longue vie Que reste- t-il après l'amour? Dans notre paupière éblouie Ce qu'il reste après un beau jour ; Ce qu'il reste à la voile vide Quand le dernier vent qui la ride S'abat sur le flot assoupi ; Ce qu'il reste au chaume sauvage Lorsque les ailes de l'orage Sur la terre ont vidé l'épi ! 110 HARMONIES POÉTIQUES Et^pourtaiit il faut viviv encore, Dormir, s'éveiller tour à tour, Et traîner d'aurore en aurore Ce fardeau renaissant du jour ! Ouand on a bu jusqu'à la lie La coupe écumantc de vie, Ah ! la briser serait un bien ! Espérer, attendre, c'est vivre! Que sert de conipter et de suivre Des jours qui n'apportent plus rien': Voilà pourquoi mon àme est lasse Du vide alTreux qui la remplit ; Pourquoi mon cœur change de place Comme un malade dans son lit; Pourquoi mon errante i)ensée. Comme une colombe blessée, Ne se repose en aucun lieu ; Pourquoi j'ai détourné la vue De celte terre ingrate et nue. Et j'ai dit à la fin : « Mon Dieu ! » Comme un souiïle d'un vent d'orage Soulevant l'humble passereau, L'emporte au-dessus du nuage, Loin du toit ({ui fut son berceau ; Sans même que son aile tremble. L'aquilon le soutient; il semble Bercé sur les vagues des airs : Ainsi cette seule pensée Emporta mon âme oppressée Jusqu'à la source des éclairs. ET RELIGIEUSES. lH C'est Dieu, perisais-je, qui m'emporte: L'infini s'ouvre sous mes pas ! Que mon aile naissante est forte ! Quels cicux ne tenterons-nous pas? La Foi même, un pied sur la terre, Monte de mystère en mystère Jusqu'oia Ton monte sans mourir: J'irai, plein de sa soif sublime. Me désaltérer dans l'abîme Que je ne verrai plus tarir ! J'ai cherché le Dieu que j'adore Partout où l'instinct m'a conduit, Sous les voiles d'or de l'aurore, Chez les étoiles de la nuit. Le firmament n'a point de voûtes, Les feux, les vents n'ont point de routes Où mon œil n'ait plongé cent fois : Toujours présent à ma mémoire, Partout où se montrait sa gloire, Il entendait monter ma voix. Je l'ai cherché dans les merveilles Œuvre parlante de ses mains. Dans la solitude et les veilles. Et dans les songes des humains. L'épi, le brin d'herbe, l'insecte, Me disaient : « Adore et respecte ! Sa sagesse a passé par là. » Et ces catastrophes fatales Dont l'histoire enfle ses annales, Me criaient plus haut : « Le voilà ! » 112 HARMONIES POETIQUES A chaque éclair, à chaque étoile Oue je découvrais dans les cicux , Je croyais voir tomber le voile Qui le dérobait à mes yeux ; Je disais : « Lu mystère encore ! Voici son ombre, son aurore, Mon àme! il va paraître enfin! » Et toujours, ô triste pensée! Toujours quelque lettre effacée Manquait hélas! au nom divin. Kl maintenant, dans ma misère, Je n'en sais pas plus que l'enfant Oui balbutie après sa mère Ce nom sublime et triomphant ; Je n'en sais pas plus que l'aurore Qui de son regard vient d'éclore. Et le cherche en vain en tout lieu ; Pas plus que toute la nature , Qui le raconte et le murmure. Et demand(; : « Où donc est mon Dieu? » Voilà pourquoi mon âme est triste. Comme une mer brisant la nuit sur un écueil, Comme la liarpf du Ps;ilmisle, Quand il pleure au bord (ruii cercueil ; Comme l'IIoreb voilé sous u:i uuage sombre, Comme un ciel sans étoile ou comme un jour sans ombre, Ou comme ce vieillard (ju'on ne put consoler, Qui, le cœur débordant d'une douleur farouche. à ET RELIGIEUSES. U^ Ne pouvait plus tarir la plainte sur sa bouche, Et disait : « Laissez-moi parler * î .. Mais que dis-ie? Est-ce toi vAvlw^ .-^..r. 1 j- i-oi Lc LOI, \ Cl ite, jour suprême, Oui te caches sous ta splendeur ? Ou n'est-ce pas mon œil qui s'est voilé lui-même Sous les nuages de mon cœur? Ces enfants prosternés aux marches de ton temple. Ces humbles femmes, ces vieillards Leur âme te possède et leur œil te contemple: Ta gloire éclate à leurs regards ! Et moi, je plonge en vain sous tant d'ombres funèbres • Ta splendeur te dérobe à moi î Ah! le regard qui cherche a donc plus de ténèbres Que l'œil abaissé devant toi? Dieu de la lumière, Entends ma prière, Frappe ma paupière Comme le rocher! Que le jour se fasse, Car mon âme est lasse. Seigneur, de chercher ! Astre que j'adore, Ce jour que j'implore N'est point dans l'aurore, ' Job, ch. XXI. œuvn. coMpr.. — in. \, \\.\ HARMONIES rOÉTIOlTS ET HEf-Tr-lErSES. N'est pas dans les eicux : Vérité suprême , Jour niystéi ieiix ! De l'heure où Ton L'aime, Il est en nous- même, 11 est dans nos yeux! COMAIENTAIRK DK LA DOUZIÈME IIAUMOMK Il n'y a pas de commentaire à une impressioti; il faudrait analyser toute une nature et rarontpr toute une vie pour faire comprendre un vers. XIII LA RETRAITE XllI LA RETRAITE RÉPONSE A M. VICTOR HUGO» Je sommeillais sans rêve, Comme Écho dans mes bois Mais quinic voix s'élève, Soudain la mienne achève; Un son me rend la voix. 1 Vuir, à la table de ce volume, les vers de M. Victor Hugo. 120 HARMONIES POETIQUES Ouc celle qui m'éveille A de touchants concerts! Jamais à mon oreille Harpe ou lyre pareille N'enchanta ces déserts, Depuis r heure charmante Où le servant d'amour, Sa harpe sous sa mante. Venait pour une amante Soupirer sous la tour. C'est la voix fraîche et pure D'un enfant des cités, Qui, las de leur murmure, Demande à la nature Des jours plus abrités, L'n toit où se repose L'ombre des bois épais. Un ruisseau qui l'arrose, El le buisson de rose Où l'oiseau chante auprès; L'uniforme habitude Qui lie au jour le jour, Point de gloire ou d'étude, Rien que la solitude, La prière et l'amour. ET RELIGIEUSES. 121 Ah ! ton rêve est un rêve , Ami ; ce rien est tout ! Ta vie a trop de séve- Mais attends : Tàge enlève L'ivresse et le dégoût. Plus, hélas! sur la terre L'homme compte de jours, Plus la route est sévère, Et plus le cœur resserre Sa vie et ses amours. Fuis ces champs de bataille, Où l'insecte pensant S'agite et se travaille Autour d'un brin de paille Qu'écrase le passant ! Je sais sur la colline Une blanche maison ; Un rocher la domine, Un buisson d'aubépine Est tout son horizon. Là jamais ne s'élève Bruit qui fasse penser : Jusqu'à ce qu'il s'achève, On peut mener son rêve Et le recommencer. 122 IIAUMOMES POÉTIQUES Le clocher du village Surmonte ce séjour; Sa voix, comme un hommage, Monte au premier nuage Que colore le jour. Signal de la prière, Elle part du saint lieu. Appelant la j)remière L'enfant de la chaumière A la maison de Dieu. Aux sons que l'écho roule Le long des églantiers, Vous voyez Thumble foule Qui serpente et s'écoule Dans les pieux sentiers : C'est la pauvre orpheline, Pour qui le jour est court, (jui déroule et termine. Pendant qu'elle chemine. Son fuseau déjà lourd; L'est l'aveugle que guide Le mur accoutumé, Le mendiant timide , Et dont la main dévide Son rosaire enfumé; ET KELIOIEI'SFS. 123 C'est l'cnfaiit qui caresse En passant cliaqiie fleur, Le vieillard qui se presse : L'enfance et la vieillesse Sont amis du Seigneur! La fenêtre est tournée Vers le champ des tombeaux Où l'herbe moutonnée Couvre, après la journée. Le sommeil des hameaux. Plus d'une fleur nuance Ce voile du sommeil; Là tout fut innocence, Là tout dit : « Espérance! » Tout parle de réveil. Mon œil, quand il y tombe, Voit l'amoureux oiseau Voler de tombe en tombe, Ainsi que la colombe Qui porta le rameau; Ou quelque pauvre veuve, Aux longs rayons du soir. Sur une pierre neuve , Signe de son épreuve. S'agenouiller, s'asseoir; 124 IlAHMOMES POETIOUES ET RELIGIEUSES. Et, respoir sur la bouche, Contempler du tombeau. Sous les cyprès qu'il touche, Le soleil qui se couche Pour se lever plus beau. Paix et mélancolie Veillent là près des morts, Et l'âme recueillie Des vagues de la vie Croit y toucher les bords! COMMENTAIRE DE LA TUP:IZIÈME HAHMOMli Je ne sais quel jour de quelle année, vers 1824, je vis arriver Victor Hugo à Saint-Point, accompagné de sa femme, alors dans la première fleur de sa beauté, d'un petit enfant, et de Chaiipn Xodier, qui commençait déjà à vieillir, et sa tille. Ils allaient en Suisse ou en Italie. Ils s'arrêtèrent quelques jours dans ma re- traite. Victor Hugo, Nodier et moi, nous passâmes le temps à errer dans les montagnes. Mes deux hôtes laissèrent à Saint- Point un parfum de poésie et d'amitié. Depuis lors Nodier, plante alpestre du haut Jura quin'a jamais pu se bien acclimater à Paris, est mort. La nature fait peu d'hommes si charmants et si divers. Il y avait du paysan, du gentilhomme, de l'émigré, du républicain, du chevalier, de l'homme de lettres, du savant, du poète, du paresseux surtout, en lui. Débauche d'esprit et de caractère de la Nature, dans un jour de caprice et de luxe. On aurait pu faire dix hommes de Nodier, et il n'y en avait pas un tout entier en lui ; mais les fragments étaient admirables. Victor Hugo a vécu, grandi, et grandit encore. Nous sommes restés amis; nous le serons, je crois, toujours. Il n'y a point de petitesses dans sa nature. Les rivalités sont des petitesses : Hugo ne les connaît pas. C'est un grand signe pour lui. XIV CANTATE POUR LES ENFANTS D'UNE MAISON DE CHARITE XIV CANTATE POUR LES ENFANTS D'UNE MAISON DE CIlAlUTÉ RÉCITATIF Le temple de Sion était dans le silence; Les saints hymnes dormaient sur les harpes de Dieu; Les foyers odorants que l'encensoir balance S'éteignaient; et l'encens, comme un nuage immense, S'élevait en rampant sur les murs du saint lieu. Les docteurs de la loi, les chefs de la prière, Étaient assis dans leur orgueil ; Sous leurs sourcils pensifs ils cachaient leur paupière. Ou lançaient sur la foule un superbe conj) d'u'il ; CKIT VII. COU IM,. — III. î 130 IIAUMONIES POETIQUES Leur voix interrogeait la timide jeunesse, Les rides de leur front témoignaient leur sagesse. Respirant du Sina Tantique majesté, D<' leurs ciicveux blanchis, de leur barbe touflue, On croyait voir glisser sur leur poitrine nue La lumière et la charité, Comme des neiges des montagnes Descendent, ù Sàron, sur tes humbles campagnes, Le jour et la fertilité ! Un enfant devant eux s'avança, plein de grâce; La foule, en l'admirant, devant ses pas s'ouvrait, Puis se refermait sur sa trace; 11 semblait éclairer l'espace D'un jour surnaturel que lui seul ignorait. Des ombres de sa chevelure Son front sortait, comme un rayon Échappé de la nuit obscure Éclaire un sévère horizon. Ce front pur et mélancolique S'avançait sur l'œil inspiré. Tel qu'un majestueux portique S'avance sur un seuil sacré. L'éclair céleste de son âme S'adoucissait dans son o'il pin*, Comme une étoile dont la flamme Sort plus douce des flots d'azur. ET RELIGIEUSES. 131 Il parla : les sages cloutèrent De leur orgueilleuse raison, Et les colonnes récoutèrent, Les colonnes de Salomon. PREMIlillE VOI.^. 0 merveilleuse histoire! ô prodiges étranges Que la mère à ses fils se plaît à raconter! DEUXIÈAIE VOIX. Que disait cet enfant ? PREMIÈRE VOIX. Interrogez les anges: Eux seuls pourraient le répéter. DEUXIÈME VOIX. D'où sortait ce Joas? PREMIÈRE VOIX. De l'ombre de la vie, De l'exil, du silence, et de la pauvreté. DELXIÈME VOIX. Comment disparut-il de la foule ravie? PREMIÈRE VOIX. Il rentra dans l'obscurité. Dans les humbles travaux d'une vie inconnue. Comme l'aurore sous la nue, 11 se cacha vingt ans dans son humilité ; On ne le revit plus qu'à la fin du mystère. Enseignant le ciel à la terre. 132 HARMONIES POETIQUES Sur le sable eux sur l'eau seiiianl la vérité; Puis, traînant son supplice au somniet du Calvaire, De r homme qu'il aimait victime volontaire, Revêtir riniquilé. Arroser de son sang sa semence prospère, Et payer à son Père Le monde racheté. LE CIIŒIR. Du sage et de l'enfant c'est le maître sublime, C'est le flambeau (lui nous luit, C'est l'àme qui nous anime, Le chi^min qui nous conduit! rREMlî'llK \01X. Il disait à celui dont la main nous repousse : a Laissez-les venir à moi! » i)i;i \ii:mk noix. Kt voilà qu'une main mystérieuse et douce. Tout p(,'tits, jusqu'à hii nous mène par la loi. i*i\EMii:iii': VOIX. Il disait : « Faites-vous des trésors ([ue la rouille Ne puisse pas ronger sous d'impuissants verrous. » DEUXIÈME VOIX. Et voilà que des mains, que ce seul mot dépouille S'ouvrent devant lui seul et s'épanchent sur nous! PIIEMIÈKE ^OIX. il disait : « Espérez! et fiez-vous au Père! L'hirondelle n'a point de palais sur la terre,- ET RELIGIEUSES. 133 Elle trouve au sommet de la tour solitaire; Une tuile pour ses petits; Le passereau n'a pas semé la graine amère. Mais de tous ses enfants la Providence est mère : L'une a le toit du riche, et l'autre a ses épis! » LE CriŒLT.. Nous sommes l'hirondelle errante et sans asile , Le toit de l'étranger nous prête ses abris; Le passereau de l'Évangile, Nous ne moissonnons pas, et nous sommes nourris! DEUXIÈME VOIX. Que disait-il encor? PREMIÈRE VOIX. « Voyez sur la verdure Éclater le lis du vallon ! Pour se composer sa parure Il n'a filé ni lin, ni tissu de toison; Et pourtant sa tunique est plus riche et plus pure Que les robes de Salomon ! » LE CHOEUR. Nous sommes les lis des vallées : Les tièdes laines des brebis Par nous n'ont point été filées, Et la main invisible a tissé nos habits! DEUXIÈME VOIX. Et nous, enfants, que peut notre reconnaissance? Nos toits sont sans trésor, et notre âge impuissant : Nous n'avons que nos mains à lever en silence 1.14 HARMONIES POETIQUES Vers cette Providence D'oii viiMil la récompense D'où le bienfait descend ! IMlKMIi:UK \oi\. Kt que pourraient de plus les rois et leur puissance? Pour nos modestes bienfaiteurs Priez donc, élevez la voix de l'innocence: La prière s'épure en passant par vos cœurs. Di:i\IKMK VOIX. Heureux Thomme pour (jui la prière attendrie S'élève des lèvres d'autrui! 11 obtient, par la voiv de rorphclin ([ui prie, Plus qu'il n'a fait poui' lui. l'IUlMlKHK VOIX. La prière est le don sans tache et sans souillun; Que devant l'autel du Très- Haut L'homme doit présenter dans une argile pure Et dans des vases sans défaut. Comment olTrir ce don dans ce métal profane Que sa sainteté nous défend? Du ciistal ou de l'or ({ue notre encens émane. Le vase le plus pur est le cœur d'un enfant. DKUXIÈMi: VOIX. Le vœu souvent perdu de nos cœurs s'évapore; Mais ce vœu de nos cœurs, par d'autres présenté. Est comme un faible son dans un temple sonore, Qui, d'échos en échois croissant et répété. S'élève et retentit jusqu'à réleriiit(''. ET RELIGIEUSES. 13: PREMIERE VOIX. Prions donc! élevons la voix de rinnocencc: La prière s'épure en passant par nos cœurs. Les anges porteront à la Toute-Puissance Nos bénédictions et l'encens de nos pleurs! Prions donc! élevons la voix de l'innocence: La orière s'épure en passant par nos cœurs. PRIERE 0 toi dont l'oreille s'incline Au nid du pauvre passereau, Au brin d'herbe de la colline Qui soupire après un peu d'eau; Providence qui les console, Toi qui sais de quelle humble main S'échappe la secrète obole Dont le pauvre achète son pain; Toi qui tiens dans ta main diverse L'abondance et la nudité, Afin que de leur doux commerce Naissent justice et charité ; 136 11 MOI OM ES POÉTIQUES CliaFgc-toi seule, ô Providence, De connaître nos bienfaiteurs, Et de puiser leur récompense Dans les trésors de tes faveurs! Notre cœur, qui pour eux t'implore, A rignorance est condamné; Car toujours leur main gauche ignore Ce que leur main droite a donné. Mais que le bienfait qui se cache Sous l'humble manteau de la foi A leurs mains pieuses s'attache. Et les trahisse devant toi ! Qu'un vœu qui dans leur cœur commence , Que leurs soupirs les plus voilés, Soient exaucés dans ta clémence Avant de t'ôtre révélés! Que leurs mères, dans leur vieillesse, Ne meurent qu'après des jours pleins! Et que les fils de leur jeunesse Ne restent jamais orphelins! Mais que leur race »e succède Comme les chênes de Mambré , Dont le vieux tronc aux ans ne cède Que quand le jeune a prospéré ! i^T HELIGFEUSES. 137 Ou comme ces eaux toujours pleines, Dans les sources de Siloé, Où nul flot ne sort des fontaines Qu'après que d'autres ont coulé! LIVRE DEUXIEME HYMNE DE LA MORT HYMNE DE LA MORT Élève-toi, mon âme, au-dessus du toi-même: Voici répreuve de ta Coi! Que l'impie, assistant à mon heure suprême, Ne dise pas : « Voyez, il tremble comme moi! « La voilà cette heure suivie Par l'aube de l'éternité. Cette heure qui juge la vie Et sonne l'immortalité! 142 IIAUMONIES POETIQUES Kt 1ii pâlirais devant elle, Ame à resprraiicc iiirulMe! Tu (léiuontirais tant i\c jours, Tant de nuits, passés à te dire: « Je vis, je languis, je soupire : Ali! mourons pour vivre toujours! » Oui, lu meurs! Déjà ta dépouille De la terre subit les lois. Et de la l'ange qui te souille Déjà tu ne sens plus le poids. Sentir ce vil poids, c'était vivre; Et le moment (jui te délivre, Les hommes l'appellent mourir! Tel un esclave, libre à peine. Croit qu'on emporte avec sa chaîne Ses bras (ju'il ne sent plus soulTrir. Ah! laisse aux sens, à la matière, Ces illusions du tombeau! Toi, crois-en à ta vie entière, A la foi qui fut ton flambeau! Crois-en à cette soif sublime, A ce pressentiment intime Qui se sent survivre après toi! Meurs, mon âme, avec assurance! L'amour, la vr?rtu, l'espérance. En savent plus qu'un jour d'elTroi. ET RELIGIEUSES. 143 Qu'était-ce que la vie? Exil, ennui, souflVanco, Un holocauste à l'espérance. Un long acte de foi chaque jour répété ! Tandis c|ue l'insensé buvait à plein calice, Tu versais à tes pieds ta coupe en sacrifice, Et tù disais : « J'ai soif, mais d'immortalité! » Tu vas boire à la source vive D'où coulent les temps et les jours. Océan sans fond et sans rive, Toujours plein, débordant toujours. L'astre que tu vas voir éclore Ne mesure plus par aurore La vie , hélas ! près de tarir, Comme Fastre de nos demeures, Qui n'ajoute au présent des heures Qu'en retranchant à l'avenir. Oublie un inonde qui s'efface. Oublie une obscure prison ! Que ton regard privé d'espace Découvre enfin son horizon ! A''ois-tu ces voûtes azurées, Dont les arches démesurées S'entr'ouvrent pour s'étendre encor? Bientôt leur courbe incalculable Te sera ce qu'un grain de saisie Est au vol brillant du eondoi'. \.'i.\ IIAIIMOMES POETIQUES Tu vas voir la céleste armée Drploycr ses orbes sans fin, Comme une poussière animée Qu'agite le soufile divin. Ces deux soleils dont ta paupière Devinait de loin la lumière Vont s'épanouir sous tes yeux, Et chacun d'eux dans son langage Va te saluer, au passage. Du grand nom que chantent les cieux ! Tu leur demanderas les rêves Que ton cœur élançait vers eux , Pendant ces nuits où tu te lèves Pour te pénétrer de leurs feux; Tu leur demanderas les traces Des êtres chéris dont les places Restèrent vides ici-bas, Et tu sauras sur quelle flamme Leur âme arrachée à ton âme En montant imprima ses pas. Tu verras quels êtres habitent Ces palais flottants de Téther Qui nagent, volent ou palpitent. Enfants de la flamme et de l'air. Chœurs qui chantent, voix qui bénissent, Miroirs de feu qui réfléchissent, Ailes qui voilent Jéhova; Poudre vivante de ce temple, Dont chaque atome le contemple , L'adore, et lui cric : [losanna! ET RELIGIEUSES. 141 Dans ce pur océan de vie Bouillonnant de joie et d'amour, La mort va te plonger, ravie Comme une étincelle au grand jour; Son flux vers rétcrnellc aurore Va te porter, obscure encore. Jusqu'à l'astre qui toujours luit, Comme un flot que la mer soulève Roule, aux bords oii le jour se lève. Sa brillante écume, et s'enfuit. Détestais-tu la tyrannie? Adorais -tu la liberté? De l'oppression impunie Ton œil était-il révolté? Avais-tu soif de la justice, Horreur du mal, honte du vice? Versais-tu des larmes de sang Quand l'imposture ou la bassesse Livraient l'innocente faiblesse Aux serres du crime puissant? Sentais-tu la lutte éternelle Du bonheur et de la vertu, Et la lutte encor plus cruelle Du cœur par le cœur combattu? Rougissais-tu de ce nom d'homme Dont le ciel rit, quand l'orgueil nomme Cette machine à deux ressorts, L'un de boue et l'autre de flamme, Trop avili s'il n'est qu'une àme, Trop sublime s'il n'est qu'un corps? ŒUVR. COMI'I . — 1 II. \>^^] IIAUMOMES rOÉTlQUES IMcuniis-tu quand la calumnic Souilluil la gloire de poison, Ou quand les ailes du génie Se brisaient contre sa prison? Plcurais-tii lorsque Philomèle, Couvant ses petits sous son aile, Tombait sous l'ongle du vautour; Quand la faux tranchait une rose, Ou que la vierge à peine éclose Mourait à son premier amour? Et sentais-tu ce vide immense Et cet inexorable ennui , Et ce néant de l'existence, Cercle étroit qui tourne sur lui? Même en t' enivrant de délices, Huvais-tu le fond des calices? Heureuse encor, n'avais-tu pas Et ces amertumes sans causes, Et ces désirs brûlants de choses Qui n'ont que leurs noms ici-bas? Triomphe donc, âme exilée! Tu vas dans un monde meilleur, Où toute larme est consolée. Où tout désir est le bonheur; Où l'être qui se purifie N'emporte rien de cette vie Que ce qu'il a d'égal aux dieux. Comme la cime encore obscure Dont l'ombre décroît, à mesure Que le jour monte dans les cieux. ET RELIGIEUSES. (47 Là sont tant de larmes versées Pendant ton exil sous les cieux, Tant de prières élancées Du fond d'un cœur tendre et pieux; Là tant de soupirs de tristesse, Tant de beaux songes de jeunesse. Là les amis qui t'ont quitté, Épiant ta dernière haleine. Te tendent leur main, déjà pleine Des dons de l'immortalité! Ne vois-tu pas des étincelles Dans les ombres poindre et flotter? N'entends-tu pas frémir les ailes De l'esprit qui va t'emporter? Bientôt, nageant de nue en nue, Tu vas te sentir revêtue Des rayons du divin séjour, Comme une onde qui s'évapore Contracte, en montant vers l'aurore, La chaleur et l'éclat du jour. Encore une heure de souffrance. Encore un douloureux adieu : Puis endors-toi dans l'espérance, Pour te réveiller dans ton Dieu! Tel, sur la foi de ses étoiles, Le pilote, pliant ses voiles, Pressent la terre sans la voir. S'endort en rêvant les rivages, Et trouve, en s'éveiliant, des plage* Plus sereines que son espoii-. COMMENTAIRE DE LA PREMIÈRE HARMONIE Cette Harmonie a été écrite à Paris, en 1830, quelques mois avant la révolution de juillet. J"étais en congé. Il LA FLEUR DES EAUX II LA FLEUR DES EAUX A VALENTINE Dans les climats d'où vient la myrrhe, Loin des rivages, sur les flots, Il naît une fleur qu'on admire, Et dont l'odeur, quand on l'aspire. Donne l'extase aux matelots. Savez-vous son nom? Le flot le soupire. Il meurt sans le dire. Savez-vous son nom? Oh non! HARMONIES POÉTIQUES Fl-fiir tout prodige et loiU mystère, L'abîme ainer est son berceau; Nul fil ne rattache à la terre, Nulle main ne la désaltère, Nulle ancre ne la tient sous l'eau. Savez-vous son nom? Le flot le soupire. Il fuit sans le (lire. Savez-vous son nom? Oh non ! I Elle est pâle comme une joue Dont l'amour a bu les couleurs; Et quand la vague la secoue. De son bouton, qui se dénoue, H pleut une sève de pleurs. Savez-vous son nom? Le Ilot le soupire, Il fuit sans le dire. Savez-vous son nom? Oh non! Les cygnes noirs nagent en troupe, Pour voir de près fleurir ses yeux ; Le pêcheur,' penché sur sa poupe, Croit qu'une étoile du saint groupe Est tombée, en dormant, des cieux. ET RELIGIEUSES. 155 Savez-vous son nom ? Le flot le soupire, Il fuit sans le dire. Savez-vous son nom? Oh non ! Elle ondoie avec la surface Du courant qui croit l'entraîner; Mais le jour ou le flot qui passe La retrouve à la même place Où notre œil semble l'enchaîner. Savez-vous son nom? Le flot le soupire, Il fuit sans le dire. Savez-vous son nom? Oh non! Le marin dit : « Comment prend-elle Sa douce vie au flot amer? Plante unique et surnaturelle, Pour puiser sa sève immortelle, Plonge-t-elle au fond de la mer? » 'b^ Savez-vous son nom? Le flot le soupire, Il fuit sans le dire. Savez-vous son nom? Oh non ! 156 llAHMOMES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES. Le secret de la ileiir niariiie, Je le sais par une autre fleur : Plante sans tige et sans racine, Chacun cherche et nul ne devine Que sa sève sort d'un seul cœur. Savez-vous son nom? Le flot le soupire, 11 fuit sans le dire. Savez-vous son nom? Oh non! III INVOCATION POUR LES GRECS m INVOCATION POUR LES GRECS N'es-tu plus le Dieu des armées? N'es-tu plus le Dieu des combats? Ils périssent, Seigneur, si tu ne réponds pas! L'ombre du cimeterre est déjà sur leurs pas. Aux livides lueurs des cités enflammées, Vois-tu ces bandes désarmées, Ces enfants, ces vieillards, ces vierges alarmées? Ils flottent, au hasard, de l'outrage au trépas; Ils regardent la mer, ils te tendent les bras : N'es-tu plus le Dieu des armées? N'es-tu plus le Dieu des combats? KÎO HARMONIES POETIQUES Jadis ta to levais; tes tribus palpitantes Criaient : « Seigneur! Seigneur! ou jamais, ou demain! » Tu sortais tout armé, tu combattais : soudain L'Assyrien frappé tombait sans voir la main; D'un soufile de ta peur tu balayais ses tentes, Ses ossements blanchis nous traçaient le chemin! Où sont-ils, oi^i sont-ils ces sublimes spectacles Qu'ont vus les flots de Gad et les monts de Séirs? Hé quoi! la terre a des martyrs, Et le ciel n'a plus de miracles? Cependant tout un peuple a crié : « Sauve-moi; Nous tombons en ton nom, nous périssons pour toi! » Les monts l'ont entendu; les échos de l'Attique De caverne en caverne ont répété ses cris; Athène a tressailli sous sa poussière antique, Sparte les a roulés de débris en débris! Les mers l'ont entendu; les vagues sur leurs plages, Les vaisseaux qui passaient, les mâts, l'ont entendu; Les lions sur POEta, l'aigle au sein des nuages: Et toi seul, ô mon Dieu, tu n'as pas répondu! lis t'ont prié. Seigneur, de la nuit à l'aurore. Sous tous les noms divins où l'univers t'adore; Ils ont brisé pour toi leurs dieux, ces dieux mortels; lis ont pétri, Seigneur, avec l'eau des collines, La poudre des tombeaux, les cendres des ruines, Pour te fabriquer des autels, Des autels à Délos, des autels sur Égine, Des autels à Platée, à Leuctre, à Marathon; ET RELIGIEUSES. ICI Des autels sur la grève où pleure Salamine, Des autels sur le cap où méditait Platon. Les prêtres ont conduit le long de leurs rivages Des femmes, des vieillards qui t'invoquaient en chœurs, Des enfants jetant des fleurs Devant les saintes images, Et des veuves en deuil qui cachaient leurs visages Dans leurs mains pleines de pleurs. Le bois de leurs vaisseaux, leurs rochers, leurs murailles, Les ont livrés vivants à leurs persécuteurs; Leurs têtes ont roulé sous les pieds des vainqueurs Comme des boulets morts sur les champs de batailles; Les bourreaux ont plongé la main dans leurs entrailles; Mais ni le fer brûlant, Seigneur, ni les tenailles, N'ont pu t' arracher de leurs cœurs! Et que disent, Seigneur, ces nations armées Contre ce nom sacré que tu ne venges pas? « Tu n'es plus le Dieu des armées! Tu n'es plus le Dieu des combats! » ŒUVR. COMPI. 1i IV LA VOIX HUMAINE IV LA VOIX HUMAINE A MADAME DE B' Oui, je le crois quand je t'écoute, L'harmonie est l'âme des cieux! Et ces mondes flottants où s'élancent nos yeux Sont suspendus sans chaîne à leur brillante voûte, Réglés dans leur mesure et guidés dans leur route Par des accords mélodieux. L'antiquité Ta dit, et souvent son génie Entendit dans la nuit leur lointaine harmonie. 166 UAUMOMES POÉTIQUES Ji> l'eiitciKls piv> de loi : ces astres du matin Oui stMiicnt tle leurs lis les sentiers de l'aurore, Saturne, enveloppé de son anneau lointain, Vénus, que sous leurs pas les ombres font éclorc, Ces phases, ces aspects, ces chœurs, ces nœuds divers, Ces globes attirés, ces sphères cadencées, Ces évolutionscles soleils dans les airs, Sont les notes de l'eu, par Dieu môme tracées. De ces mystérieux concerts. Et pour(iuoi r harmonie à ces globes de flamme Ne peut-elle imposer ses ravissantes lois, Ouand tu peux à ton gré, d'un accord de ta voix. Ralentir ou pi-esser les mouvements de l'âme. Comme la corde d'or qui vibre sous tes doigts? Ouand tes chants, dans les airs s'exhalant en mesure Coulent de soupir en soupir, Comme des flots brillants d'une urne (jui murmure, Sans s'altérer et sans tarir? Quand les accords, liés en notes accouplées, Comme une chaîne d'or par ses chaînons égaux, Se déroulent sans fin en cadences perlées, Sans qu'on puisse en briser les flexibles anneaux: Quand tes accords, jetés en sons courts et rapides, Tombent de tes lèvres limpides Comme autant de grains de cristal, Ou connue des perles solides Qui résonnent sur le métal? ET RELIGIEUSES. 167 Quand l'amour dans ta voix soupire, Quand la haine y gémit des coups qu'elle a frappés, Quand frémit le courroux, quand la langueur expire. Quand la douleur s'y brise en sons entrecoupés. Quand ta voix s'amollit et lutte avec la lyre, Ou que l'enthousiasme, empruntant tes accents, Emporte jusqu'aux cieux, sur l'aile du délire, Mille âmes qui n'ont plus qu'un sens? Notre oreille, enchaînée au son qui la captive, Voudrait éterniser la note fugitive; Et l'âme palpitante asservie à tes chants, Cette âme que ta voix possède tout entière, T' obéit comme la poussière Obéit, dans l'orage, aux caprices des vents. Comment l'air modulé par la fibre sonore Peut-il créer en nous ces sublimes transports? Pourquoi le cœur suit-il un son qui s'évapore? Ah! c'est qu'il est une âme au fond de ces accords! C'est que cette âme, répandue Dans chacun des accents par ta voix modulé, Par le cœur, qui répond, est soudain entendue Avant que le doux son soit encore écoulé. Et que, semblable au son qui dans un temple éveille Mille échos assoupis qui parlent à la fois, Ton âme, dont l'écho vibre dans chaque oreille, Va créer une âme pareille Partout où retentit ta voix. 108 HARMONIES POETIQUES ET RELIGIEUSES. Ali ! quand de^ nuits d'été l'ombre enlin rembrunie y'wiû assoupir l'oreille et reposer les yeux, Lorsque le rossignol enivré d'harmonie Dort, et rend le silence aux bois mélodieux; Quand des astres du ciel , seul et fuyant la foule , L'astre qui fait rêver se dégage à demi. Et que l'œil amoureux suit le fleuve qui roule Un disque renversé dans son flot endormi; Viens chanter sous le dôme où le cygne prélude. Viens chanter aux lueurs des célestes flambeaux, Viens chanter pour la solitude : Consacrés à la nuit, tes chants seront plus beaux! Pour la foule et le jour ta voix est trop sublime; Réserve à la douleur tes airs les plus touchants, N'exhale qu'à ton Dieu le souffle qui t'anime : La plainte et la prière ont inventé les chants. A ces sons plus puissants que la froide parole. Dans l'œil humide encor tu vois les pleurs tarir; Le regret s'attendrit, la douleur se console. L'espérance descend, l'amertume s'envole. Le cœur longtemps fermé s'ouvre par un soupir; L'athée k son insu soulève sa paupière, La bouche d'où jamais ne jaillit la prière Murmure un nom divin pour la première fois. Et des anges des nuits les voix mystérieuses, Et les brûlants soupirs de ces âmes pieuses Qu'ici-bas de la vie enchaîne encor le poids. Sur des ailes mélodieuses Au ciel qu'ouvrent tes chants montent avec la voix! COMMENTAIRE DE LA QUATRIÈME HARMONIE Madame de B*** veut dire ici madame la comtesse Ida de Bombelles, ambassadrice d'Autriche à Florence, à Naples, etc. Madame de Bombelles, née en Danemark, je crois, fille de ma- dame Brown, écrivain célèbre dans son pays, paraissait être une erreur de la nature. Sa beauté était grecque, son génie italien, sa voix céleste. Par le talent elle égalait les premières cantatrices de son temps. Elle avait créé d'inspiration, dans son enfance, 1 art nouveau des attitudes. Elle représentait, d'une pose, d'un geste, d'une draperie, les personnages des grandes scènes historiques. Elle faisait vivre et palpiter les statues. Sa merveilleuse beauté aidait au prestige. C'était la poésie muette. Quand elTe parlait, c'était surtout la bonté. • Il y a peu de temps que le malheur l'a frappée à son tour. Elle a perdu son mari, son rang, sa fortune, sa splendeur. Elle vit obscure et en deuil dans une petite ville d'Allemagne. Elle n'a plus cette cour d'admirateurs passionnés dont nous l'entourions tous les soirs dans son beau palais de FArno; mais comme elle n'avait point de vanité, elle a peu perdu eu perdant les applau- dissements. Les cœurs lui restent. POUR UNE QUÊTE POUR UNE QUETE L'or qu'au plaisir le riche apporte Ne fait que glisser dans sa main ; Le pauvre qui veille à la porte Attend les miettes de ce pain. Aux sons de nos harpes de fêtes, Anges, unissez vos accents; Car tous nos luxes sont des quêtes Où l'art sollicite les sens. 17 -i HARMONIES POÉTinUES ET RELK.IKUSES. Jouissez, heureux de la terre, Dans ce temple à la Charité 1 Le jilaisir est une prière, Kt l'aumône une volupté. VI LA TRISTESSE VI LA TRISTESSE L'âme triste est pareille Au doux ciel de la nuit, Quand l'astre qui sommeille De la voûte vermeille A fait tomber le bruit. Plus pure et plus sonore, On y voit sur ses pas Mille étoiles éclore. Qu'à l'éclatante aurore On n'y soupçonnait pas; ŒL'VP. COMPI.. — ni. 178 IIAUMOMES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES. Des îles de lumière ^ Plus brillantes qu'ici, Et des mondes derrière, Et des flots de poussière • Qui sont mondes aussi. On entend dans Tcspace Les chœurs mystérieux Ou du ciel qui rend grâce, Ou de l'ange qui passe, Ou de l'homme pieux; Et, pures étincelles De nos âmes de feu. Les prières mortelles Sur leurs brûlantes ailes Nous soulèvent un peu. Tristesse qui m'inonde. Coule donc de mes yeux; Coule comme cette onde Où la terre féconde Voit un présent des cieux! Et n'accuse point l'heure Qui te ramène à Dieu! Soit qu'il naisse ou qu'il meure, Il faut que l'homme pleure Ou l'exil, ou l'adieu. vu SOUVENIR vil SOUVENIR A LA PRINCESSE D'ORANGE Il creusait dans la mer son sillage crécume, Le navire grondant qui respire le feu; Nous suivions cette côte où le Vésuve fume : Les cyprès étaient noirs, l'eau verte, le ciel bleu. Une vague enjouée, en poursuivant la poupe, Des perles de la mer aspergeait le bateau, Comme le buis bénit qu'on trempe dans la coupe Sur le front des passants jette le sel et l'eau. 182 11 A II. M CM ES POETIQUES V La nuit dctc, semblable à réternelle aurore, ISous regardait d'en haut avec ses milliers d'yeux; Les étoiles, les fleurs que minuit l'ait («clore, Naissaient sous notre doigt dans les jardins des cicux. Le vaste pont roulait, charmant berceau de femmes : On voyait pour dormir li?ur front se renverser , Quand, sous leurs coudes blancs, le lit des grandes lames S'enflait et se creusait, comme pour les bercer. Le vent sonore et chaud qui soufflait des rivages , Invisible contact de l'invisible amant, Écartait les cheveux de ces pâles visages, Que la lune baisait du haut du firmament. Les unes retenaient leurs muettes haleines; Les autres, par des chants, cherchaient à s'assoupir; Les plus jeunes pleuraient d'ivresse, urnes trop pleines Où la tendresse écume et déborde en soupir. Parmi ce blond essaim de figures pensives , ISIes yeux en suivaient une, accoudée à l'écart. Dont le front se marbrait de pâleurs fugitives, Qui sondait plus d'espace et d'éther d'un regard. L'extase contenue abaissait ses paupières Sur ses yeux inondés de sa félicité ; Ses lèvres semblaient dire au Dieu de ses prières « Ah! fais-moi de cette heure une immortalité! » ET RELIGIEUSES. 183 Et moi, ce (|ui gravait ces nuits dans ma mémoire, Ce n'était pas Todeur du vent de ces climats. Les astres, les cyprès, les flots d'or et de moire, Les groupes de beautés jouant au pied des mâts; C'était ce front pensif, et ce regard sans flamme, Plus profond que l'abîme, hélas! et plus amer, Et ce léger soupir qui soulevait une âme Pure comme le ciel, grande comme la mer! Vlll AU ROSSIGNOL VllI AU ROSSIGNOL Quand ta voix céleste prélude Aux silences des belles nuits, Barde ailé de ma solitude, Tu ne sais pas que je le suis ! Tu ne sais pas que mon oreille. Suspendue à ta douce voix. De r harmonieuse merveille S'enivre longtemps sous les boisi 188 HARMONIES POÉTIQUES V Tu ne sais pas que mon haleine Sur mes lèvres n'ose passer, Ouc mon pied muet foule à peine La feuille qu il craint de froisser! Et qu'enfin un autre poëte, Dont la lyre a moins de secrets, Dans son âme envie et répète Ton hymne nocturne aux forêts! Mais si l'astre des nuits se penche Aux bords des monts pour t'écouter, Tu te caches de branche en branche Au rayon qui vient y flotter; Et si la source qui repousse L'humble caillou qui l'arrêtait Élève une voix sous la mousse , La tienne se trouble et se tait. Ah ! ta voix touchante ou sublime Est trop pure pour ce bas lieu : Cette musique qui t'anime Est un instinct qui monte à Dieu. Tes gazouillements, ton murmure, Sont un mélange harmonieux Des plus doux bruits de la nature, Des plus vagues soupirs des cieux. ET RELIGIEUSES. 189 Ta voix, qui peut-être s'ignore, Est la voix du bleu firmament, De l'arbre, de l'antre sonore. Du vallon sous l'ombre dormant. Tu prends les sons que tu recueilles Dans les gazouillements des flots, Dans les frémissements des feuilles, Dans les bruits mourants des échos, Dans l'eau qui filtre goutte à goutte Du rocher nu dans le bassin , Et qui résonne sous sa voûte En ridant l'azur de son sein ; Dans les \oluptueuses plaintes Qui sortent la nuit des rameaux , Dans les voix des vagues éteintes Sur le sable ou dans les roseaux ; Et de ces doux sons, où se môle L'instinct céleste qui t'instruit. Dieu fit ta voix, ô Philomèle ! Et tu fais ton hymne à la nuit. Ah! ces douces scènes nocturnes, Ces pieux mystères du soir. Et ces fleurs qui penchent leurs urnes Comme l'urne d'un encensoir. 190 IIAUMOMKS POETIQUES ET RELIGIEUSES. (les feuilles où treinblent des larmes, Ces fraîches haleines ûca bois, 0 Nature, avaient trop de charmes Pour n'avoir jkis aussi leur voix ! Et cette voix mystérieuse Qu'écoutent les anges et moi, Ce soupir de la nuit pieuse, Oiseau mélodieux, c'est toi! Oh ! mêle ta voix à la mienne ! La mcMne oreille nous entend ; Mais ta prière aérienne Monte mieux au ciel qui l'attend. Elle est l'écho d'une nature Oui n'est qu'amour et pureté, Le brûlant et divin murmure. L'hymne flottant des nuits d'été. Et nous, dans cette voix sans charmes Qui gémit en sortant du cœur, On sent toujours treml)ler des larmes. Ou retentir iinc douleur ! COMMENTAIRE DE LA HUITIÈME HARMONIE Ces strophes au rossignol ont été écrites à Saint-Point, dans le petit bois do haute futaie dont il ne reste que trente-deux arbres, auprès de la source et du bassin. Depuis que la nécessité m'a contraint à vendre presque tous les beaux arbres, les rossignols ne viennent plus. C'est là aussi que j'ai écrit le premier volume de Jocehjn; le second volume, sur le pont de mon navin; et sous les cèdres du mont Liban. IX UNE FLEUR ŒUVR. COMPL. — m. 13 IX UNE FLEUR MÉLODIE Cette fleur est pour moi la date d'une année Que le fleuve du temps a noyée en son cours ; Vingt fois la même fleur s'est rouverte et fanée Depuis... Mais celle-là me fait rêver toujours. C'était un de ces jours que jamais on n'oublie, Jour de bonheur suprême, hélas! sans lendemain. Celle que j'adorais, et qui l'avait cueillie, Quand le soir fut venu l'efl'euilla dans ma main. 196 HARMONIES POÉTIQUES ET UELTGIEUSES. «Le soleil est coiiclié ; mais gardons, me dit-elle. » Qudqiie chose du moins du jour évanoui. .. L'heure qui vit s'ouvrir cette tleur sous son aile » Est la même qui vil mon cœur épanoui. » Nous ne pouvons, hélas! enchaîner à la rive .) Vn seul des flots du temps, qu'il soit amer ou doux ; » Mais nous pouvons semer sur Tonde fugitive » Nos débris de bonheur en mémoire de nous ! » L'homme heureux de Samos ' aux flots jeta sa bague , Pour éprouver les dieux et tenter son bonheur. Le Ilot la lui rendit... Nous, jetons ii la vague, A la vague du temps, ce jour et cette fleur! Et si Dieu nous les rend, même dans l'autre monde, Rendons grâce à la vie, et disons : « Gloire à lui! >• Le chemin est bien long, la nuit est bien profonde; Mais le ciel n'est pas loin , car l'amour nous a lui ! Pùlycrafc. HYMNE DE L'ANGE DE LA TERRE APRES LA DESTRUCTION DU GLOBE X HYMNE DE L'ANGE DE LA TERRE APRÈS LA DESTRUCTION DU GLOBE La terre n'était plus qu'une tombe fermée; Masse informe et muette, éteinte, inanimée, Elle flottait au rang qu'elle avait occupé : Comme un vaisseau muet que la foudre a frappé , Quand la main qui le guide est tombée eu poussière, Suit encore un moment sa rapide carrière. Puis chancelle et s'arrête, et de ses flancs déserts Ne rend plus qu'un son creux au sourd roulis des mers. La vie, en remontant à sa source suprême, La vie avait quitté jusqu'aux éléments môme ; Le dernier des vivants, d'où son souffle avait fui, Était mort; et la terre était morte avec lui, 200 HARMONIES POETIQUES Morte avec tous ses fruits, morte avec tout leur germe, Morte avec chaque loi que chaque règne enferme, Morte avec tous ses bruits et tous ses mouvements, Avec tous ses instincts et tous ses sentiments, Morte avec tous ses feux éteints dans ses abîmes, Morte avec ses vapeurs retombant de ses cimes, Morte avec tous ses vents; et son silence seul L'enveloppait partout comme un morne linceul. Un soleil sans rayons, de ses rellels funèbres Ne pouvait que pâlir ces flottantes ténèbres ; Rien n'y réiléchissait l'aurore ni le soir: Tel , dans un œil éteint qui ne peut plus la voir, La clarté d'un flambeau tombe en vain; la paupière, Comme un miroir terni, change en nuit la lumière. C'était un point obscur dans le vide de l'air. Un cadavre flottant sur les flots de l'éther ; Et l'esprit du Seigneur, en traversant l'espace. Avec crainte et dégoût s'éloignait de sa trace; Mais, semblable à l'amour qui survit au trépas, Un seul ange du moins ne l'abandonnait pas. C'était ce grand esprit, cette âme universelle, (Jui vivait, qui sentait, qui végétait pour elle; Être presque divin dont elle était le corps, Oui de sa masse inerte agitait les ressorts, Dont l'homme avait nié rintclligence obscure. Ou que, sans la comprendre, il nommait la Nature. Quand elle eut accompli ses destins et ses lois. L'esprit avait repris sa forme d'autrefois. De céleste et d'humain harmonieux mélange, C'était un homme avec les ailes d'un archange; Mais un homme agrandi, sublime, colossal. De cet être déchu type primordial, I ET RELIGIEUSES. 201 Du Dieu C{ui le créa première et grande image, Assis sur un coteau de ce divin rivage Où jadis Parthénope avait devant ses yeux Réfléchi dans les mers comme un morceau des cieux ; Lieux chers à ses regards, lieux que sa main féconde Se plaisait à parer, comme un jardin du monde, Et de l'ombre des monts, et de l'azur des mers, Et de l'éclat du ciel , et du parfum des airs ; Ses pieds pendaient d'en haut sur un immense abîme Dont l'écume des flots avait rongé la cime ; Lieux vides maintenant de lumière et de bruit. D'où ne remontait plus que silence et que nuit. Son coude s'appuyait sur la crête aplatie De ce mont qui, jetant la cendre et l'incendie. Secouait de ses flancs les hameaux ébranlés : Ses flancs vides rendaient des sons creux et fêlés. Ses blancs cheveux tombant comme une neige épaisse. Contemporains du globe, annonçaient sa vieillesse; Mais les membres nerveux de cet enfant du ciel Laissaient dans le vieillard deviner l'immortel. De ses deux larges mains il couvrait son visage. Pareilles par leur masse à des gouttes d'orage. Des larmes, de ses yeux vainement essuyés. Ruisselaient dans ses doigts et pleuvaient à ses pies. 11 comprimait en vain cette angoisse divine ; On entendait de loin gronder dans sa poitrine Le bruit sourd et plaintif de ses vastes sanglots. Et des cris étouffés qu'entrecoupaient ces mots : « Est-ce toi, terre inanimée? Est-ce toi que j'ai vue, hélas! il n'est qu'un jour, 20-2 IIAUMOXIES POETIQUES Des doigts de Jéhovah l'élancer enllaniniée Comme une étincelle allumée Au foyer de vie et d'amour? » Les étoiles tes sœurs pâlirent De honte et de ravissement; Tu passas dans le ciel et les astres jaillirent , Et les vagues d'azur sous ton poids s'assouplirent, . Pour bercer ton globe écumant. «Sur ton front qui venait d'éclore, Ta lune et ton soleil combattaient de clarté; Plus pur que ton midi, plus doux que ton aurore, Le regard de ton Dieu t'illuminait encore De vie et d'immortalité. » Quels destins tu portais! — Étouffés dans leur germe Que d'êtres immortels ton sein devait nourrir! Où sont-ils? Est-il vrai? ce peu de cendre enferme Ce qui ne dut jamais mourir? Et d'une étoile, hélas! tu n'es plus que la cendre, Que le noyau d'un fruit que le vci' a rongé, Qu'un rocher qui va se fendre Dans le feu qui l'a jugé! » Ah! pleurez avec moi, planètes ses compagnes, Étoiles qui semiez ses tentes de mille yeux. Soleils dont les rayons inondaient ses campagnes, Nuages qui jetiez l'ombre sur ses montagnes! Pleurez! la mort est dans les cieux. ET RELIGIEUSES. 203 » Quand tu fluflais comme un navire Dans l'écume de feu de l'aurore ou du soir; Quand tes mers, se gonflant comme un sein qui respire. Venaient lécher du flot le bord (|ui les attire, Et polir sous tes caps un onduleiix miroir, Où tes divers tableaux que ridait le zéphire Brillaient et s'effaçaient comme un léger sourire Que l'œil voudrait fixer et ne fait qu'entrevoir; » Quand tes cimes portaient le palais des nuages. Et que, fendant soudain leur cintre divisé, Les rayons, se mêlant aux lueurs des orages, Sur les flancs des rochers sauvages Ruisselaient de plages en plages, Comme un éclair perçant sous un dôme brisé; Quand ce jour faux et teint d'une couleur qui change, Flottant au gré de l'aquilon, Comme un reflet de feu des ailes d'un archange. Glissait en colorant ton magique horizon. Et, frappant tour à tour ta crête ou tes abîmes, Faisait étinceler tes neiges sur tes cimes. Tes cascades pleuvant dans leurs gouffres poudreux , Tes hameaux blanchissant sur un fond ténébreux, Tes fleuves engouffrés sous leur arche arrondie, Et tes mers écumant comme un vaste incendie, Et les toits des cités resplendissant de feux : » Oh! qui pouvait te voir sans palpiter d'extase, Sans tomber à genoux devant ton créateur? Oh! qui pourrait te voir sans qu'un poids ne l'écrase^ Un poids comme le mien, de honte et de malheur? ;i04 iiAinioMEs POETiQi i:s y (juc d'èlros animait ton ànic intarissable, Depuis riiunible fourmi dans ses cités de sable Jusqu'à l'aigle du ciel qm donnait sur le viMit! Dans tes jeux inlhiis que de force et de grâce, Depuis le cygne blanc qui vogue sur la trace Du cygne sur Tonde glissant, Depuis le doux ramier dont le cou s'entrelace An cou du ramier gémissant, Depuis le paon altier dont l'aube peint la roue. Depuis le lévrier dont les flancs sont la proue, Depuis le fier coursier au cœur obéissant, Jusqu'au lourd éléphant, tour vivante et mobile, Que la voix d'un enfant par l'amour rend docile, Jusqu'au lion frémissant Oui d'un ongle courbé creuse en vain la poussière, Fait dans ses sourds naseaux rugir l'air menaçant, Et, de son cou gonflé secouant la crinière, Renvoie obliquement l'éclair de la lumière, Et n'a sous sa paupière Que des feux et du sang ! » Et (luclle vaste intelligence S'élevait par degrés de la terre au Seigneur, Depuis l'instinct grossier de la brute existence, Depuis l'aveugle soif du terrestre bonheur, Jusqu'à l'àn^e qui loue, et qui prie, et qui pense, ^ Jusqu'au soupir d'un cœur Qu'emporte d'un seul trait l'immortelle espérance Au sein de son auteur ! » 0 race aveugle! ô race à sa perte obstinée! Hommes qui n'avez rien conquis que le trépas. ET RELIGIEUSES. 20; Qu'aviez- vous à faire ici-bas? Jouir, aimer, bénir, c'était leur destinée î L'ange enviait leur sort, il ne leur suffît pas! » Et le voilà, cet enfant de lumière! Et le voilà cet héritier des cieux ! Pas un souffle, un soupir! muet comme la pierre! Et toute cette poussière Se crut une fois des dieux ! » Il dit; et, remontant aux voûtes éternelles. Il secoua de loin la poudre de ses ailes. Pour la revoir encore une fois s'abaissa; Puis son ombre divine à jamais s'effaça. COMMENTAIRE DE LA DIXIÈME HARMONIE Ceci est un fragment d'un poëme sacré sur les mondes, qui n'a jamais été fini. XI LES SAISONS Œc VR. coM Pi.. — m. \'^ XI LES SAISONS A M. CABARRUS Au printemps, les lis des champs filent Leur tunique aux chastes couleurs; Les gouttes que les nuits distillent Le matin se changent en fleurs. La terre est un faisceau de tiges Dont l'odeur donne des vertiges Qui font délirer tous les sens; Les brises folles, les mains pleines, Portent à Dieu , dans leurs haleines Tout ce que ce globe a d'encens. 212 HARMONIES POÉTIQUES Kn été, les leiiillagcs sombres, Où llottent les chants des oiseaux , Jettent le voile de leurs ombres Entre le soleil et les eaux; Des sillons les vagues fécondes Font un océan de leurs ondes, Où s'entre-choquent les épis; Le chaume, en or changeant ses herbes, Fait un oreiller de ses gerbes Sous les moissonneurs assoupis. Ainsi qu'une hôtesse attentive Après le pain donne le miel, L'automne à Tliomme son convive Sert tour à tour les fruits du ciel : Le raisin pend, la figue pleure, La banane épaissit son beurre, La cerise luit sous l'émail, La pêche de duvet s'épluche, Et la grenade, verte ruche. Ouvre ses rayons de corail. L'hiver, du lait des neiges neuves Couvrant les nuageux sommets, Oonfle ces mamelles des fleuves D'un suc qui ne tarit jamais. Le bois mort, ce fruit de décembre. Tombe du chêne que démembre La main qui le fit verdoyer. Et, couvé dans le creux de l'àtre, II rallume au souffle du pâtre Le feu , ce soleil du foyer. ET RELIGIEUSES. 213 0 Providence! ô vaste aumône Dont tout être est le mendiant ! Vœux et grâce autour de ton trône Montent sans cesse en suppliant. Quels pleurs ou quels parfums répandre?... Hélas! nous n'avons à te rendre Rien, que les dons que tu nous fais. Reçois de toute créature Ce Te Deiim de la nature, Ses misères et tes bienfaits ! XII LE SOLITAIRE I XII LE SOLITAIRE HYMNE L'aube sur le rocher lance un trait de lumière ; L'oiseau chante avant moi : « Béni soit le Seigneur Ce nom est plus tôt dans mon cœur Que le jour n'est dans ma paupière. Je disais autrefois : « Que ferai-je aujourd'hui ? » Et la gloire, et l'amour, et mes vaines pensées, Disputaient au réveil mes heures insensées ; Mais le cœur me disait : « Tous les jours sont à lui ! » 218 HARMONIES POETIOIKS Tous mes jours iiKiintcnant sont à lui io^ Pleures-tu Taïcule, La mère et la sceur?;îii'o5 ; Vois, je peuple seule ÏL-p zioV Ce foyer du cœur!,T.;i!i'r/Ô7 .'d/. "■' -oq Grillon solitaire, Voix qui sort de terre. Ah! réveille-toi Pour moi ! ..,.u L'âtre qui pétille, Le cri renaissant, Des voix de famille M'imitent l'accent; Mon âme s'y plonge; Je ferme les yeux, Et j'entends en songe Mes amis des cieux. Grillon solitaire, Voix qui sort de terre. Ah! réveille-toi Pour moi ! Tu me dis des choses, Des choses au cœur, Comme en dit aux rose Leur oiseau rêveur!... ŒUVR. COMPI.. — III. ii 242 IIAUMOMES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES. Qu'il chante pour elles Ses notes au volî Voix triste et sans ailes, Sois mon rossignol! Grillon solitaire, Voix qui sort de terre. Ah î réveille-toi Pour moi! Monceau, '-i!» mai 1845. XVI NOVISSIMA VERBA OU MON AME EST TRISTE JUSQU'A LA MORT ' -^rj;];/ J^{^'^'>'^ /^'/^ .< Jl lT) Je n'entendsi au dehors qxie le lugubre . bruit ; - ^ . . ^;; (( Du balancier, qui, dit: : « Le temps marche et te fuit ! » ) 24»; IIAUMOMES POÉTIQUES Au dedans, que le pouls, balancier de la vie. Dont les coups inégaux, dans ma tempe engourdie. M'annoncent sourdement que le doigt de la mort De la machine humaine a pressé le ressort, Kt que, semblable au char qu'un coursier précipite, C'est pour mieux se briser qu'il s'élance plus vite. Et c'est donc là le terme! — Ah! s'il faut une fois Que chaque homme à son tour élève enfin la voix, C'est alors, c'est avant qu'une terre glacée Engloutisse avec lui sa dernière pensée; C'est à cette heure môme où, près de s'exhaler, Toute âme a son secret qu'elle veut révéler, Son mot à dire au monde, à la mort, à la vie, Avant (juc pour jamais, éteinte, évanouie. Elle en ait disparu, comme un feu de la nuit Qui ne laisse après soi ni lumière ni bruit! Que laissons-nous, ô vie, hélas! quand tu t'envoles? Rien, que ce léger bruit des dernières paroles. Court écho de nos pas, pareil au bruit plaintif Que fait en palpitant la voile de l'esquif. Au murmure d'une eau courante et fugitive Qui gémit sur sa pente et se plaint h sa rive. Ah I domions-nous du moins ce charme consolant D'entendre murmurer ce souffle en l'exhalant! Parlons, puisqu'un vain son que suit un long silence Est le seul monument de toute une existence, La pierre qui constate une vie ici-bas; Comme ces marbres noirs qu'on élève au trépas Dans ces champs, du cercueil solitaire domaine, Qui marquent d'une date une poussière humaine. ET RELIGIEUSES. 247 Et disent à notre œil, de néant convaincu : « Un homme a passé là! cette argile a vécu ! » Paroles, faible écho qui trompez le génie; Enfantement sans fruit! douloureuse agonie De Tâme consumée en efforts impuissants, Qui veut se reproduire au moins dans ses accents, Et qui, lorsqu'elle croit contempler son image. Vous voit évanouir en fumée , en nuage : Ah! du moins aujourd'hui servez mieux ma douleur! Condensez-vous, ainsi que l'ardente vapeur Qui, s'élevant le soir des sommets de la terre, Se condense en nuée et jaillit en tonnerre ! Comme l'eau des torrents , parole , amasse-toi , Afin de révéler ce qui s'agite en moi; Pour dire à cet abîme appelé vie ou tombe, A la nuit d'où je sors, à celle où je retombe, A ce je ne sais quoi qui m'envie un instant; Pour lui dire à mon tour, sans savoir s'il m'entend : « Et moi je passe aussi parmi l'immense foule D'êtres créés, détruits, qui devant toi s'écoule! J'ai vu, pensé, senti, souffert; et je m'en vais. Ébloui d'un éclair qui s'éteint pour jamais. Et saluant d'un cri d'horreur ou d'espérance La rive que je quitte et celle où je m'élance, Comme un homme jugé, condamné sans retour A se précipiter du sommet d'une tour, • Au moment formidable où son pied perd la cime. D'un cri de désespoir remplit du moins l'abîme! » 248 llAIUlpNI^S rCMvTHH'ES •Kai VL'CU, c'cst-yr-du'e à inoi-iuènjc iiicoiiuu,.,, /; in'jriib \:\ Ma mère en gtJmi?smU ip'a jeté; lai})le,fît, j^u^; irnffiod n'.f ■ J'ai compté dans le ciel le coucher et Taurorc D'un astre qui descend pour remonter encore, Et dont i'honmic qui s'use à les compter en vain Attend, toujours trompé, toujours un lendemain. Mon àme a, quelques, JQurS;,;flnimé 4c, sa, vi§i(lif;i .;-jluiJiM Un peu de cette fange à ces sillqns ratyle^mu^^ taoinoJn/;ln!rl Oui répugnait à vivre et tpndai^ii ,lt|,jnQi;-^,,p,,f^.^ oiruVI oG Faisait pour se dissoudi'c uii éternel .ctTw^i.jo'i % lu^/ ino Et que par.1% douleur jejrpten^i?, à iP^ip^flonp^^fol .jup t^l La douleur! nœud fatal, mystérieuse cha^nei,;/;^ jiov àuoY Qui dans Thommc étonné réupit pour ui,i: joui; ijorn ub \i\J Deux natures luttant daitô .i\iî,cpntr^i|*e,amQU^',y_,^r,>.f,.j{j(ffj'( Et dont chaci^nç;à,,p£^r>^fai^.4ign,Ç)t^'ie^v4e,tf,,;7':j|'Vô Jun L'une dans son :néai).t,«i^!ra.utrç|;dans saiiiviei,^, '»>fiobnoj '/< Si la vie et la mort ne sont i^as même, hélasl,: /; ,1,-,;,,' Deux mots créés par l'homme,, et que, Dieu i^'ç^itçn^l.Pf^^/ Maintenant, ce liqn que chacun ,^'eu.v,acfiusQ% /• o'ilb inu'l Près de se rqmprp,cnfm sous,;^ dpule^cqpii|!u^^i,;,i j;i / Laisse s'évanouir cpmme un, rèyç, Ipgpii,,,,^ >,j,;^. ^n of oo /. L'inexplicable tout qui veut.se partager. „ff (■ oiib inl •mo*'! Je ne tenterai pas d'en renouer la tram,ç,i^>f;q r,j i,jfff j^i , J'abandonne |à; iQur chance. )ct: WQS, sGii^iÇt-mqo .^ij^e^inj. /(i Qu'ils aillent, où Dieu sait, chaçun.de l(?,ujc cô,ténfj .iu i//l Adieu, monde fuyant! Nature, huma.jjilé:ii;| j., f(,jb iuold/i Vaine forme de l'ùlrtf^ qmbrc (l"uu,mé,téQre„,, |. n\,;u\i;< l/i Nous nous conu^is^QHSi trpp.pQVir,;iQys,M]'■' ET RELIGIî:l>SES.; / Il 540 Depuis les doux flocons de la, brillante écume rjnj/iji.]'/. J Qui nage aux bords dorés de tu coupe qui lume,o/jj<>'i.) (i() Quand l'enfant enivréJui souriti'ieft' croiti'y(>iriif)/j;'b \\\s.il Une immortalité dans raumreeit je soirv), \ >"> ^uiA) •jii|j>nl Ou qu'en brisant les bords contre sa dent avide, biiotno i '. Le jeune homme d^un trait la savoure et la vide'j-ij/' -A ■':i Jusqu'à la lie épaisse; et fade que Iç tempsMiiiî'ic! ■;( \)unif(j Dépose au fond du vase, et mêle^ auX flots restants t Imf.uU Quand de sa main tremblante un vieiHard' la; soulovel,)nf;ijO Et par seule habitude en répugnai>l rachè\:e. ' ■>!! < bnnn^J Tu n'es qu'un faux sentier qui retourne à la mort , Un fleuve qui se perd au sable dont il sort, Une dérision d'un être habile à nuire, Qui s'amuse sans but à créer pour détruire. Et qui de nous tromper se fait un divin jeuli; ritO .'inuffiy Ou plutôt n'esHtli pas une échelle de feu Dlq ommud in/, Dont l'échelon brûlant s'attache au pied qui monté ^d ,\ii/. Et qu'il faut cependant que tout mortel. affrqntei?jj);>. Ino'/C .ofn6rn-io^ t(i/;bfoq o> no oi/ /.< Tyiiurnurj oH .ôlidnri lno> iut ob tir/{ h ■vfxiodi m; r-.nub .i'A !''»I((rfO!0 0-f((')'K[ i;;^ hj',^ iij( i; O'Uii'l 'jr: o(i Que tu sais bien dorer 'ton magique' lointain !);jf in .^/jniffc/'i Qu'il est beau rhorizon de ton riant matin ^.of> tuy/r/i \in> Quand le premier amour eH la ifraîche' espérance/; ^.Wi ol >'. Nous entr'ouvrent l'espace/ où liiotre;âJile'S'élandegi nunuo't N'emportant avec soi qu'innocence et beauté^*).- lujyj iiol/. Et que d'uuiseul objetaioti'e-cœun enchanté-MtKiMj jjj-.bfc/'l Dit comme Roméoi :.« Non, ce ai' est pàsii'auroreb'n on mI. » Aimons toujowrsii l'Ioiseauj-Hie. dianteipaSiëncoro.! »)np 'j') Tout le bonheur de rhommeestidans celseiil instaiiti^jp ••;• Le sentier de nos jours n'est vcti"fe 'qu'en le niiontant. m -A De ce point idcfUi^'ie. ou l'on. en sont le tiei-uie^ -i/'»/ i-j'. i On voit s'évanQuà^toutlee'qu'leiliG Tenferrao^id -.•A) ^JoidiuO 250 HARMONIES POETIQUES L'cspc'i'.ince reprend son vol vers Torienl ; On trouve au fond de tout, le vide et le néant; Avant d'avoir goûté, Tàme se rassasie; Jusque dans cet amour qui peut créer la \ le On entend une voix : « Vous créez pour mourir! » Et le baiser de feu sent un IVisson courir. Quand le bonheur n'a plus ni lointain ni mystère, Ouand le nuage d'or laisse à nu cette terre, Quand la vie une fois a perdu son erreur. Quand elle ne ment plus, c'en est fait du bonheur I Amour, être de l'être! amour, âme de l'àme! Nul homme plus que moi ne vécut de ta flamme! Nul, bridant de ta soif sans jamais l'épuiser. N'eut sacrifié plus pour t'immortaliser! Nul ne désira plus dans l'autre âme qu'il aime De concentrer sa vie en se perdant soi-même, Et, dans un monde à part de toi seul habité, De se faire à lui seul sa propre éternité! Femmes, anges mortels, création divine. Seul rayon dont la vie un moment s'illumine. Je le dis à cette heure, heure de vérité, Comme je l'aurais dit quand devant la beauté Mon cœur épanoui, qui se sentait éclore, Fondiiit comme une neige aux rayons de l'aurore! Je ne regrette rien de ce monde que vous: Ce que la vie humaine a d'amer et de doux. Ce qui la fait brûler, ce qui trahit en elle Je ne sais quel parfum de la vie immortelle, C'est vous seules ! Par vous toute joie est amour. Ombres des biens parfaits du céleste séjour, ET RELIGIEUSES. 251 Vous êtes ici-bas la goutte sans mélange Que Dieu laissa tomber de la coupe de l'ange. L'étoile qui, brillant dans une vaste nuit, Dit seule à nos regards qu'un autre monde luit. Le seul garant enfin que le bonheur suprême, Ce bonheur que Famour puise dans l'amour même. N'est pas un songe vain créé pour nous tenter; Qu'il existe, ou plutôt qu'il pourrait exister, Si, brûlant à jamais du feu qui nous dévore, Vous et l'être adoré dont Tàme vous adore. L'innocence, l'amour, le désir, la beauté, Pouvaient ravir aux dieux leur immortalité ! Quand vous vous desséchez sur le cœur qui vous aime, Ou que ce cœur flétri se dessèche lui-même, Quand le foyer divin qui brûle encore en nous Ne peut plus rallumer sa flamme éteinte en vous. Que nul sein ne bat plus quand le nôtre soupire, Que nul front ne rougit sous notre œil qu'il attire. Et que la conscience avec un cri d' effroi Nous dit : « Ce n'est plus toi qu'elles aiment en toi ! » Alors, comme un esprit exilé de sa sphère Se résigne en pleurant aux ombres de la terre, Détachant de vos pas nos yeux voilés de pleurs. Aux faux biens d'ici-bas nous dévouons nos cœurs : Les uns, sacrifiant leur vie à leur mémoire, Adorent un écho qu'ils appellent la gloire ; Ceux-ci de la faveur assiègent les sentiers; Et veulent au néant arriver les premiers ; Ceux-là, des voluptés vidant la coupe infâme. Pour mourir tout vivants assoupissent leur àme ; 252 IIAUMO-NIES POÉTIQUES ITaulivs, accLinuilant pour curouir cucot,([ )^o"/I iNi de mon âme une heure agité la surface^ .ji-^i/') ii'i/Q Pas plus que le nuage, ou l'ombre desrameauX htiidrci .i^ Ne ride en s'y peignant la surface des eaux, /ii/i )> <.,'■'/ Après l'amour éteint si Je vécus encore^ lo-.'l .oofiTiOftnrj C'est pour la vérité, soif a:ussi ([ui dévore;! li^rt lnoru/f/'/f Ombre de nasidé^^irs, trompeuse vérité,) -ifo/ -uo/ ()i(i;(((^; Que de nuits sans sommeil ne m'as-tu pas. coûté,; Mip iiD A moi commçiaax esprits fameux (k- tous les ,âgesl f)iii,ii(;i Que l'ignorance humaine, hélas î appela Sagcs!i!<( )()m( ■)/. Tandis qu'au fond du cœur riant de leur vertui,!-. luti oiif,> Us disaient en niourant : « Science, que sais-tuVi* Idk oijU Ah! si ton pur rayon descendait sur la terr^^;)'; r,[ mui; il Nous tomberions frappés comme par le tonnA5rre:!)if> >i/o/ Mais ce désir est faux comme tous nos désira ^i ii.jj ,>.(•;(/> C'est un sogpir de pkis parmi nos vains HOi^pir.s!,!;ii>.V( o>! La tombe. est dq l'amour ic/fond lugubï^e-et/sohibrej' .,;.'! La vérité toujours a no« /erreurs ixjuf ombFei,)ifl /uct /u/ Chaque jour prend pour elle un rêve dct l'esprit' .>j\\i r').\ Qu'un autre jour.salUc^ adore, ^qtpuisi^audil I^/ lurro?)/. : -.■\'j[UV)< ■■">[ )•(■..:.■';; 'fO'j/Ji't j;l ob i'j--/i/'/J ; i^'f'jiffiriq >.'jl 'l'y/irir, tufi-Wi iii; IicjIu'j/ t.-l .'jffiiVliii oqiJ'V) j;l hiJibiv ^ôtqtjloy >.ob ./'il-/.0'j.'' ^. i ?E T R ELI G ÏE U StlSl / '■ I S&â Avez-vous vu, le soir d'un jour mêlé d'oràgéfio» Mi'i')/ r,.l Le soleil qui descend de nuage éii nuagie,i'J' ^ 'i'j) 'um'i \)(\ A mesure qu'il baisse et retire le jour^ i ''; '>'f>\ Jiov /'>. Il De ses reflets de feu les dorer tour à'tour? fn.))- îI'! hf.cAiij L'œil les voit s'enflammer sous son disque- qâi' passé /^^^ ff Et dans ce voile ardent croit adorer sa, tmcé'':f!'';f''j't ^o*: C-\ '( Le voilà f dites-vous,-dans la blanche toison i*; t>ijp/;f]'i Que le souffle du soir balance à l'horizon I !■■; 'i '^1- - : i"'*l Le voici dans les feux dont cette pourpre édateÎT» '' ' Non, non, c'est lui teint ces flocons d'écarlate; Non, c'est lui qui, trahi par ce flux de clarté, ^ ii , hb il A fendu d'un rayon ce nuage argenté. - -lirnu! >/}.] Voile impuissant! le jour sous l'obstacle étincelle !-'• nuO C'est lui : la nue est pleine et la pourpre en ruisselle: Î-^'H Et tandis que. votre œil à cette ombre attaché nbr/tff'i !l Croit posséder enfin l'astre déjà couchéyiii.-iniq*' , orrrlilsv^ La nue à vos regards fond et se décolore; !i In'.'fiup ,^Jjj*1 Ce n'est qu'une vapeur qui flotte et s'évapore»;!* 'n p -i-i'oT Vous le cherchez plus loin, déjà, déjà trop tardi!ri'''!q { H Le soleil est toujours au delà du regard; /ibjjo't 'jjjoï n'J Et, le suivant en vain de nuage en nuage, n'^.^ ri ni/ Non, ce n'est jamais lui, c'est toujours son imagée'!'!' '•'"^ Voilà la vérité! Chaque siècle à son tour' • ■ i Croit soulever son voile et marcher à son jour; 'I Mais celle qu'aujourd'hui notre ignorance adore'^ 'Hnnn'.) Demain n'est qu'un nuage ; une autre est près d*'éolOî(''?'^ A mesure qu'il marche et la proclame en vain, 'lini' il .1 La vérité qui-fuit trompe l'espoir humain, v-'-ld no lib ï:\ Et l'homme qui la voit dans ses reflets sans nombre En croyant l'embrasser n'embrasse que son ombre. Mais les siècles déçus, sans jamais se lasser, ElTacent leur chemin pour le recommencer ! :o^f]Cô %on ^Jifi.b 'jT' '■•','! j.i) 1 -.uon /r* ^nq ^o'n ni ,no/^ 254 HARMONIES POETIQUES La vérité complète est le miroir du monde : Du jour qui sort de lui Dieu le frappe et Kinonde ; 11 s'y voit face à face, et seul il peut s'y voir. Quand l'homme ose toucher à ce divin miroir, Il se brise en éclats sous la main des plus sages. Et ses fragments épars sont le jouet des âges. Chaque siècle, chaque homme, assemblant ses débris. Dit : « Je réunirai ces lueurs des es])rits. Et, dans un seul foyer concentrant la lumière, La nature à mes yeux paraîtra tout entière ! » Il dit, il croit, il tente; il rassemble en tous lieu\ Les lumineux fragments d'mi tout mystérieux, D'un espoir sans limite en rêvant il s'embrase. Des systèmes humains il élargit la base, 11 encadre au hasard, dans cette immensité, Système, opinion, mensonge, vérité; Puis, quand il croit avoir ouvert assez d'espace Pour que dans son foyer l'infini se retrace, 11 y plonge ébloui ses avides regards. Un jour foudroyant sort de ces morceaux épars : Mais son œil, partageant l'illusion commune, Voit mille vérités oia Dieu n'en a mis qu'une. Ce foyer, où le tout ne peut jamais entrer, Disperse les lueurs qu'il devait concentrer : Comme nos vains pcnscrs l'un l'autre se détruisent. Ses rayons divergents se croisent et se brisent ; L'homme brise à son tour son miroir en éclats , Et dit en blasphémant : « Vérité, tu n'es pas! » Non, lu n'es pas en nous! tu n'es que dans nos songes. Le fantôme changeant de nos propres mensonges, ET RELIGIEUSES. 255 Le reflet fugitif de quelque astre lointain Que l'homme croit saisir et qui fond sous sa main, L'écho vide et moqueur des mille voix de l'homme, Qui nous répond toujours par le mot qu'on lui nomme! Ta poursuite insensée est sa dernière erreur : Mais ce vain désir même a tari dans mon cœur ; Je ne cherche plus rien à tes clartés funèbres, Je m'abandonne en paix à ces flots de ténèbres. Comme le nautonier, quand le pôle est perdu, Quand sur l'étoile même un voile est étendu, Laissant flotter la barre au gré des vagues sombres. Croise les bras et siffle, et se résigne aux ombres. Sûr de trouver partout la ruine et la mort, Indifférent au moins par quel vent, sur quel bord. Ah ! si vous paraissiez sans ombre et sans emblème, Source de la lumière, et toi lumière même, Ame de l'Infini, qui resplendit de toi! Si, frappés seulement d'un rayon de ta foi, Nous te réfléchissions dans notre intelligence Comme une mer obscure où nage un disque immense , Tout s'évanouirait devant ce pur soleil. Comme l'ombre au matin, comme un songe au réveil; Tout s'évaporerait sous le rayon de flamme : La matière, et l'esprit, et les formes, et l'âme. Tout serait pour nos yeux, à ta pure clarté. Ce qu'est la pâle image à la réalité. La vie, à ton aspect, ne serait plus la vie, Elle s'élèverait triomphante et ravie ; Ou, si ta volonté comprimait son transport. Elle ne serait plus qu'une éternelle mort ! 250 IIAIIMONIKS POETIQUES Malgré le voile épais qui te cach^v'àiïma iyiie', ."' l'»ll'ji oJ . Voilà, voilà' mon mal ! cVst ta soif qui meiuei!ine peut plus ai^soupirVncrq'Vi huoii iuO Je meurs de-ne pouvoir woihmer ce que j'ajdorlô',''fi)<>f| J'»'' Ft si lu m'apparais:, tu voisvije meurs encbreiJ''/ "^'i ^'^•l'- • .?;0'iffônôt of) i'.]o[\ ii'-v) l'i "/i(/| fio 'tfiMobnr.dii'm ol, .lib'ioq 1^') oln([ ol bnr>nj) .'loinoUjiîfi ol ommo.') .îihii'tl') t>.'» ';iio7 iiij ^>ni'')fii oliol'VI 'nj8 brinriO Kt, de mon imi>uissa!nee!àl!a.'fin;co(nv8tin '^> 1"^>' L'éternité vaut-elle uwe heure d'agonie?' '/idrno;i emmo!) La douleur nous précède et nous enfante ail' iOiW,'>'^- ^''^' La douleur à la mort nous enfante à son tour-!''''^*b;fJi jîJ Je ne mesure plus le tcrops qu'elle me laisse^! Irr/io^ luol Comme je mesurais, dans mal vérfcejoune&s«},fî' Jao'up o^) En ajoutant aux jours-dfe l()n^S'j()Urs'àî''V!efWitf>f>^ ^' f^^'^ ^'^^ Mais, en les retranchant do mon chUft aveiiii'V^'^''''»'^- "'"•'' Je dis : « Un jour de plus, un jour de moins; Taw^rre"'* Me retranche un de cciix qui me vestiaient jeocorô p" '^î'-*' ET RELIGIEUSES. 257 Je ne les attends plus, comme dans mon matin, Pleins, brillants, et dorés des rayons du lointain, Mais ternes, mais pâlis, décolorés et vides, Comme une urne fêlée et dont les flancs arides Laissent fuir Teau du ciel que l'homme y cherche en vain. Passé sans souvenir, présent sans lendemain ; Et je sais que le jour est semblable à la veille. Et le matin n'a plus de voix qui me réveille. Et j'envie au tombeau le long sommeille qui dort, Et mon âme est déjà triste con^me la mort ! » Triste comme la mort! Et la mort sou(Tre-t-elle? Le néant se plaint-il à la nuit éternelle ? Ah ! plus triste cent fois que cet heureux néant Qui n'a point à mourir et ne meurt pas vivant. Mon âme est une mort qui se sent et se souffre ; Immortelle agonie, abîme, immense gouffre Où la pensée, en vain cherchant à s'engloutir. En se précipitant ne peut s'anéantir; Un songe sans réveil, une nuit sans aurore. Un feu sans aliment qui brûle et se dévore ; Une cendre brûlante où rien n'est allumé. Mais où tout ce qu'on jette est soudain consumé ; Un délire sans terme, une angoisse éternelle! Mon âme avec effroi regarde derrière elle, Et voit son peu de jours passés, et déjà fi'oids Comme la feuille sèche autour du tronc des bois ; Je regarde en avant , et je ne vois que doute Et ténèbres, couvrant le terme de la route! Mon être à chaque souffle exhale un \Mni de soi : C'était moi qui souffrais, ce n'est déjà plus moi! (EUVR. COMIT,. — III. r/ I 258 HARMONIES TOETIQUES Chaque parole emporte un lambeau de ma vie ; L'homme ainsi s'évapore et passe; et (juand j'a]")piiie ISur l'instabilité de cet être fuyant , A ses tortures près tout semblable au néant, Sur ce moi fugitil', insoluble problème Oui ne se connaît pas et doute de soi-même, Insecte d'un soleil, par un rayon produit, Qui regarde une aurore et rentre dans la nuit, Et que, sentant en moi la stéi-ilc puissance D'embrasser l'infini dans mon intelligence. J'ouvre un regard de Dieu sur la nature et moi. Que je demande à tout, « Pourquoi? pourquoi? pourquoi? »■ Et que, pour seul éclair et pour seule réponse. Dans mon second néant je sens que je m'enfonce. Que je m'évanouis en regrets superflus. Qu'encore une demande, et je ne serai plus! ! ! Alors je suis tenté de prendre l'existence Pour un sarcasme amer d'une aveugle puissance, De lui parler sa langue, et, semblable au mourant Qui trompe l'agonie et rit en expirant, D'abîmer ma raison dans un dernier délire, Et de finir aussi par un éclat de rire ! Ou de dire : «Vivons, et dans la volupté Noyons ce peu d'instants au néant disputé ! Le soir vient : dérobons quelques heures encore Au temps qui nous les jette et qui nous les dévore ; Enivrons-nous du moins de ce poison humain Que la moi't nous présente en nous cachant sa main î . usqu'aux bords de la tombe il croît encor des roses. De naissantes beautés pour le désir écloses, ET RELIGIEUSES. 25'J Dont le cœur fcinl ramour, dont l'œil sait l'imiter, Et que l'orgueil ou l'or fait encore palpiter : Plongeons-nous tout entiers dans ces mers de délices; Puis, au premier dégoût trouvé dans ces calices. Avant l'heure où les sens, de l'ivresse lassés, Font monter l'amertume et disent : « C'est assez ! « Voilà la coupe pleine où de son ambroisie Sous les traits du sommeil la mort éteint la vie ; Buvons : voilà le flot qui ne fera qu'un pli Et nous recouvrira d'un éternel oubli , Glissons-y; dérobons sa proie à l'existence, A la mort sa douleur, au destin sa vengeance, Ces langueurs que la vie au fond laisse croupir, Et jusqu'au sentiment de son dernier soupir ; Et, fût-il un réveil même à ce dernier somme, Défions le destin de faire pis qu'un homme! » Mais cette lâche idée, où je m'appuie en vain. N'est qu'un roseau pliant qui fléchit sous ma main Elle éclaire un moment le fond du précipice, Mais comme l'incendie éclaire l'édifice. Comme le feu du ciel dans un nuage errant Éclaire l'horizon, mais en le déchirant; Ou comme la lueur lugubre et solitaire De la lampe des morts qui veille sous la terre, Éclaire le cadavre aride et desséché. Et le ver du sépulcre à sa proie attaché. Non, dans ce noir chaos, dans ce vide sans terme. Mon âme sent en elle un point d'appui plus ferme. 260 HARMONIES rOÉTIQUES La conscience! instinct crunc autre vérité, Oui guide par sa force et non par sa clarté , Comme on guide l'aveugle en sa sombre carrière, Par la voix, par la main, et non par la lumière. Noble instinct, conscience, ô vérité du cœur! D'un astre encor voilé prophétique chaleur, Tu m'annonces toi seule, en tes mille langages, Quelque chose qui luit derrière ces nuages. Dans quelque obscurité que tu plonges mes pas, Même au fond de la nuit tu ne t'égares pas! Quand ma raison s'éteint, ton flambeau luit encore Tu dis ce qu'elle tait, tu sais ce qu'elle ignore; Quand je n'espère plus, l'espérance est ta voix; Quand je ne crois plus rien, tu parles, et je crois! Et ma main hardiment brise et jette loin d'elle La coupe des plaisirs et la coupe mortelle; Et mon âme, qui veut vivre et souffrir encor. Reprend vers la lumière un généreux essor. Et se fait, dans l'abîme oii la douleur la noie, De l'excès de sa peine une secrète joie; Comme le voyageur parti dès le matin, Qui ne voit pas encor le terme du chemin , Trouve le ciel bi'ûlant, le jour long, le sol rude, ]\Iais, fier de ses sueurs et de sa lassitude, Dit en voyant grandir les ombres des cyprès : « J'ai marché si longtemps que je dois être près! » A ce risque fatal je vis, je me confie; Et dut ce noble instinct, sublime duperie, Sacrifier en vain l'existence à la mort. J'aime à jouer ainsi mon âme avec le sort; ET RELIGIEUSES. 261 A dire, en répandant au seuil d'un autre monde Mon cœur comme un parfum et mes jours comme une onde : « Voyons si la vertu n'est qu'une sainte erreur, L'espérance un dé faux qui trompe la douleur; Et si, dans cette lutte où son regard m'anime, Le Dieu serait ingrat quand l'homme est magnanime! » Alors, semblable à l'ange envoyé du Très-Haut Qui vint sur son fumier prendre Job en défaut, Et qui, trouvant son cœur plus fort que ses murmures, Versa l'huile du ciel sur ses mille blessures, Le souvenir de Dieu descend, et vient à moi, Murmure à mon oreille, et me dit : « Lève-toi! » Et, ravissant mon âme à son lit de souffrance. Sous les regards de Dieu l'emporte et la balance; Et je vois l'infini poindre et se réfléchir Jusqu'aux mers de soleils que la nuit fait blanchir. 11 répand ses rayons et voile la nature; Les concentre, et c'est Dieu; lui seul est sa mesure; 11 puise, sans compter les êtres et les jours. Dans un être et des temps qui débordent toujours; Puis les rappelle à soi comme une mer immense Qui retire sa vague et de nouveau la lance, Et la vie et la mort sont sans cesse et sans fin Ce flux et ce reflux de l'océan divin : Leur grandeur est égale, et n'est pas mesurée Par leur vile matière ou leur courte durée; Un monde est un atome à son immensité. Un moment est un siècle à son éternité. Et je suis, moi, poussière à ses pieds dispersée, Autant que les soleils, car je suis sa pensée; :>{]2 lIAli.MOMKS l'uKTigUES Et rhacun d'eux reroit la loi qu'il lui prescrit, La matière en matière, et l'esprit en esprit! <îraviter est la loi de ces globes de llamme; Souffrir pour expier est le destin de Tàmc; Et je combats en vain l'arrêt mystérieux, Et la vie et la mort, tout l'annonce à mes yeux. L'une et l'autre ne sont ({u'uii dix in sacrifice; Le monde a pour salut l'instrument d'un supplice; Sur ce rocher sanglant où l'arbre en fut planté Les temps ont vu mûrir le fruit de vérité; Et quand l'homme modèle et le Dieu du mystère. Après avoir parlé, voulut quitter la terre. Il ne couronna j)as son front pfdc et souffrant Des roses que Platon respirait en mourant; Il ne fit point descendre une échelle de flamme Pour monter triomphant par les degrés de l'âme : Son échelle céleste, à lui, fut une croix, Et son dernier soupir, et sa dernière voix Une plainte à son Père, un pourquoi sans réponse. Tout semblable à celui que ma bouche prononce!... Car il VU' lui restait que le doute à souffrir, €ette mort de l'esprit qui doit aussi mourir!... Ou bien, de ces hauteurs rappelant ma pensée. Ma mémoire ranime une trace effacée, Et, de mon cœur trompé l'approchant le loinlain, A mes soirs pâlissants rend l'éclat du matin. Et de ceux que j'aimais l'image évanouie Se lève dans mon âme, çl je revis ma vie! ET RELIGIEUSES. 2G3 Un jour, c'était aux bords où les mers du Midi Arrosent l'aloès de leur flot attiédi, Au pied du mont brûlant dont la cendre féconde Des doux vallons d'Enna fait le jardin du monde; C'était aux premiers jours de mon précoce été, Quand le cœur porte en soi son immortalité, Quand nulle feuille encor par l'orage jaunie N'a tombé sous nos pas de l'arbre de la vie, Quand chaque battement qui soulève le cœur Est un immense élan vers un vague bonheur, Que l'air dans notre sein n'a pas assez de place. Le jour assez de feux, le ciel assez d'espace. Et que le cœur, plus fort que ses émotions. Respire hardiment le vent des passions. Comme au réveil des flots la voile du navire Appelle l'ouragan, palpite, et le respire; Et je ne connaissais de ce monde enchanté Que le cœur d'une mère et l'œil d'une beauté. Et j'aimais; et l'amour, sans consumer mon âme. Dans une àme de feu réfléchissait sa flamme. Comme ce mont brûlant que nous voyions fumer Embrasait cette mer, mais sans la consumer; Et notre amour était beau comme rcsix'rancc. Long comme l'avenir, pur comme F innocence. 264 HARMONIES POÉTIQUES « Et son nom? » Eli! qu'importe un nom? Elle n"cst plus Qu'un souvenir planant dans un lointain confus, Dans les plis de mon cœur une image cachée, Ou dans mon œil aride une lai'mc sécliéc ! Et nous étions assis à l'heure du réveil, Elle et moi, seuls, devant la mer et le soleil. Sur les pieds tortueux des châtaigniers sauvages Qui couronnent l'Etna de leurs derniers feuillages; Et le jour se levait aussi dans notre cœur, Long, serein, rayonnant, tout lumière et chaleur; Les brises qui du pin touchaient les larges faîtes Y prenaient une voix et chantaient sur nos têtes; Par l'aurore attiédis les purs souflles des airs En vagues de parfum montaient du lit des mers. Et jusqu'à ces hauteurs apportaient par boulTées Des flots sur les rochers les clameurs étouflees, Des chants confus d'oiseaux, et des roucoulemenis, Des cliquetis d'insecte, ou des bourdonnements, Mille bruits dont partout la solitude est pleine. Que l'oreille retrouve et perd à chaque haleine, Témoignages de vie et de félicité. Qui disaient : « Tout est vie, amour et volupté! » Et je n'entendais rien que ma voix et la sienne, La sienne, écho vivant qui renvoyait la mienne; Et ces deux voix d'accord, vibrant à l'unisson. Se confondaient en une et ne formaient qu'un sojiI Et nos yeux descendaient d'étages en étages. Des rochers aux forêts, des forêts aux rivages. Du rivage à la mer, dont l'écume d'abord D'une frange ondoyante y dessinait le bord; ET RELIGIEUSES. 261 Puis, ctcndant sans fin son bleu semé de voiles, Semblait un second ciel tout blanchissant d'étoiles; Et les vaisseaux allaient et venaient sur les eaux, Rasant le flot de l'aile ainsi que des oiseaux, Et quelques-uns, glissant le long des hautes plages, Mêlaient leurs mâts tremblants aux arbres des rivages. Et jusqu'à ces sommets on entendait monter Les voix des matelots que le flot fait chanter. Et l'horfzon noyé dans des vapeurs vermeilles S'y perdait; et mes yeux plongés dans ces merveilles, S'égarant jusqu'aux bords de ce miroir si pur. Remontaient dans le ciel de l'azur à l'azur, Puis venaient, éblouis, se reposer encore Dans un regard plus doux que la mer et l'aurore, Dans les yeux enivrés d'un être ombre du mien, OiJ mon délire encor se redoublait du sien! Et nous étions en paix avec cette nature , Et nous aimions ces prés, ce ciel, ce doux murmure, Ces arbres, ces rochers, ces astres, cette mer; Et toute notre vie était un seul aimer! Et notre âme, limpide et calme comme l'onde, Dans la joie et la paix réfléchissait le monde ; Et les traits concentrés dans ce brillant milieu Y formaient une image, et l'image était... Dieu! Et cette idée, ainsi dans nos cœurs imprimée, N'en jailHssait point tiède, inerte, inanimée. Comme l'orbe éclatant du céleste soleil Qui flotte terne et froid dans l'océan vermeil, Mais vivante et brûlante, et consumant notre âme, Comme sort du bûcher une odorante flamme! Et nos cœurs embrasés en soupirs s'exhalaient. Et nous voulions lui dire... et nos cœurs seuls parlaient. Et qui m'eût dit alors qu'un jour la grande image De ce Dieu pâlirait sous l'ombre du nuage, 21)0 HARMONIES POETIQUES (Jifil faudrait le chercher en inoi, cuniine aujourcrhui, Et que le désespoir pouvait douter de lui : ,1'aiirais ri dans mon cœur de ma crainte insensée, Ou j'aurais eu pitié de ma pi'opre pensée. Et les jours ont passé courts comme le bonheur, Et les ans ont brisé l'image de mon cœur : Tout s'est évanoui! Mais le souvenir reste De l'apparition matinale et céleste; Et comme ces mortels des temps mystérieux Que visitaient jadis des envoyés des cieux, Quand leurs yeux avaient vu la divine lumière, S'attendaient à la mort et fermaient leur paupière, Au rayon pâlissant de mon soir obscurci. Je dis : « J'ai vu mon Dieu; je puis mourir aussi! » Mais Celui dont la vie et l'amour sont l'ouvrage N'a pas fait le miroir pour y briser l'image! Et, sûr de l'avenir, je remonte au passé. Quel est, sur ce coteau du matin caressé, Aux bords de ces flots bleus ciu'un jour du matin dore, Ce toit champêtre et seul, d'où rejaillit l'aurore? La fleur du citroiniier l'embaume, et le cyprès L'enveloppe au couchant d'un rempart sombre et frais, Et la vigne, y couvrant de blanches coloiniades, Court (Ml festons joyeux d'arcades en arcades; La colombe au col noir roucoule sur les toits, Et sur les flots dormants se répand une voix, Une voix qui cadence une langue divine. Et d'un accent si doux, que l'amour s'y devine. Le portique au soleil est ouvert : une enfant Au front pur, aux yeux bleus, y guide en triomphant ET RELIGIEUSES. 267 Un lévrier folâtre aussi blanc que la neige. Dont le regard aimant la flatte et la protège. De la plage voisine ils prennent le sentier, Qui serpente à travers le myrte et l'églantier : Une barque non loin, vide et légère encore. Ouvre déjà sa voile aux brises de l'aurore, Et, berçant sur leurs bancs les oisifs matelots, Semble attendre son maître, et bondit sur les flots. COMMENTAIRE DE LA TREIZIÈME HARMONIE J'ai écrit cette longue Harmonie en seize heures, le 3 no- vembre 1829, à Monculot. J'étais souffrant, j'avais passé une nuit d'insomnie. Je me levai avec le jour. Mon cœur criait comme celui de Job. Je pris le crayon; je voulus, une fois dans ma vie, avoir dit mon dernier mot à la création. Les heures et les heures passèrent sur le cadran sans pouvoir m'arracher à mes pensées. Il pleuvait, un grand feu brûlait dans l'âtrc; je ne pouvais sortir. Un vieil ami, M. de Capmas, chas- seur et poëte, qui était mon seul compagnon dans ce vaste châ- teau, montait de temps en temps dans ma chambre, et emportait les pages écrites pour les copier plus lisiblement. J'avais une sourde fièvre : je ne mangeai rien de la journée. A minuit, je m'arrêtai sans avoir conclu, comme la vie s'arrête. Je n'ai plus voulu achever ces vers depuis. Selon moi, ce sont là les vibrations les plus larges et les plus palpitantes de ma fibre de poëte et d'homme. 270 HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES. Si l'on n'écoule qui' ses sons, le dernier mot de la sensibilité humaine est Malédiction; si l'on écoute sa raison, le dernier mot de la vertu humaine est Résignation. Je n'étais pas assez pervers pour dire le premier; je n'étais pas assez vertueux pour dire le dernier. Je ne dis rien alors. El maintenant je dis avec la nature entière : Hosanna! XVII A LESPRIT-SAINT XVII A L'ESPRIT-SAINÏ CANTIQUE \ Tu ne dors pas, souffle de vie, Puisque l'univers vit toujours! Ta sainte haleine vivifie Les premiers et les derniers jours. C'est toi qui répondis au Verbe qui te nomme, • Quand le chaos muet tressaillit comme un homme Que d'une voix puissante on éveille en sursaut ; C'est toi qui t'agitas dans l'inerte matière. Répétas dans les cieux la parole première. Et comme un bleu tapis déroulas la lumière Sous les pas du Très-Haut! ŒUVR. COMPL. — III. 18 274 IIAUMONIES rOÉTIQlES Tu lis aiiiicr, lu fis coniprcndre Ce ([uc la parole avait dit; Tu ils monter, tu fis descendre Le Verbe qui se répandit ; Tu condensas les airs, tu balanças les nues, Tu sondas des soleils les routes inconnues. Tu fis tourner le ciel sur Timmortel essieu; Tel qu un guide avancé dans une voie obscure, Tu donnas forme et vie à toute créature, Kt, pour tracer sa route à faveuglc nature. Tu marchas devant Dieu! Mais tu ne gardas pas sans cesse Les mômes formes à ses yeux : Tu les pris toutes, ô Sagesse, Afin de le glorifier mieux! Tantôt ])rise et rayons, tantôt foudre et tempêtes. Son tcrril)le ou i)laintif des harpes des prophètes. Colonne qu'Israël voit marcher devant soi, Parabole touchante ou sanglant sacrifice, Sueur des Oliviers la veille du supplice, Grâce et vertu coulant de ce divin calice, C'est toi, c'est toujours toi! Le genre humain n'est qu'un seul être Formé de générations; Comme un seul homme on le voit naître : Ton souffle est dans ses passions. Jeune, son âme immense, orageuse et profonde. Déborde à flots d'écume et ravage le monde; Tu sèmes ses flocons de climats en climats; ET RELIGIEUSES. 975 Ton accent belliqueux a réclat du tonnerre, Ton pas retentissant secoue au loin la terre, Et le dieu qui te lance est le dieu de la guerre Servi par le trépas! Tu revêts la forme sanglante D"un héros, d'un peuple, d'un roi; Tu foules la terre tremblante, Oui passe et se tait devant toi. Mais quand le sang glacé dans ses veines s'arrête. Le genre humain, qui sent que son heure s'apprête, S'élève de la vie à l'immortalité : Tu marches devant lui, sous l'ombre d'une idée! D'un immense dési]- la terre est possédée. Et, dans les flots d'erreur dont elle est inondée, Cherche une vérité! Alors tu descends; tu respires Dans ces sages, flambeaux mortels, Dans ces mélodieuses lyres Qui soupirent près des autels. La pensée est ton feu, la parole est ton glaive! L'esprit humain flottant s'abaisse et se relève, Comme au roulis des mers le mât des matelots. Mais tu choisis surtout les bardes dans la foule : Dans leurs chants immortels l'inspiration coule ; Cette onde harmonieuse est le fleuve qui roule Le plus d'or dans ses flots. Où sont-ils, âme surhumaine, Ces instruments de tes desseins? 276 HARMONIES POETIQUES Où sont-ils, dt'S que ton lialeine A cessé d'embraser leurs seins? Ils meurent les premiers!... Foyer qui se consume. Flots qui rongent la rive et fondent en écume, Arbres brisés du vent sous qui l'herbe a ployé! En néant avant nous ils viennent se résoudre; Tu jettes leur orgueil et leur nom dans la poudre, El Ion doigt les éteint comme il éteint la foudre Quand elle a foudroyé. 11 se fait un vaste silence : L'esprit dans ses ombres se perd. Le doute étouffe l'espérance. Et croit que le ciel est désert! Puis tel qu'un chêne obscur, longtemps avant Torage Dont frémit tout à coup l'immobile feuillage, Et dont l'oiseau s'enfuit sans entendre aucun son, Le monde, où nul éclair ne te précède encore, D'un inquiet ennui se trouble et se dévore, Et, comme à son insu, de l'esprit qu'il ignore Sent le divin frisson! Et le ciel se couvre, et la terre Croit qu'un astre s'est approché; Et nul ne comprend ce mystère, Cai" ton maître est un Dieu caché. Mais moi je te coinj)rends, car je baisse la tête! J'entends venir de loin la céleste tempête; Et, d'un effroi stupide impassible témoin, Quand de l'antique jour les clartés s'affaiblissent, Que des lois et des mœurs les colonnes fléchissent, Que la terre se trouble et que les cieux pâlissent , Je dis : « 11 n'est pas loin! » ET RELIGIEUSES. 277 Les voilà ces heures divines! Les voilà! Mes yeux, ouvrez-vous! Lta poussière de nos ruines S'élève entre le jour et nous. De quel vent soufflera l'esprit que l'homme appelle? L'âme avec plus de soif jamais l'attendit-elle? Jamais passé sur nous croula-t-il plus entier? Jamais l'homme vit-il à l'horizon des âges Gronder sur l'avenir de plus sombres orages, Et te prépara-t-il entre plus de nuages Un plus divin sentier? Fends la nue et suscite un homme, Un homme palpitant de toi ! Que son front rayonnant le nomme Aux regards qui cherchent ta foi! D'un autre Sinaï fais flamboyer la cime, Retrempe au feu du ciel la parole sublime, Ce glaive de l'esprit émoussé par le temps ! De ce glaive vivant arme une main mortelle; Parais, descends, travaille, agite et renouvelle, Et ranime de l'œil, et du vent de ton aile. Tes derniers combattants! Que la mer des erreurs s'amasse; Qu'elle soulève son limon, Pour engloutir l'heureuse race De ceux qui marchent en ton nom! Sur la mer en courroux que ta droite s'étende! Que ton souffle nous creuse une route, et suspende Ces flots qui sous nos pas s'ouvrent comme un tombeau! Que le goulïre trompé sur lui-même s'écroule! 278 HARMONIES POÉTIQUES ET RELKUEUSES. Que rôciiiiic dos temps dans ses abîmes roule, Et que le genre humain la traverse, et s'écoule Vers un désert nouveau! Je le vois : mon regard devance Les pas des siècles plus heureux ! La colonne de l'espérance Marche, et m'éclaire do ses feux! Tu souffleras plus pur sur des plages nouvelles; Ton aigle pour toujours n'a pas plié ses ailes : La nature à son Dieu garde encor de l'encens ; Il est encor des pleurs sous de saintes paupières, Du ciel dans les soupirs, dans les cœurs des prières; Et, sur ces harpes d'or qui chantent les dernières, Quelques divins accents ! Oh ! puissé-je , souffle suprême , Instrument de promission. Sous ton ombre frémir moi-piômc , Comme une harpe de Sion ! Puissé-je, écho mourant des paroles de vie. De l'hymne universel être une voix choisie. Et quand j'aurai chanté mon cantique au Seigneur, Plein de l'esprit divin qui fait aimer et croire, Ne laisser ici-bas pour trace et pour mémoire Qu'une voix dans le temple, un sfjn qui dise : « (iloircï Au souffle créateur ! » xvni LA. HARPE DES GANTIOUES XVIII » LA HARPE DES CANTIQUES Seconde voix du cœur qui pleure, Larme sonore du saint lieu, Poésie, harpe intérieure, Seule langue qui parle à Dieu ! Ce roi de la lyre divme, A qui le Seigneur en fit don, Te pressait contre sa poitrine Pour lui dire, Grâce, ou Pardon! 282 HARMONIES POETIQUES ET RELIGIEUSES. Ah ! sur tes cordes attendries Toute âme humaine a son accent. La terre lumc quand tu pries ; Quand tu cliantcs, le ciel descend! XIX LES REVOLUTIONS XIX LES REVOLUTIONS Quand l'Arabe altéré, dont le puits n'a plus d'onde, A plié le matin sa tente vagabonde Et suspendu la source aux flancs de ses chameaux, 11 salue en partant la citerne tarie, Et, sans se retourner, va chercher la patrie Oia le désert cache ses eaux. 286 lïARMONTES POETIQUES Que lui fait qu'au couchant le vent de feu se lève. Et, comme uii océan qui laboure la grève, Comble derrière lui Toriiière de ses pas, Suspende la montagne où courait la vallée, Oii sème en flots durcis la dune amoncelée? Il marche, et ne repasse pas. Mais vous, peuples assis de l'Occident stupide, Hommes pétrifiés dans votre orgueil timide, Partout où le hasard sème vos tourbillons Vous germez comme un gland sur vos sombres collines. Vous poussez dans le roc vos stériles racines. Vous végétez sur vos sillons ! Vous taillez le granit, vous entassez les briques, Vous fondez tours, cités, trônes ou républiques: Vous appelez le temps, qui ne répond qu'à Dieu; Et, comme si des jours ce Dieu vous eût fait maître, Vous dites à la race humaine encore à naître : « Vis, meurs, immuable en ce lieu! » Recrépis le vieux mur écroulé sur ta race, Garde que de tes pieds l'empreinte ne s'eflace. Passe à d'autres le joug que d'autres t'ont jeté! Sitôt qu'un passé mort te retire son ombre, Dis que le doigt de Dieu se sèche, et que le nombre Des jours, des soleils est compté! » En vain la mort vous suit et décime sa proie, En vain le Temps, qui rit de vos Babels, les broie Sous son pas éternel, insectes endormis; En vain ce laboureur irrité les renverse. Ou, secouant le pied, les sème et les disperse Comme des palais de fourmis; ET RELIGIEUSES. 287 Vous les rebâtissez toujours, toujours de môme! Toujours clans votre esprit vous lancez anathèmc A qui les touchera dans la postérité; Et toujours en traçant ces précaires demeures, Hommes aux mains de neige et qui fondez aux heures, Vous parlez d'immortahté | Et qu'un siècle chancelle ou qu'une pierre tombe, Que-Socrate vous jette un secret de sa tombe, Que le Christ lègue au monde un ciel dans son adieu : Tous vengez par le fer le m.ensonge qui règne, Et chaque vérité nouvelle ici-bas saigne Du sang d'un prophète ou d'un Dieu ! De vos yeux assoupis vous aimez les écailles : Semblables au guerrier armé pour les batailles, Mais qui dort enivré de ses songes épais, Si quelque voix soudaine éclate à votre oreille, Vous frappez, vous tuez celui qui vous réveille. Car vous voulez dormir en paix! Mais ce n'est pas ainsi que le Dieu qui vous somme Entend la destinée et les phases de l'homme; Ce n'est pas le chemin que son doigt vous écrit! En vain le cœur vous manque et votre pied se lasse : Dans l'œuvre du Très-Haut le repos n'a pas place; Son esprit n'est pas votre esprit ! Marche! sa voix le dit à la nature entière. Ce n'est pas pour croupir sur ces champs de lumière Que le soleil s'allume et s'éteint dans ses mains! Dans cette œuvre de vie oii son âme palpite, Tout respire, tout croît, tout grandit, tout gravite: Les cieux, les astres, les' humains! 288 HARMONIES TOETIQUES L'œuvre toujours finie et toujours commencée Manileslc à jamais l'éternelle pensée: Chaque halte pour Dieu n'est qu'un point de départ. Gravissant l'infini qui toujours le domine, Plus il s'élève, et plus la volonté divine S'élargit avec son regard! Il ne s'arrête pas pour mesurer l'espace, ■■ Son pied ne revient pas sur sa brûlante trace, 11 ne revoit jamais ce qu'il vit en créant; Semblable au faible enfant qui lit et balbutie, 11 ne dit pas deux fois la parole de vie : Son Verbe court sur le néant ! Il court, et la nature à ce Verbe qui vole Le suit en chancelant de parole en parole : Jamais, jamais demain ce qu'elle est aujourd'hui! Et la création, toujours, toujours nouvelle, iMonte éternellement la symbolique échelle Que Jacob rêva devant lui ! Et rien ne redescend à sa forme première : Ce qui fut glace et nuit devient flamme et lumière ; Dans les flancs du rocher le métal devient or; En perle au fond des mers le lit des flots se change; L'éther en s' allumant devient astre, et la fange Devient homme, et fermente encor! Puis un souflle d'en haut se lève ; et toute chose Change, tombe, périt, fuit, meurt, se décompose, Comme au coup de sifflet des décorations; Jéhovah d'un regard lève et brise sa tente, Et les camps des soleils suspendent dans l'attente Leurs saintes évolutions. HT RELIGIEUSES. 289 Les globes calcinés volent on étincelles, Les étoiles des nuits éteignent leurs prunelles, La comète s'échappe et brise ses essieux ; Elle lance en éclats la machine céleste. Et de mille univers, en un souffle, il ne reste Qu'un charbon fumant dans les cieux ! Et vous, qui ne pouvez défendre un pied de grève, Dérober une feuille au souffle qui Tcnlève, Prolonger d'un rayon ces orbes éclatants, Ni dans son sablier, qui coule intarissable. Ralentir d'un moment, d'un jour, d'un grain de sable, La chute éternelle du temps; Sous vos pieds chancelants si quelque caillou roule, Si quelque peuple meurt, si quelque trône croule. Si l'aile d'un vieu:\: siècle emporte des débris. Si de votre alphabet quelque lettre s'efface. Si d'un insecte à l'autre un brin de paille passe, Le ciel s'ébranle de vos cris! II Regardez donc, race insensée. Les pas des générations! Toute la route n'est tracée Que des débris des nations : Trônes, autels, temples, portiques, Peuples, royaumes, républiques, Sont la poussière du chemin; Et Thistoire, écho de la tombe, iN'est que le bruil de ce qui tombe Sur la route du genre humain. (EIVR. COMPI.. — III. H) 290 IIAKMOMES POÉTIQUES Plus vous descendez dans les Ages , Plus ce bruit s'élève en croissant, Comme en approchant des rivages Oue bal le Ilot retentissant. Voyez passer l'esprit de l'homme, De Thèbe et de Memphis ;\ Rome, Voyageur terrible en tout lieu, Partout brisant ce qu'il élève, Partout, de la torche ou du glaive, Faisant place à l'esprit de Dieu! Il passe au milieu des tempêtes Par les foudres du Sinaï : Par la verge de ses prophètes, Par les temples d'Adonaï! Foulap* "»es jougs, brisant ses maîtres. Il change ses rois pour des prêtres, Change ses prêtres pour des rois; Puis, broyant palais, tabernacles, Il sème ces débris d'oracles Avec les débris de ses lois! Déployant ses ailes rapides, Il plonge au désert de Memnon; Le voilà sous les Pyramides, Le voici sur le Parthénon : Là, cachant aux regards de l'homme Les fondements du pouvoir, comme Ceux d'un temple mystérieux; Là, jetant au vent populaire. Comme le grain criblé sur l'aire. Les lois, les dogmes et les dieux! ET RELIGIEUSES. ^2'Jl Las de cet assaut de parole, Il guide Alexandre au coiubut; L'aigle sanglant du Capitule Sur le monde à son doigt s'abat : L'univers n'est plus qu'un empire. Mais déjà l'esprit se retire; Et les peuples poussant un cri, Comme un avide essaim d'esclaves Dont on a brisé les entraves, Se sauvent avec un débri. Levez-vous, Gaule et Germanie, L'heure de la vengeance est là! Des ruines c'est le génie Qui prend les rênes d'Attila! Lois, forum, dieux, faisceaux, tout croule; Dans l'ornière de sang tout roule, Tout s'éteint, tout fume. 11 fait nuit, Il fait nuit, pour que l'ombre encore Fasse mieux éclater l'aurore Du jour * où son doigt vous conduit ! L'iiomme se tourne à cette flamme. Et revit en la regardant : Charlemagne en fait la grande âme Dont il anime l'Occident. 11 meurt : son colosse d'empire En lambeaux vivants se déchire. Comme un vaste et pesant manteau Fait pour les robustes épaules ' I.e christianisme. 2<)2 llAll.MK.MKS IMIETIQIES Oui p )rlaieiit lo llliin o[ 1(\^ (kiuIcs, I-]t l'esprit roprend son marleau! De CCS nations mutilées Cent peuples naissent, sous ses pas, Races barbares el nièh'es Que leur mère ne connaît pas; Les uns indomptés et farouches, Les autres rongeant dans leurs bouches Les mors des tyrans ou des dieux : Mais l'esprit, par diverses routes, A son tour leur assigne à toutes Un rendez-vous mystérieux. Pour les pousser où Dieu les mène. L'esprit humain prend cent détours, Et revêt chaque forme humaine Selon les hommes et les jours, lei, c()n(|uéraiit, il biilaic Les vieux i)euples connue Tivraie; Là, sublime navigateur. L'instinct d'une immense conquête Lui fait (iicrchci- dans la tempête l'n monde à travers Téquateur. Tantôt il coule la i)ensée Kn bronze palpable et vivant , Et la parole retracée Court et brise comme le vent ; Tantôt, pour mettre un siècle en poudre, il é<-late connue la foudre Eï UEI.KIIEISES. 293' Dans un mot de feu. Liberté! Puis, dégoûté de son ouvrage, D'un mot qui tonne davantage Il réveille l'humanité! Et tout se fond, croule ou chancelle; Et, comme un flot du flot chassé. Le temps sur le temps s'amoncelle, Et le présent sur le passé! Et sur ce 'sable où tout s'enfonce. Quoi donc, ô mortels, vous annonce L'immuable que vous cherchez? Je ne vois que poussière et lutte. Je n'entends que l'immense chute Du temps qui tombe, et dit : « Marchez! » III Marchez! l'humanité ne vit pas d'une idée! Elle éteint chaque soir celle qui l'a guidée, Elle en allume une autre à l'immortel flambeau: Comme ces morts vêtus de leur parure immonde , Les générations emportent de ce monde Leurs vêtements dans le tombeau. Là c'est leurs dieux; ici les mœui's de leurs ancêtres, Le glaive des tyrans, l'amulette des prêtres. Vieux lambeaux, vils haillons de cultes ou de lois: Et quand après mille ans dans leurs caveaux on fouille , On est surpris de voir la risible dépouille De ce qui fut l'homme autrefois. •294 11 AU MOMES POKTIOrES Robo?. togos, turbans, tunique, pourpre, bure, Sceptres, glaives, faisceaux, hache, liouleltc, armure. Symboles vermoulus fondent sous votre main , Tour à tour au plus fort, au plus fourbe, au plus digne, VA vous vous demandez vainiMnent sous quel signe Monte ou baisse le genre humain. Sous le vôtre, ù chrétiens! L'homme en qui Dieu travaille Change éternellement de formes et de taille : Tiéant de l'avenir à grandir destiné, il use en vieillissant ses vieux vêtements, comme Des membres élargis font éclater sur l'homme Les langes où l'enfant est né. L"humanité n'est pas le bœuf à courte haleine Qui creuse à pas égaux son sillon dans la plaine, Et revient ruminer sur son sillon pareil : L'est l'aigle rajeuni qui change son plumage, l']t qui monte alTronter, de nuage en nuage. De plus hauts rayons du soleil. Enfants de six mille ans qu'un peu de bruit étonne, Ne vous troublez donc pas d'un mot nouveau qui tonne, D'un empire éboulé, d'un sircle qui s'en va! Que vous font les débris qui jonchent la carrière? Regardez en avant et non pas en arrière : Le courant roule à Jéhova ! Que dans vos cœurs étroits vos espérances vagues Ne croulent pas sans cesse avec toutes les vagues: Les flots vous porteront, hommes de peu do foi! Qu'importent bruit et vent, poussière et décadence. Pourvu qu'au-dessus d'eux la haute Providence Déroule réternelle loi? ET RELIGIEUSES. 295 Vos siècles page à page épellent rÉvangilc : Vous n'y lisiez qu'on mot, et vous en lirez mille ; Vos enfants plus hardis y liront plus avant ! €e livre est comme ceux des sibylles antiques, Dont Taugure trouvait les feuillets prophétiques Siècle à siècle arrachés au vent. Dans la foudre et l'éclair votre Verbe aussi vole ; Montez à sa lueur, courez à sa parole, Attendez sans eftroi l'heure lente à venir. Vous, enfants de Celui qui, l'annonçant d'avance. Du sommet d'une croix vit briller l'espérance Sur l'horizon de l'avenir ! Cet oracle sanglant chaque jour se révèle : L'esprit, en renversant, élève et renouvelle. Passagers ballottés dans vos siècles flottants. Vous croyez reculer sur l'océan des âges, Et vous vous remontrez après mille naufrages Plus loin sur la route des temps I Ainsi quand le vaisseau qui vogue entre deux mondes A perdu tout rivage, et ne voit que les ondes S'élever et crouler comme deux sombres murs ; Quand le maître a brouillé les nœuds nombreux qu'il file. Sur la plaine sans borne il se croit immobile Entre deux abhnes obscurs. « C'est toujours, se dit-il dans son cceur plein de doute, Même onde que je vois, même bruit que j'écoute; Le flot que j'ai franchi revient pour me bercer ; A les compter en vain mon esprit se consume, C'est toujours de la vague, et toujours de l'écume: ' Les jours flottent sans avancer ! » 2% IIAUMOMES POETlnUES ET RELIGIEUSES. Kt les jours i-t les flots semblent ainsi renaître. Trop pareils pour que rcvii puisse les reconnaître. El le regard trompe s'use en les regardant ; Et l'homme, (|ue toujours leur ressemblance abuse, Les brouille, les confond, les gourmande, et t'accuse, Seigneur!... Ils marchent cependant! Et (juand sur cette mer, las de chercher sa route. Du firmament splendide il explore la voûte. Des astres inconnus s'y lèvent à ses yeux; Et, moins triste, aux parfums qui soufflent des rivages. Au jour tiède et doré qui glisse des cordages, Il .sent qu'il a cliangé de cieux. Nous donc, si le sol tremble au vieux toit de nos pères, Ensevelissons-nous sous des cendres si chères, Tombons enveloppes de ces sacrés linceuls! Mais ne ressemblons pas à ces rois d'Assyrie Qui traînaient au tombeau femmes, enfants, patrie, Et ne savaient pas mourir seuls: Oui jetaient au bùclier, avant que d'y descendre, Famille, amis, coursiers, trésors réduits en cendre, Espoir ou souvenirs de leurs jour.^ plus heureux. Et, livrant leur empire et leurs dieux à la flamme, Auraient voulu qu'aus.si l'univers n'eût qu'une âme, Pour que tout mourût avec eux ! ii\ i)i;s UAi; M()Mi;s. CONTRE LA PEINE DE ;\IORÏ I CONTRE LA PEINE DE MORT AU rKi:PLE UC ]'.) OCTOBRE 1830 « Vains elïorts, périlleuse audace! Me disent des amis au geste menaçant : Le lion même fait-il grâce Quand sa langue a léché du sang? Taisez-vous, ou chantez comme rugit la foule! Attendez pour passer que le torrent s'écoule, De sang et de lie écuniant ! On peut braver Néron, celte hyène de Rome! Les brutes ont un cœur; le tyran est un homme Mais le peuple est, un élément. 300 CONTliK i.A l'KlNK 1)K MUUT. » Kléniciit ((u'aïK'un iVcin ne dompte, Kt (|iii roule semblable à la fatalité. Pendant que sa ci»lère monte, Jeter un cri d'liumanit(''. C'est au sourd Océan qui blanchit son rivage Jeter dans la tempête un roseau de la plage, La feuille sèche à Touragan ; C'est aiguiser le fer pour soutirer la foudre. Ou ]")oser pour l'éteindre un bras réduit en ])oudre Sur la bouche en feu du volcan! )' Souviens-toi du jcinic poëte, Chénicr! dont sous tes pas le sang est encor chaud, Dont l'histoire en plciu\int répète Le salut triste à l'échafaud *. . Il rêvait, comme loi, sur une terre lil)re Du pouvoir et des lois le sublime éciuilibre ; Dans ses bourreaux il avait foi! Qu'importe! il f^iut mourii-, et mourir sans mémoire: « Eh bien! mourons, dit-il. Vous tuez de la gloire : » J'en avais pour vous et pour moi ! » » Cache plutôt dans le silence Ton nom, qu'un peu d'éclat pourrait un jour trahir! Conserve une lyre à la France, Et laisse-les s'entre-haïr, De peur qu'un délateur à l'oreille attentive Sur sa table future en pourpre ne t'inscrive, » Tout le monde connaît le m(jt d'Aiidrr Chi'-nier sur r6cli^f;iiiil : « C'est dommage, dit-il en se IVapiia il le IVuiit; il y avait quelque » chose là. » COXTRE LA PEINE DE MORT. 30! Et ne dise à son pciiplc-roi : ;< C'est lui qui, disputant ta proie à ta colère, » Voulant sauver du sang ta ro])e populaire, » Te crut généreux. Venge-toi ! » ISon, le Dieu qui trempa mon âme Dans des torrents de force et de virilité, N'eut pas mis dans un cœur de femme Cette soif d'immortalité. Que l'autel de la Peur serve d'asile au lâche ! Ce cœur ne tremble pas aux coups sourds d'une hache. Ce front levé ne pâlit pas; La mort qui se trahit dans un signe farouche En vain, pour m'avertir, met un doigt sur sa bouclie : La gloire sourit au trépas. Il est beau de tomber victime. Sous le regard vengeur de la postérité, Dans l'holocauste magnanime De sa vie à la vérité ! L'échafaud pour le juste est le lit de sa gloire Il est beau d'y mourir au soleil de l'histoire, Au milieu d'un peuple éperdu; De léguer un remords à la foule insensée , Et de lui dire en face une mâle pensée. Au prix de son sang répandu. « Peuple, dirai-je, écoute, et juge ! Oui, tu fus grand, le jour où du bronze alTronté Tu le couvris, comme un déluge, Du reflux de la liberté! i 302 CONTUE LA J'EINE UE MOUT. Tu l'uï^ lorl, quand, pareil à la mer écumante. Au nuage qui grunde, au volcan qui fermente, Noyant les gueules du canon, Tu bouillonnais semblable au plomb dans la fournaise. Et roulais furieux, sur une plage anglaise. Trois couronnes dans ton limon! » Tu fus beau, tu fus magnanime, Le jour où, recevant les balles sur ton sein. Tu marchais d'un pas unanime, Sans autre chef que ton tocsin ; Où, n'ayant que ton cœur et tes mains pour combattre, Relevant le vaincu que tu venais d'abattre. En l'emportant tu lui disais : « Avant d'être ennemis, le pays nous fit frères; » Livrons au môme lit les blessés des deux guerres : » La Erance couvre le Erancais ! » » Quand dans ta chétive demeure, Le soir, noirci du feu, tu rentrais triomphant Près de l'épouse qui te pleure, Du berceau nu de ton enfant, Tu ne leur présentais pour unique dépouille Que la goutte de sang, la poudre qui te souille. Un tronçon d'arme dans ta main. En vain l'or des palais dans la boue étincelle; Eils de la liberté, tu ne rapportais qu'elle : Seule elle assaisonnait ton pain ! » Un cri de stupeur et de gloire, Sorti de tous les cœurs, monta sous chaque ciel. CONTRE LA PEINE DE MORT, 303 Et l'écho de cette victoire Devint un hymne universel. Moi-même dont le cœur date d'une autre France, Moi dont la liberté n'allaita pas l'enfance. Rougissant et fier à la fois, Je ne pus retenir mes bravos à tes armes, Et j'applaudis des mains, en suivant de mes larmes L'innocent orphelin des rois ! » Tu reposais dans ta justice Sur la foi des serments conquis, donnés, reçus: Un jour brise dans un caprice Les nœuds par deux règnes tissus! Tu t'élances bouillant de honte et de délire : Le lambeau mutilé du gage qu'on déchire Reste dans les dents du lion. On en appelle au fer; il t'absout. Qu'il se lève Celui qui jetterait ou la pierre ou le glaive A ton jour d'incig nation ! » Mais tout pouvoir a des salaires A jeter aux flatteurs qui lèchent ses genoux. Et les courtisans populaires Sont les plus serviles de tous. Ceux-là, des rois honteux pour corrompre les âmes. Offrent les pleurs du peuple, ou son or, ou ses femmes. Aux désirs d'un maître puissant; Les tiens, pour caresser des penchants plus sinistres, Te font sous l'échafaud, dont ils sont les ministres. Respirer des vapeurs de sang! ;.{04 CONTIU- I.A PKINK \)K MORT. » Dans un aveuglement l'uneste Ils le poussent de l'œil vers un but odieux, Comme Tenter poussait Oreste, Fn cachant le crime à ses yeux. La soif de ta vengeance, ils rappellent justice: Kl) bien, justice soit! Est-ce un droit de supplice Qui par tes morts l'ut acheté? Ouc feras-tu, réponds, du sang qu'on te demande? Quatre tètes sans tronc, est-ce donc là l'olTrandc D'un grand peuple à sa liberté? » N'en ont-ils pas fauché sans nombre? N'en ont-ils pas jeté des monceaux, sans combler Le sac insatiable et sombre Où tu les entendais rouler? Depuis que la mort Jiième, inventant ses machines, Lut ajouté la roue aux faux des guillotines Pour hâter son char gémissant. Tu comptais par centaine, et tu comptas par mille! Quand on presse du pied le pavé de ta ville, On craint d'en voir jaillir du sang. » — Oui, mais ils ont joué leur tète. — Je le sais; et le sort les livre et te les doit ! C'est ton gage, c'est ta conquête; Prends, o peuple! use de ton droit. Mais alors jette au vent l'honneur de ta victoire; Ni' demande plus rien à l'Luropc, à la gloire. Plus rien à la postérité;! Ln donnant cette joie à la libre colère, Ya-t'en; tu t'es payé toi-même ton salaire: Du sang au lieu de liberté! COXTHE I.A PEINE DE Mo|{T. 30: » Songe au passé, songe à raurore De ce jour orageux levé sur nos berceaux; Son ombre te rougit encore Du reflet pourpré des ruisseaux. 11 t'a fallu dix ans de fortune et de gloire Pour effacer l'horreur de deux pages d'Iiistoire. Songe à l'Europe qui te suit, Et qui, dans le sentier que ton pied fort lui creuse. Voit marcher, tantôt sombre et tantôt lumineuse, Ta colonne qui l;i conduit ! » Veux-tu que sa liberté feinl*,' Du carnage civique arbore aussi la faux, Et que partout sa main soit teinte De la fange des échafauds? Veux-tu que le drapeau qui la porte aux deux mondes. Veux-tu que les degrés du trône que tu fondes. Pour })iédestal aient un remord? Et que ton roi, fermant sa main pleine de grâces. Ne puisse à son réveil descendre sur tes places Sans entendre hurler la mort? » Aux jours de fer de tes annales Quels dieux n'ont pas été fabriqués par tes mains? Des divinités infernales Reçurent l'encens des humains : Tu dressas des autels à la Terreur publi(|iie. A la Peur, à la Mort, dieux de ta république: Ton grand prèti'e fut ton bourreau î De tous ces dieux vengeurs qu'adora ta démence, Tu n'en oublias qu'un, ô peuple! la Clémence! Essayons d'un culte nouvfini. ŒLVR. COMl'l.. — m. 20 30r. CMNTHK l.A l'ElNK DE MORT. » Le jour qu'oubliant ta colère, Comme un lutteur grandi (jui sent son bras plus fort, De riiéroïsmc poj)ulaire Tu feras le dernier effort; Le jour où tu diras: « Je triomphe et pardonne!... » Ta vertu montei'a plus haut (jue ta colonne Au-dessus des exploits humains ; Dans des temples voués à ta miséricorde Ton génie unira la iorce et la concorde, Kl les siècles battront des mains! « Peuple, diront -ils, ouvre une ère » Que dans ses rêves seuls l'humanité tenta; » Proscris des codes de la terre » La mort (|uc le crime inventa! » I\emplis de ta vertu l'histoire qui la nie ; » Réponds par tant de gloire à tant de calomnie; » Laisse la pitié respirer ! » .lette à tes ennemis des lois plus magnanimes, » Ou, si tu veux punir, indigo à tes victimes » Le supplice de t' admirer! r> Quitte enfin la sanglante ornière » Où se traîne le char des révolutions; » Que ta lialtc soit la dernière » Dans ce désert des nations; » Que le genre humain dise, en bénissant tes pages: » C'est ici que la France a de ses lois sauvages » Fermé le livre ensanglanté; >' C'est ici qu'un grand peuple.^ au jour de la justice, » Dans la l)alance humaine, au lieu d'un vil supplice, » Jeta sa magnanimité. » CO.NTKE LA PEIM-: DE MOUT. 307 » Mais le jour où le long des fleuves Tu reviendras les yeux baissés sur tes chemins, Suivi, maudit par quatre veuves Et par des £?roupcs d'orphelins. De ton morne triomphe en vain cherchant la tête, Les passants se diront, en détournant la tête: « Marchons, ce n'est rien de nouveau! » C'est, après la victoire, un peuple qui se venge. » Le siècle en a menti ; jamais Thomme ne changi^ : "Toujours ou victime, ou bourreau! » NOTE Les trois pièces qui suivent sont celles auxquelles répond M. de Lamartine dans la septième, la onzième et la treizième Harmonie du Livre premier. I EPIÏRE A M. A. DE LAMARTINE ËPITRE A M. A. DE LAMARTINE PAR M. SAINTE-BEUVE Le jour que je vous vis pour la troisième fois, C'était en juin dernier, voici bientôt deux mois : Vous en souviendrez- vous? j'ose à peine le croire: Mais ce jour à jamais emplira ma mémoire. Après nous être un peu promenés seul à seul, Au pied d'un marronnier ou sous quelque tilleul Nous vînmes nous asseoir, et longtemps nous causâmes De nous, des maux humains, des besoins de nos âmes: M'oirà la (abic, la réponse dv M. «le I.amartino. ■M\ E PITRE Miti siirUuit. moi plu:- ji'uiic, inconnu, curieux, J'aspirais vos regards, je lisais dans vos yeux. (-omnie aux yeux d'un ami qui \ient d'un long voyage; Je rapportais au cœur chaque éclair du visage; Kt dans vos souvenirs ceux que je choisissais, C'était votre jeunesse , et vos premiers accès D'abord flottants, obscurs, d'ardente poésie. Et les égarements de votre fantaisie, Vos mouvements sans but, vos courses en toul lieu, Avant qu'en votre cœur le démon lût un dieu. Sur la terre jeté, manquant de lyre encore. Errant, que faisiez-vous de ce don qui dévore? Où vos pleurs allaient-ils? par où montaient vos chants? Sous quels antres profonds, par quels brusques penchants S'abîmait loin des yeux le fleuve? Quels orages Ce soleil chauflait-ii derrière les nuages? Ignoré de vous-même et de tous, vous alliez... Où? dites? parlez-moi de ces temps oubliés. Enfant, Dieu vous nourrit de sa sainte parole; Mais bientôt le laissant pour un monde frivole. Et cherchant la sagesse et la paix hors de lui , Vous avez poursuivi les plaisirs par ennui ; A'ous avez, loin de vous, couru mille chimères, (îoûté les douces eaux et les sources amères, Et sous des cieux brillants, sur des lacs embaumés. Demandé le bonheur à des objets aimés. lionheur vain! fol espoir! délire d'une fièvre! Coupe qu'on croyait fraîche, et qui brûle la lèvre! Moron léger d'écume, atome éblouissant (Jue l'esquif ùxïi jaillir de la vague en glissant! Filet d'eau du désert que boit le sable aride! Phosphore des marais, dont la fuite rapide Découvre plus à nu l'épaisse obscurité De l'abîme sans fond oîi dort l'éternité! A M. A. DE LAMARTINE. 315 Oh! quand je vous ai dit à mon tour ma tristesse. Et qu'aussi j'ai parlé des jours pleins de vitesse, Ou de ces jours si lents qu'on ne peut épuiser. Goutte à goutte tombant sur le cœur sans l'user; Que je n'avais au monde aucun but à poursuivre; Que je recommençais chaque matin à vivre : Oh! qu'alors sagement et d'un ton fraternel Vous m'avez par la main ramené jusqu'au ciel! « Tel je fus, disicz-vous : cette humeur inquiète, » Ce trouble dévorant au cœur de tout poëte, » Et dont souvent s'égare une jeunesse en feu, » N'a de remède ici que le retour à Dieu; » Seul il donne la paix, dès qu'on rentre en la voie; » Au mal inévitable il mêle un peu de joie, » Nous montre en haut l'espoir de ce qu'on a rêvé, » Et sinon le bonheur, le calme est retrouvé. » Et souvent depuis lors, en mon àme moins folle, J'ai mûrement pesé cette simple parole; Je la porte avec moi, je la couve en mon sein. Pour en faire germer quelque pieux dessein. Mais quand j'en ai longtemps échauffé ma pensée, Que la Prière en pleurs, à pas lents avancée, M'a baisé sur le front comme un fils, m' enlevant Dans ses bras, loin du monde, en un rêve fervent,. Et que j'entends déjà dans la sphère bénie Des harpes et des voix la douceur infinie, Voilà que de mon âme, alentour, au dedans, Quelques funestes cris, quelques désirs grondants Éclatent tout à coup, et d'en haut je retombe Plus bas dans le péché, plus avant dans la tombe! — Et pourtant aujourd'hui qu'un radieux soleil Vient d'ouvrir le matin à l'orient vermeil; 316 KPirUE A M. A. DK LA.M A IITINE. (juand tout est calme encor, que le bruil de la ville S'éveille à peine autour de mon paisible asile ; A l'instant où le cœur aime à se souvenir, Où Ton pense aux absents, aux morts, à l'avenir, Votre parole, ami, me revient, et j'y pense; Kt, consacrant pour moi le beau jour ((ui commence, Je vous renvoie à vous ce mot que je vous dois, A vous, sous votre vigne, au milieu des grands bois. Là désormais, sans trouble, au poii après l'orage. Rafraîchissant vos jours aux i'raîcheurs de Tombrage. Vous vous- plaisez aux lieux d'où vous étiez sorti : Que verriez-vous de plus? vous avez tout senti. Les lieures qu'on maudit et celles qu'on caresse Vous ont assez comblé d'amertume ou d'ivresse. Des passions en vous les rumeurs ont cessé; De vos afflictions le lac est amassé; Il ne bouillonne plus; il dort, il dort dans l'ombre, Au fond de vous, muet, inépuisable et sombre; Alentoui' un esprit flotte, et de ce côté Les lieux sont revêtus d'une triste beauté. Mais ailleurs, mais partout, que la lumière est pure! Quel dôme vaste et bleu couronne la verdure; Et combien cette voix pleure amoureusement! Vous chantez, vous priez, comme Aboi, en aimant; Votre cœur tout entier est un autel qui fume; Vous y mettez l'encens, et l'éclair le consume; Chaque ange est votre frère, et quand vient l'un d'entre eux Eu NOUS il se repose, — ô grand homme, homme heureux* ! ' Dt^puis que c(,'tte pièce a été adressée à l'illuslre poëte, deux allreux malheurs sont venus la démentir, et montrer que pour le fjrunl homme heureux tout le lac des afflictions n'était pas amassé : il y manquait une goutte encore, et la plus amèrc REPONSE DE M. REBOUL REPONSE DE M. REBOUL l)l': NIMES A M. A. DE LAMARTINE ^ Juill-t 18M. Mon nom, qu'a prononcé ton généreux délire, Dans la tombe avec moi ne peut être emporté; Car toute chose obscure, en passant par ta lyre, Se revêt d'immortalité. 1 Voir la onzième Harmonie, adressée par M. de Lamartine à M. I{e- boul, page 97. 320 KKl'OXSE S'il est vrai que ma imisc' on plus d'une mcmoiiv A laissé des accords et des pcnscrs toucliants, Cliantre ami, qu'à toi seul en retourne la gloire ! Mes chants naquireiil de tes chants. C'est toi qui, faisant uailre en mon àme ravie Cet espoir de laisser un noble souvenir, Me fais sacrifier, chaque jour de ma vie. Sur les autels de Tavenir, C'est toi qui fus pour moi cet ange de lumière Qui se laisse tomber du haut du firmament. Et qui sur le palais comme sur la chaumière Se repose indifféremment. Tu l'abattis \ers moi. Des sphères immortelles Tu me vantas l'éclat, les chœurs mystérieux; Kt soudain comme toi je secouai mes ailes, Et nous parthiies pour les cieux. Onelle extase inconnue a subjugue mon être ! (Juel jour éblouissant mes yeux ont vu paraître, Et quel concert ai-je entendu ! Dans ces ravissements mon âme s'évapore; Et je voulais franchir quelques mondes encore.. Sans toi je m'y serais perdu. Mais tu m'as dit : « Voilà rinllexible barrière Tu vas voir s'éclipser nos songes de lumière. DE M. KEBOUL. Descendons ! Les ordres divins Veulent que ce bonheur, ces clartés sans mélange, Passent rapidement, pour que l'homme, de l'ange N'envahisse pas les destins. «Attendons que le temps ait achevé sa course; Que la mort à l'esprit abandonne la source De cette pure volupté; Que des jours éternels l'astre éternel se lève : Alors, la terre alors ne sera que le rêve, Et le ciel la réalité ! » Et quand tu me rendis aux terrestres domaines, Je sentis s'allumer une fièvre en mes veines Dont rien n'a pu calmer l'ardeur. Si ce n'est une lyre entre mes mains vibrante, Et faisant apparaître une image enivrante De tout ce qu'éprouva mon cœur. Rayons dont s'inonda mon avide paupière, Eh! comment, replongé dans cette ombre grossière. Comment ne pas vous exalter? Ineffables accords des célestes génies, Comment, en retrouvant d'humaines harmonies. Comment ne pas vous répéter? Œl vu. ('(jMi'I.. — ODE A M. A. DE LAMARTINE ODE A M. A. DE LAMARTINE PAR M. VICTOR HUGO ' Or, sachant ces choses, nous venons enseigner aux hommes la crainte de Dieu. II Co,:, V. Pourtant je m'étais dit : « Abritons mon navire; Ne livrons plus ma voile au vent qui la déchire; Cachons ce luth. Mes chants peut-être auraient vécu!. Soyons comme un soldat- qui revient sans murmure Suspendre à son chevet un vain reste d'armure, Et s'endort, vainqueur ou vaincu! » ^ Voir la réponse de M. de Lamartine à la tablo. 32r. ODK Je lu' (.Icinaiulais plus à la muse que j'aime Ouim seul chant pour ma morl, solennel et suprême! Le poëte avec joie au tombeau doit s'olTrir: S'il ne souriait pas au m(,)ment où Ton pleure, Chacun lui dirait : « Voici l'heure! » Pourquoi ne pas chanter, puisque tu vas mourir? " C'est cjue la mort n'est pas ce ({ue la foule en pense ! C'est l'instant oii notre ame obtient sa récompense, Où le fils exilé rentre au sein i)aternel. Quand nous penchons près d'elle une oreille inquiète, La voix du trépassé, que nous croyons muette, A commencé l'hymne éternel. Il IMus tôt que je n'ai dû, je reviens dans la lice; Mais tu le veux, ami ! ta muse est ma complice; Ton bras m'a ré\eillé; c'est toi qui m'as dit : « Va! » Dans la mêlée encor jetons ensemble un gage. )' De plus en plus elle s'engage. «Mai'chons, et confessons le nom de Jéhova! » •l'unis donc à tes chants quelques chants téméraires. Pi'cnds ton luth immortel : nous combattrons en frères, I'(»ur les mêmes autels et les mêmes foyers. Montés au môme char, comme un couple homérique, Nous tiendrons, pour lutter dans l'arène lyrique, Toi la lance, moi les coursiers. A M. A. DE LAMARTINE. 327 Puis, pour faire une part à la faiblesse humaine, Je ne sais quelle pente au combat me ramène. J'ai besoin de revoir ce que j'ai combattu, De jeter sur l'impie un dernier anathème. De te dire à toi que je t'aime, Et de chanter encore un hvmne à la vertu! m Ah ! nous ne sommes plus au temps où le poëte Parlait au ciel en prêtre, à la terre en prophète! Que Moïse, Isaïe, apparaisse en nos champs. Les peuples qu'ils viendront juger, punir, absoudre, Dans leurs yeux pleins d'éclairs méconnaîtront la foudre Oui tonne en éclats dans leurs chants. Vainement ils iront s'écriant dans les villes : « Plus de rébellions! plus de guerres civiles! » Aux autels du veau d'or pourquoi danser toujours? » Dagon va s'écrouler; Baal va disparaître. » Le Seigneur a dit à son prêtre : » — Pour faire pénitence, ils n'ont que peu de jours! » Rois, peuples, couvrez-vous d'un sac souillé de cendre! » Bientôt sur la nuée un juge doit descendre. » Vous dormez! que vos yeux daignent enfin s'ouvrir. » Tyr appartient aux flots, Gomorrhe à l'incendie: » Secouez le sommeil de votre âme engourdie , » Et réveillez-vous pour mourir! 328 ODE » Ah! niallicur au iniissant (iiii scni\i-c en des fètcs, » Riant de ropprimé qui pleure, et des prophètes! ■ Ainsi que BaUhazar ignorant ses malheurs, » Il ne voit pas, aux murs de sa salle bruyante, 1) Les mois qu'une main flamboyante • Trace en lettres de feu parmi les nœuds de fleurs! » 11 sera rejeté comme ce noir génie » Effrayant par sa gloire et par son agonie, M Oui tomba jeune encor, dont ce siècle est rempli. » Pourtant JNapoléon du monde était le faîte, > Ses pieds épcronnés des rois pliaient la tète, » Et leur tète gardait le pli. » Malheur donc ! — Malheur même au mendiant qui frappe, » Hypocrite et jaloux, aux portes du satrape! » A l'esclave en ses fers! au maître en son château! » A qui, voyant marcher l'innocent aux supplices » Entre deux ineurtriers complices, » N'étend point sous ses pas son plus riche manteau! » Malheur à qui dira : — Ma mère est adultère! » A qui voile un cœur vil sous un langage austère! » A qui change en blasphème un serment efface! » Au flatteur médisant, reptile à deux visages! » A (|ui s'annoncera sage entre tous les sages! » Oui, malheur à cet insensé! f Peuples, vous ignorez le Dieu qui vous fit naître; " El pouilant vos l'egards le peuvent reconnaître » Dans vos biens, dans vos maux, à toute heure, en tout lieu! < A iM. A. DE LA.MAHTIxNE. 329 » Un Dieu compte vos jours, un Dieu règne en vos fêtes. » Lorsqu'un chef vous mène aux conquêtes, M Le bras qui vous entraîne est poussé par un Dieu! » A sa voix, en vos temps de folie et de crime, « Les révolutions ont ouvert leur abîme. » Les justes ont versé tout leur sang précieux; » Et les peuples, troupeau qui dormait sous le glaive, » Ont vu comme Jacob, dans un étrange rêve, » Des anges remonter aux cieux. » Frémissez donc! Bientôt, annonçant sa venue, » Le clairon de l'archange entr' ouvrira la nue. » Jour d'éternels tourments! jour d'éternel bonheur! » Resplendissant d'éclairs, de rayons, d'auréoles, » Dieu vous montrera vos idoles, » Et vous demandera : — Qui donc est le Seigneur? » La trompette, sept fois sonnant dans les nuées, » Poussera jusqu'à lui, pâles, exténuées, » Les races à grands flots se heurtant dans la nuit ; '< Jésus appellera sa mère virginale; » Et la porte céleste, et la porte infernale, » S'ouvriront ensemble avec bruit! )' Dieu vous dénombrera d'une voix solennelle. » Les rois se courberont sous le vent de son aile ; » Chacun lui portera son espoir, ses remords. » Sous les mers, sur les monts, au fond des catacombes, » A travers le marbre des tombes, » Son souffle remûra la poussière des morts! 330 ODE « 0 siècle, ai-raclio-toi tic les pensers frixules! » L'air va bicMitùt inanquci' clans l'espace où tu voles. » Mortels! gloire, plaisirs, biens, tout est vanité! » A (juoi pensez-vous donc, vous qui dans vos demeures u Voulez voir en riant entrer toutes les heures?... » L'Éternité! T Éternité! » :v Nos sages répondront : « Que nous veulent ces hommes? >' Us ne sont pas du monde et du temps dont nous sommet » Ces poètes sont-ils nés au sacré vallon? » Où donc est leur Olympe? où donc est leur Parnasse? » Quel est leur dieu qui nous menace? « A-t-il le char de Mars? a-t-il l'arc d'Apollon? » S'ils veulent emboucher le clairon de Pindare, •) N'ont-ils pas Hiéron, la fille de Tyndare, » Castor, Pollux, l'Élide, et les jeux des vieux temps, » L'arène où l'encens roule en longs flots de fumée, » La roue aux rayons d'or de clous d'airain semée, » lit les (juadriges éclatants? '■ I*ourquoi nous effrayer de clartés symboliques? >' Nous aimons qu'on nous charme en des chants bucoliques; " Qu'on y fasse lutter Ménakiue et Palémon. r Pour dire l'avenir à notre àme débile, » On a l'écumante sibylle, » Que bat à coups pressés l'aile d'un noir démon. A M. A. DE LAMARTINE. 331 » Pourquoi dans nos plaisirs nous suivre comme une ombre? » Pourquoi nous dévoiler dans sa nudité sombre » L'affreux sépulcre, ouvert devant nos pas tremblants? » Anacréon, chargé du poids des ans moroses, » Pour songer à la mort se comparait aux roses » Qui mouraient sm' ses cheveux blancs. » Virgile n"a jamais laissé fuir de sa lyre » Des vers qu'à Lycoris son Gallus ne pût lire. >' Toujours l'hymne d'Horace au sein des ris est né ; » Jamais il n'a versé de larmes immortelles: » La poussière des cascatclles «Seule a mouillé son luth de myrtes couronné! » Voilà de quels dédains leurs âmes satisfaites Accueilleraient, ami. Dieu même et ses prophètes! Et puis tu les verrais, vainement irrité, Continuer, joyeux, quelque festin folâtre. Ou, pour dormir aux sons d'une lyre idolâtre, Se tourner de l'autre côté. Mais qu'importe? Accomplis ta mission sacrée. Chante, juge, bénis; ta bouche est inspirée! Le Seigneur en passant t'a touché de sa main; Et, pareil au rocher qu'avait frappé Moïse Pour la foule au désert assise, La poésie en flots s'échappe de ton sein. 3:^2 ODE A M. A. DE LAMARTINE. Moi, fiissc-jo vaincu, j'aimerai ta victoire. Tu le sais, j^oui' mon cœur, ami de toute gloire, Les Iriomplies d'autrui ne sont pas un alTront. F*oi'te, j'eus toujours un cliant pour les poètes; VA jamais le laurier qui pare d'autres tètes Ne jeta d'ombre sur mon front! Souris même à l'envie amère et discordante. Elle outrageait Homère, elle attaquait le Dante: Sous l'arche triomphale elle insulte au guerrier. Il faut bien que ton nom dans ses cris retentisse; Le temps amène la justice : Laisse tomber l'orage et grandir ton laurier! VI Telle est la majesté de tes concerts suprêmes. Que tu semblés savoir comment les anges mêmes Sur les harpes du ciel laissent errer leurs doigts : On dirait que Dieu même, inspirant ton audace, Parfois dans le désert t' apparaît face à face, Et qu'il te parle avec la voix! SAUL TRAGÉDIE EN CINQ ACTES INEDITE ACTEURS: SAUL, roi d'Israël. JONATHAS, fils de Saul. MICHOL, fdle de Saiil. DAVID, époux de Micliol. ABXER, général dos armées de ?aùl. ACHIMELEC, grand prêtre. ESDBAS, écuyer de Jonathas. LA PYTHOMSSE DENDOR. Prêtres, Guerriers, Femmes. Suite. La scène est sur la montagne de Gelboé, dans le camp de Saûl. SAUL On .lime à voir rommi'iil la crcalurc seiulilaUe à nous se •l.'-bat avec la soiilTrancc, y succomlx', en triomphe, s'abit, •1 s(! relève sous la puissance dmsorl! All'.iii. Je maJanic du ?taél. ACTE PREMIER Le théâtre représente un camp ; on voit d'un coté les lentes du roi ; de l'autre des rochers et des arbres; des drapeniv, des trophées sont sur le devant. SCÈNE I IJAMD, .,.„!, .-uis :.rN;Os. Il est nuit. DAVID. Enfin je vous i-evuis, lieux chei's ;i ma mémoire! Lieux autrefois remplis de bonheur et de gloire! 0 palais des guerriers! ù tentes où mon roi Du salut d'I.'^raël se reposait sur moi! (KlVn. COMPT.. — Ilf. 338 =^A^'I^- Et vous, cliupcaux sacrés! et vous, armes royales Que Saiil confiait à ces mains filiales! Aprè-^ un si long temps (Vexil et de malheurs, Je vous vois je vous touche, et vous baigne de pleurs!... (Il ernlirassc les i'ienilanls elles trophées.) Invoquant de la nuit les ombres tutélaires, Je rentre en fugitif au milieu de mes frères; .le rentre, et nul guerrier ne reconnaît en moi Ce David, le soutien, le gendre de son roi! 0 Saùl, ô mon maître! Et toi. Dieu redoutable Dont la main nvcleva, dont la rigueur m'accable, Que ne me laissais-tu dans mon obscurité? Que mon bonheur fut court et fut trop acheté! Élevé par mon prince au sein de sa famille, Il m'approche du trône, il me donne sa fille; 11 me la donne! ô ciel! et par un prompt retour^ M'arrache cet objet d'un immortel amour. Jaloux de ces lauriers cueillis pour sa défense, En contemplant ma gloire, il craint pour sa puissance, Et je me vois trois ans proscrit de ces États Honorés par mon nom et sauvés par mon bras... •( C'en est trop, mes malheurs ont passé mon courage! ^ C'est languir trop longtemps dans ce honteux veuvage ! | Quel qu'en soit le succès, par un dernier effort. Je viens redemander ou Michol ou la mort. SA IL. 339 SCÈNE II DAV 11) , JO^I ATHAS , sortant des tentes du roi. JONATHAS, ;■ .lemivoix. Le sommeil à la fin descend sur sa paupière; Veillons! (Il entend les pas de David,) Qu'ai-je entendu? — Quel mortel téméraire Ose franchir l'enceinte oi^i repose son roi? Guerrier, quel est ton nom? DAVID. Vive Israël! c'est moi! JONATHAS. C'est la voix de David ! DAV ID , se jetant dans ses bras. Oui, c'est lui, c'est ton frère, 0 mon cher Jonathas! JO\ATUAS. 0 cielî qu'oses-tu faire? Viens-tu braver du roi l'implacable courrou.x? :,U. ^•^'J'-- PAMP. .le \icns pour le lléchir, eu lunibor sous ses coups. .I0NM1I\S. Tes ennemis ici veillent pour sa vengeance. PAvm. L'appui des innocents veille pour ma défense. .lONATUAS. Les pièges de la mort environnent tes pas. DAMD. Ahî (jui vit dans l'exil, ami, ne la craint pas! lîanni, persécuté, privé de ma patrie, Krrant loin de Michol, que m'importe la vie? Oue m'importent des jours tramés dans les déserts, Loin du saint tabernacle et du Dieu que je sers? .ION MUAS. Si Dieu lès conservait au peuple (lui Tadore? Ton bras fut son salut. DAVID. Il le serait encore! Au secours d'Israi-1 que ne puis-je l'offrir? SAiJL. 341 .ION AT II A s. C'est ainsi seulement que David doit mourir. Tu sais de quels lléaux le ciel, qui nous accable. Trouble les derniers jours d'un prince misérable: Cet Etat, si longtemps aflermi par ta main. Depuis qu'il t'a perdu penche vers son déclin; Chaque jour nous enlève un reste de puissance, Chaque pas nous entraîne à notre décadence, Et par tant de revers nos vainqueurs enhardis Partagent en espoir nos funestes débris. Le Philistin triomphe, et Juda, sans courage, Tend ses mains sans défense aux fers de l'esclavage: Il touche à ces moments prédits par Samuel Où le Jourdain verra les filles d'Israël, D'un vainqueur insolent malheureuses captives, S'asseoir loin de Gessen et pleurer sur ses rives. Seulement avec nous quelques rares soldats Disputent Israël , et ne le sauvent pas ; A des vainqueurs surpi'is de leur propre victoire Ils imposent encor par un reste de gloire ; Mais de l'arche de Dieu les derniers défenseurs Combattent sans espoir et tombent sans vengeurs. DAVID. Sans vengeurs I et je vis! 11 leur en reste encore. JONATIIAS. Dieu ne se souvient plus du peuple qui l'adore; Israël, autrefois l'objet de son amour, Le jour qui \a paraître est-il ton dei-nier jour? 342 SAUL. (lue dis-lu? DAVID. JO>ArilAS. Oue demain le coml)at recommence; Qu'aux pieds de Gelboc le Philistin s'avance, Et que, de tontes parts d'ennemis entourés, Il fiiut vaincre ou périr. DAVID. Cliers amis, vous vaincrez! Vous vaincrez, ou David, couché sur la poussière. Aura mêlé son sang au pur sang de son frère. Viens, que Saiil en moi retrouve enfin son fils. .lONATU \s. Tiarde-toi de t'olTrir à ses regards surpris! Crains d'éveiller en lui cette fureur soudaine Dont le bouillant transport à ton seul nom l'entraîne; Attends que ses esprits, par nos soins préparés. De ses préventions reviennent par degrés; Laisse agir de Michol la tendresse prudente; Voici l'heure où, quittant le l'cpos de sa tente, Quand sa douleur fidèle a chassé le sommeil, Klle vient de Saùl attendre le réveil. Aux forets, à la nuit confier ses alarmes. Adresser au Seigneur sa prière et ses larmes. Et se plaignant au ciel, sans accuser son roi, Lui |)r(''senloi- les vœux qu'elle forme pour toi! SAUL. 343 Aux transports accablants que causerait ta vue Laisse-moi préparer son âme trop émue. Laisse... Mais la voici! DAVID. C'est elle, je l'entends, A ! je la reconnais au trouble que je sens! SCÈNE III Les précédents, MICHOL, ims lobscurné. WICIIOL, snns voii- .I.niallpis. L'astre des nuits à peine a fini sa carrière , Et déjà le sommeil a fui de ma paupière! 0 nuit, ô doux sommeil, tout ressent vos bienfaits, Hélas, et mes yeux seuls ne les goûtent jamais. (lîlletonile à genoux près de l'arclie.) Toi que j'invoque en vain, toi dont la main puissante A semé de ces feux la voûte éblouissante. Toi , de qui la parole a formé les humains Pour servir de spectacle h tes regards divins, 0 Dieu! si de ce trône ardent, inaccessible, Où se cache à nos yeux ta majesté terrible, Tu daignes abaisser tes regards jusqu'à nous, Vois une amante en pleurs tombant à tes genoux. Vois ce cœur déchiré qui saigne et qui t'implore Au pied du tabernacle où tu veux qu'on t'adore. ;}4i SAUL. TolTrir, sans se lasser de tes cruels relus, Des vœux toujours soumis et jamais entendus. Vois en pitié ce peuple accablé de misère. Vois en jiitié ce roi que poursuit ta colère! A ce peu])le abattu rends la vie, ô Seigneur. Rends ta Inrcc à Saùl, et Da\id à mon cœur. (Klle se rclin'.) Ouoi! le ciel aurait-il écoute ma prière? Ma prière a rendu ma douleur moins amèrc : Il semble (|u'en mon cœur une iiuisiblc m;iin Verse un baume inconnu qui rafraîchit mon sein ! Quel ])ouvoir assoupit le feu qui me dévore? Est-ce un premier regard de ce Dieu que j'implore? Est-ce un rayon d'espoir qui descend dans mon cœur? Mais pour moi l'espérance, hélas! n'est qu'une erreur. (Atoe plus (l'abattrment.) 0 David! que fais-tu? dans quel climat barbare Gémis-tu, loin de moi, du sort (jui nous sépare? Quels monts ou quels rochers cachent tes tristes jours? Dans quel désert languit l'objet de mes amours? Seul, au fond des forêts, peut-être à la même heure Il lève au ciel ses mains, il m'appelle, il me pleure? II ])leure, et nos soupirs, autrefois confondus, Emportés par les vents, ne se répondent plus. Ah! pour moi, jusqu'au jour où la main de mon père Aura fermé m»es yeux lassés de la lumière. Redemandant David et lui tendant les bras, Mes yeux do le pleurer ne se lasseront pas. .TON Ain AS, s'avançanl ver» Slicliul. Épouse de David , que le Dieu de nos pères Vous comble dans ce jour de ses bontés prospères! SAUL. 345 MICIIOI.. Pourquoi me parlez-vous des bontés du Seigneur? Je n'ai depuis longtemps connu que sa rigueur. JOiNATflAS. Le Seigneur est sévère et n'est pas inflexible : Aux cris de Tiimocence il se montre sensible, Il abat, il relève, il console, il punit. Tel aujourd'hui l'accuse, et demain le bénit. MicaoL. J'adore sa justice et ne puis la comprendre : La voix d'un cœur brisé n'a pu s'en faire entendre; Il m'a ravi la joie, et la tombe aujourd'hui Est le dernier bienfait que j'attende de lui. JOXATUAS. Mais si ce Dieu , ma sœur, lassé de sa colère , Jetait sur Israël un regard moins sévère? S'il désarmait son bras, s'il ramenait à nous Le vengeur de Juda, mon espoir, votre époux? Si David...? MICIIOI,. Ah! cruel, quel est donc ce langage? Pourquoi d'un tel bonheur me rappeler l'image? Arraché de mes bras depuis un si long temps, David est-il encore au nombre des vivants? 346 SAUL. .ION Mil VS. Kh bien, apprenez donc le sujet de ma joie : 11 vit... MICIIOL. Il vit, o ciel! JO^ATIIAS. Et Dieu vous le renvoie. MICIIOI,. Est-il vrai? quoi! David...? — Ne me trompez-vous pas? Je reverrais David? DAVID, s'rl.minnt ilii Iwsqiirl où il .Hail rai ho. David est dans tes bras. MICIIOL. Dieu! n'est-ce point un songe? Est-il vrai que je veille? David! quoi! c'est sa voix qui frappe mon oreille? Je le vois, je le touche. Oh! Dieu qui me le rends, Ah ! laisse-moi mourir dans ses embrassements. i)\\ II). Une seconde fois s'il faut que je la pleure. Dieu qui vois mon délire, 0 Dieu, fais que je meure! SAL'L. 347 MICIIOL. Non, nous moiirrons ensemble, ou je suivrai tes pas! Mais parie, qu'as-tu fait? dans quel climat sauvage As-tu caché tes jours pendant ce long veuvage? Quel dieu te protégea quel dieu t'a ramené? DAVID. Hélas! traînant partout mon sort infortuné, Quels bords n'ont pas été témoins de ma misère? J'ai porté ma fortune aux deux bouts de la terre. D'abord, loin des humains, seul avec ma douleur. J'ai cherché les déserts, et j'aimais leur horreur; Des profondes forêts j'aimais les vastes ombres. Les monts et les rochers et leurs cavernes sombres M'ont vu, pendant deux ans, troublant leur triste paix, Disputer un asile aux monstres des forêts. Arracher aux lions leur dépouille sanglante, Et me nourrir, comme eux, d'une chair palpitante. Du moins, lorsque la nuit enveloppait les cieux. Je gravissais les monts qui dominent ces lieux, Et, parcourant de loin cette immense étendue, Je revoyais la terre à mes yeux si connue. La lune, me prêtant ses paisibles clartés, Me montrait les vallons par mon peuple habités, La plaine où tant de gloire illustra mon jeune âge. Et du fleuve sacré le fertile rivage; Sur son cours fortuné j'attachais mes regards. Et mes yeux de Sion distinguaient les remparts. «Voilà Sion, disais-je, et voici la demeure Où soupire Michol, où Jonatlias me pleure : Tout ce qui me fut cher habite dans ces lieux. » 34^ SA IL, Kl je lie pcuxais plus Cil drlachor mes yoiix. Kiilin, las dr traîner ma liontcusc cxistonco. Dans mes oisives mains je ressaisis ma lance. Et. brûlant de trouver un illustre trépas, J'allai ciierclicr la moi't au milicni des combats. J'allai chercher la mori , je rencontrai la «gloire. Je volai comme ici de victoire en victoire; Plus d'un peuple étonné mo demanda pour roi; J'ai préféré mourir à régner loin de loi. Et je reviens enfin, à mes serments (idèle , Vaincre ]i(Kir ma jvdiic ou lombtM' avec elle. UICIIOI. Mais sais-tu?. DAVID. Je sais tout et ne redoute rien. Ce bras est votre aj)pui. mon Dieu sera le mien. Micnoi. Mais Saii!... DAVID. Ses malheurs l'auront changé peut-être. .lONAINAS. Euisl les moments sont chers, cl le roi va |)araître ; Ouc ce l)ocage épais te dérobe à ses yeux ! (l'uvirl »c! relire. ! SAUL. 349 MICFIOK. Après tant (rint'ortniie, attendons tout des cicux. SCÈNE IV MICHOL, JONATIIAS, SAUL. SAUL ^ sortant de sa ti'iilc. L'ombre fuit, et la terre a salué l'aurore; Quand le Dieu d'Israël me regardait encore, Chaque joui' m'annonçait un bienfait du Seigneur ; Chaque jour maintenant m'apporte son malheur. Quand le flambeau des cieux va finir sa carrière, Je crains l'ombre : il revient, et je hais la lumière. Mais qui cache aujourd'hui son disque pâlissant? 0 ciel! il s'est voilé d'un nuage sanglant! D'une clarté livide il couvre la nature. Voyez les eaux, le ciel, les rochers, la verdure. Tout ne se peint-il pas d'une horrible couleur? — Soleil, je te comprends, et je frémis d'horreur. MICHOL. Mon père, calmez-vous, jamais sur la nature L'aurore n'a paru plus sereine et plus pure.^ JONATILVS. Oh ! mon roi, ({uel prestige a fasciné vos yeux? Jamais un jour plus beau n'a brillé dans les cicux. 350 -^AIL SAl'I.. Oui ino s(»ulag(M-;i du poids de ma vieillesse? Hélas! qui me rendra les jours de ma jeunesse? Aux plaines de Gcssen qui conduira mes pas? Oui me rendra ma force au milieu des combats? Oui me rendra ces jours où ma terrible épée Brillait comme l'éclair au fort de la mêlée; Où, comme un vil troup(\au dispersé devant nous, Le superbe étranger embrassait mes genoux? Autrefois tous mes jours se levaient sans nuage; Tel qu'un joun(> lion amoureux du carnage, Cha((ue jour j'attaquais un ennemi nouveau. Cha(|ue jour m'apportait un triomphe plus beau; Israël reposait à l'ombre de mes tentes; Je chargeais ses autels de dépouilles sanglantes. Et le peuple de Dieu, couronnant son vengeur. Disait : Gloire à Saûl! — et moi : Gloire au Seigneur! (l'n moniTil de silencf.) Et maintenant qui suis-je? Une ombre de moi-même. En roi qu'on abandonne à son heure suprême. Combattant vainement cette fatalité, Ce pouvoir inconnu dont je suis agité, Persécuté, puni, sans connaître mon crime, Par une main de fer entraîné dans l'abîme, Triste objet de pitié, de mépris ou d'effroi. L'esprit du Dieu vivant s'est séparé de moi... Micnoi,. 0 mon père, éloignez cette horrible pensée. SAUL. 351 JOiNATIIAS. Rappelez, ô mon roi, votre vertu passée! Soyez toujours Saul ! Qu'Israël aujourd'hui Retrouve en vous son roi , son vengeur, son appui ! Ramenez la fortune au bruit de votre gloire. SAIL. Malheureux, est-ce à moi de parler de victoire? Va! loin des cheveux blancs la victoire s'enfuit; Va! je traîne partout le nialheur qui me suit! Ce bras est impuissant pour sauver ma couronne : Dieu la mit sur mon front, mais ce Dieu m'abandonne. Et partout un abîme est ouvert sous mes pas. Nous fléchirons le ciel. JONATHAS. SAUL. On ne le fléchit pas. Inexorable, au gré de son ordre suprême, Il conduit les-mortels, les peuples, les rois même; Aveugles instruments de ses secrets desseins , Tout tremble devant nous, nous tremblons dans ses mains! Sous les doigts du potier l'argile est moins soumise, Et Dieu, quand il lui plaît, nous rejette et nous brise. Il m'a brisé, mon fils, j'ai régné, j'ai vécu, Bientôt ma race et moi nous aurons disparu. JONVTirVS. D'où vous vient, ô mon roi, cet clTrayant augure? 352 SAUL. SAU,. Va ! je lis mon arrêt sur toute la nature ! Vu faiitùnic implacable agite mon sommeil, L'n fantôme implacable assicge mon réveil ; Mille songes affreux sans liaison, sans suite, Sont présents à toute lieui'e à mon àme interdite. — l'n jeune homme expirant sous un coup inhumain, — l'n vieillard malheureux se perçant de sa main , — l'n trône en poudre, un roi dont le destin s' achève, — In astre qui s'éteint, — Un astr(3 qui se lève, — De la joie et du sang, un triomphe, nu cercueil, — Et des chants de victoire et des accents de deuil!... Ce tîésordre confus et ces sombres images Peut-être du sommeil sont-ils les vains ouvrages? J'ai lait pour les lier des efforts superflus... Mon fils! depuis longtemps Dieu ne m'éclaire plus. .rO.NATIIAS. Demandez-lui, seigneur, sa force et sa lumière; Espérez tout de lui! SA Cl. Que veux-tu que j'espère? Où sont mes défenseurs, où sont mes compagnons? Le glaive a moissonné leurs vaillants bataillons: Au milieu des combats ils sont tombés sans vie; Je foule leur poussière, et je leur porte envie. Ils sont morts dans leur gloire en vengeant leur pays : C'est moi qu'il faut pleurer, puisque je leur survis. Quel ap[)ui, Dieu puissant, reste--t-il à ta cause? Sur quel héros faut-il que mon bras se repose? SAUL. 353 l'n vieillard, un entant, une femme et des pleurs... Voilà donc mon espoir! voilà donc tes vengeurs I 11 en restait un autre. MICHOL. SAUL. Et qui donc? JO>iATIIAS. 0 mon père, N'aviez-voas pas deux fils? n'avais-je pas un frère? SALL. f Que dites-vous? 0 ciel! ô! regrets superflus! Oui, David fut mon fils; hélas! il ne l'est plus: David n'est plus mon fils! Ah! s'il l'était encore, S'il entendait la voix du \ieillard qui l'implore. Si le Seigneur pour nous armait encor sa main • De la fronde sacrée ou du glaive divin. Il rendrait à mes sens la force et la lumière; Et l'ennemi tremblant, couché dans la poussière, Sous nos coups réunis tomberait aujourd'hui! Car David est ma force, et Dieu marche avec lui. Mais j'ai brisé moi-même un appui si fidèle. C'est par des attentats que j'ai payé son zèle... David n'est plus mon fils, je l'ai trop outragé; Si mon malheur le venge, il est assez vengé. JOKATflAS. A ce héros, seigneur, rendez plus de justice! Ah! s'il savait son prince au bord du précipice. Ce héros généreux viendrait, n'en doutez pas. Se venger de vos torts en vous offrant son bras. ŒL'VR. COMPL. — III. t;3 354 SAUL. SAÛL. Ah! tu dis vrai peut-être... oui, ce cœur magnanime Est fait pour concevoir un dessein si sublime; Mais séparé de nous, au fond de ses déserts, Il n a point entendu le l)ruit de nos revers; Il ne reviendra pas me ramener ma gloire. JONATIIAS. Eh bien! seigneur, eh bien! ce que vous n'osez croire. Ce fils reconnaissant pour vous l'a déjà fait. SAÛL. \ Oh! ciel! JONATIIAS. Oui, de ces lieux s' approchant en secret, David, iiumble et tremblant, attend dans le silence Que son père et son roi l'admette en sa présence. SAUL. Quoi! David? JONATHAS. Oui, David, en ce danger pressant. Vient vous offrir sa tête ou vous donner son sang! SAIJL. Ah! béni soit le ciel qui vers nous le renvoie! David, où donc es-tu? Courez, que je le voie; Je brûle de serrer dans mes bras attendris Le salut d'Israël, mon vengeur et mon fils! (Micbol et Jonalbas se retirent. SAÎJL. .Sî>5 SCÈNE V SAUL, seul. Je vais donc le revoir! Jour heureux et terrible! Pour un cœur grand et fier, oh! Dieu! qu'il est pénible De s'offrir dans l'opprobre et dans l'adversité Aux regards d'un héros qu'on a persécuté ! Mais que dis-tu, Saûl? dans ce moment suprême, Sois juste! et tu seras plus grand qu'il n'est lui-môme. SCÈNE VJ SAÛL, MICHOL, JONATHAS, DAVID. SAÛL , ù David. Approche, ami de Dieu, viens embrasser ton roi. DAVID , tombant à genoux. Ton esclave en tremblant s'avance devant toi. Et, tout chargé du poids de ta longue colère. Il implore à genoux un regard moins sévère. SAÛL. Que fais-tu? c'est à moi de tomber à tes pieds; C'est à moi de baisser mes veux humiliés : ;{5G SAÛL. Je fus ton oppresseur, et je vois ma victime! Je fus injuste et dur, tu fus grand et sublime! Je t'ai persécute^, tu viens me secourir! Tu m'as vaincu, David, c'est à moi de rougir. Mais je ne rougis point d'avouer ma faiblesse, Hélas! on a tout fait pour tromper ma vieillesse: Pour égarer mon cœur, un prestige fatal Dans mon plus ferme appui me fit voir un rival. Oue ne puis-je effacer ces jours de ta disgrâce ; Que ne puis-je... ! ah! du moins ma douleur les efface! Viens, généreux ami, de ton roi malheureux Viens en jours éclatants changer les jours affreux. DAVID. Ah! c'en est trop, seigneur, ce jour, ce jour propice Réparerait lui seul un siècle d'injustice; Eh (juoi! mon bienfaiteur, mon seigneur et mon roi Jusqu'à me supplier s'abaisse devant moi! Eh! de vos mains, ô roi, ne suis-je pas l'ouvrage? SAÛL. Un héros tel que toi doit tout à son courage; Il est l'œuvre de Dieu, le fils de ses exploits: Cesse de rappeler tout ce que tu me dois; Je te dois plus moi-même, et tant de modestie Ajoute un nouveau lustre à l'éclat de ta vie. (Aperceraot rbumble vèlemeol d« David.) Mais dans ([ucl humble état parais-tu dans ces lieux? Où sont de tes exploits les témoins glorieux, Ces ornements guerriers, cette éclatante armure. D'un gendre de Saûl belliqueuse parure? Huel est cet humble habit, mon fils, oii je te voi? SAUL. 357 DAVID. C'est celui d'un berger; celui que devant toi L'humble fils d'Isaï portait dans son enfance, Quand il fut, dans Sichem, admis en ta présence, SAÛL. Pourquoi l' as-tu repris? DAVID. Son souvenir m'est doux : Nu vous m'avez reçu, nu je reviens vers vous! Tel que j'étais, Saùl, avant que ta tendresse Eût par tant de faveurs exalté ma jeunesse. SAÛL. 0 fils digne en effet de toute ma faveur, Dans cet abaissement j'admire ta grandeur ! Laisse-moi réparer un trop cruel outrage! Reçois de mon amour, reçois ce nouveau gage. (Il lui doDne sa lance.) Tiens, je n'ai pas besoin de t'en dire l'emploi, Tu sais ce qu'aujourd'hui Saùl attend de toi. JONATHAS, lui offrant son casque. 0 mon frère, permets que ma main faible encore Offre aussi son hommage au héros que j'honore; Prend ce casqne, et, brillant dans mes premiers combats, Qu'il fixe mes regards et dirige mes pas. 35« sai:l. MICIIOF. j lai diinnanl le liouclicr. Et moi, je viens t'ofTrir d'une main plus tremblante Un don plus rassurant pour le cœur d'une amante, Ce bouclier sacré qu'en des jours plus heureux Mes mains avaient orné d'emblèmes amoureux. Qu'il émousse les traits d'une main ennemie, Qu'il couvre de son ombre et ton peuple et ta vie; Et toi, songe, ô David, en le portant toujours, Que c'est moi qu'il protège en protégeant tes jours. DA.VID, ileiant si.n arme dans ses mains. 0 toi qui de la fronde armas mes mains timides, Toi qui prêtas ta force à mes flèches rapides, Arbitre des combats. Dieu terrible, Dieu fort. Qui portes dans tes yeux la terreur et la mort. Daigne bénir encor ces armes plus terribles; Quitte, quitte, Seigneur, tes hauteurs invisibles; Viens, descends et combats, et, sous l'œil de moai roi. Fais-moi vaincre aujaiu'd'hui pour ton peuple et pour toi ! SALL. Allons, déjà j'entends la trompette sacrée: Mes guerriers de ces Meux vont assiéger l'entré'^. Viens montrer à Juda son dernier défenseur! L'espoir, à ton aspect, renaîtra dans son cœur. SAUL. 369 ACTE DEUXIEME SCÈNE I SAÛL, ABNER. ABNER. Entendez-vous, seigneur, ces transports d'allégresse? Autour de son héros tout ce peuple s'empresse, Il le nomme son chef, son vengeur, son appui, Et toutes les tribus s'inclinent devant lui. SALL. Oui, ce peuple, en effet, lui rend un digne hommage. Et des faveurs du ciel il voit en lui le gage ; Songeons à profiter de ce moment d'ardeur : Un peuple sûr de vaincre est à demi vainqueur. Mais toi, si par ton front je dois juger ton àme,. Tu ne partages pas l'espoir qui les enflamme ; Quel est ce changement? Parle, fidèle ami. AB.NIîn. Seigneur, vous savez trop si jamais l'ennemi 3t>0 SAUL. A fait trembler ce cœur vieilli dans les alarmes; Assez d'exploits peut-être ont illustré mes armes Pour prouver à mon roi qu'une indigne terreur Ne saurait de mon bras démentir la valeur. Mais devant le salut du roi que je révère, Je dois contraindre ici mon courage à se taire; Et l'esprit occupé d'un intérêt plus grand Va me dicter, seigneur, un avis plus prudent : Oui, suspendez enfin une ardeur trop bouillante. Enchaînez d'Israël la fougue impatiente. Que la crainte une fois retienne votre bras. Et, loin de les chercher, évitez les combats. Et qui peut l'inspirer...? SAUL. ABIVER. Le soin de votre gloire. SAUL. Mais enfin pour ton roi que crains-tu? ABNER. La victoire. Oui, seigneur, oui, tremblez d'être aujourd'hui vainqueur, Si David du succès doit seul avoir l'honneur. Vous savez jusqu'oia va, pour ce héros qu'il aime, De ce peuple égaré l'enthousiasme extrême; Vous l'avez déjà vu, trop justement jaloux. Lui prodiguer des noms qui n'étaient dus qu'à vous : » SAÛL. 361 Vous le verrez bientôt, plus hardi, plus volage, Vous faire, pour David, un plus sanglant outrage, Dans vos propres succès vous trouver un affront, Arracher vos exploits pour en orner son front, Et peut-être. . . SAUL. J'entends ce que tu n'oses dire, Abner, et je rends grâce au zèle qui t'inspire ; Mais ce n'est plus le temps, ami, de ménager Mes propres intérêts, dans le commun danger. Le salut d'Israël n'est que dans la victoire; Qu'un rival préféré m'en dispute la gloire; Que ce peuple inconstant, proclamant sa valeur. D'un triomphe commun lui donne tout l'honneur. Qu'importe? A ses honneurs loin de porter envie, Notre rivalité sauvera la patrie, Et, juge de nos coups, Israël aujourd'hui Prononcera, s'il ose, entre Saûl et lui. ABNER. Mais si vous succombez, seigneur?... SAÛL. Si je succombe, La gloire de ma mort consacrera ma tombe, Et ce sceptre sanglant, jusqu'au bout défendu. Sur ma cendre à mon fils sera du moins rendu. ABNER. Quoi! vous comptez, seigneur, sur la reconnaissance 362 SAUL. De ce peuple fameux par sa làclie inconstance? Qui, des dieux c^trangers stupide adorateur, Vingt fois pour Bélial a traiii le Seigneur? Vous pensez qu'à son Dieu, qu'à Moïse infidèle, Pour le sang de ses rois il aura plus de zèle? Qu'il remettra le sceptre aux mains de Jonathas? Ah! prince... ah! jugez mieux : les peuples sont ingrats, Us ne savent aimer que ceux qu'ils peuvent craindre; Et leur servile amour, toujours prompt à s'éteindre, Par un nouveau caprice aussitôt remplacé. Chez nous du père au fils a rarement passé. Malheur au fils de roi qui n'a pour sa défense Que les droits méconnus de sa sainte naissance! Si, trop voisin du tronc, un jeune ambitieux Jusqu'au trône lui-même osait porter les yeux, Si Saiil est trop grand pour craindre pour lui-même, Hélas! qu'il craigne au moins pour cet enfant qu'il aime. SAûr,. Va, je suis las de craindre et de flotter toujours Dans ces perplexités où se perdent mes jours! La prudence me nuit, le doute m'importune. Et je veux corps à corps affronter ma fortune. C'est trop fuir, hésiter, prévoir et balancer! Au-devant de mon sort je prétends m'élanccr. Et, plongeant hardiment dans ces ombres funèbres, Arracher mon destin du sein de ses ténèbres. ABNER. Ah! prince, nos destins ne sont faits que par nous : C'est en tes prévoyant qu'on peut parer leurs coups. SA Cl. 633 SAUT. I Et comment les prévoir, quand par tant de miracles Le ciel ferme partout la bouche à ses oracles? Pour arracher de lui l'obscure vérité Que n'ai-je point offert? que n'ai -je point tenté? Mais les autels sont sourds, l'arche même est muette, Et dans tout Israël il n'est pas un prophète ! ABNER. Oui, dans l'esprit menteur des prêtres corrompus, L'esprit du Dieu vivant, seigneur, ne descend plus: Mais chez le peuple saint, il est, il est encore Des cœurs simples et purs que le zèle dévore, Et qui, lisant le livre à nos yeux effacé. Racontent l'avenir ainsi que le passé. SAtTL. Et dans quelle tribo? depuis quand? Qael silence M'en a jusqu*à ce jour dérobé l'existence? Parle, quel est le nom de cet homme pieux Oui'uflii mystère coupable a soustrait à mes yeux? A»NER. C'est une simple femme : Endor est sa patrie : L'obscurité longtemps enveloppa sa vie; Mais depuis que l'Esprit sur elle est descendu. Tout à coup dans Juda son nom s'est répandu. On dit que l'avenir pour elle est sans mystères, Qu'elle a prophétisé sur le sort de ses frères, 36-i SAUL. Sur David et sur vous... qu'elle a lu clans les deux De sinistres secrets... SALI.. Qu'on l'amène à mes yeux! Toi, garde cette enceinte, et que nul téméraire Pendant cet entretien n'en trouble le mystère! SCÈNE II SAÏÏL, seal. Peut-être, puisque enfin je puis le consulter, Le ciel peut-être est las de me persécuter. A mes yeux dessillés la vérité va luire; Mais au livre du sort, ô Dieu! que vont-ils lire? — De ce livre fatal qui s'explique trop tôt Chaque jour, chaque instant, hélas! révèle un mot. Pourquoi donc devancer le temps qui nous l'apporte? Pourquoi... dans cet abîme... avant l'heure...? — N'importe, C'est trop, c'est trop longtemps attendre dans la nuit Les invisibles coups du bras qui me poursuit. J'aime mieux dérouler la trame infortunée. Et lire d'un seul trait toute ma destinée. (PeDdant ces derniers mots '» Pytbonisse entre sans cire vue de Saûl.) SAÙL. 365 SCÈNE III SAiJL, LA PYTHOXISSE D'ENDOR. SAUL ) se retournant et apercevant la Pythonisse immobile au fond de la scène. Est-ce toi qui, portant l'avenir dans ton sein, Viens au roi d'Israël annoncer son destin? J.V PYTHONISSE. C'est moi ! SAÛL. Qui donc es-tu? LA PYTHOiMSSE. La voix du Dieu suprême. SAÛL. Tremble de me tromper ! LA PYTHOMSSE. Saiil, tremble toi-même. 366 SAIJL SAUL. Eh bien! qu apportes-tu? LA rYTIIOMSSK. Ton arrêt. saCl. Parle I LA PYTHOlMSSE, avec doukur. 0 ciel , Pourquoi m'as-tu choisie entre tout Israël? Seigneur, mon cœur est faible, et mon sexe est timide; Choisis pour ton organe un sein plus intrépide. Pour annoncer au roi tes divines fureurs, Qui suis-je? SAÛL. Tu frémis, et tu verses des pleurs! Quoi, ministre du ciel, tu n'es plus qu'une femme? LA PVTUOMSSi:. Détruis donc, ô mon Dieu! la pitié dans mon âme! SAÛL. Par ces lâches terreurs penses-tu m'ébranler? I SAUL. 367 lA PYTIIOMSSE , avec eTort. Mais ma bouche, ô mon Dieu! se refuse à parler. SAUL, avec colère. Tes lenteurs, à la fin, lassent ma patience, Parle si tu le peux, ou sors de ma présence! LA PYTHOMSSE. Que ne puis-je en sortant emporter avec moi Tout ce qu'ici je viens prophétiser sur toi ! Mais un Dieu me retient, me pousse, me ramène; Je ne puis résister à sa main qui m'entraîne. Oui, je sens ta présence, ô Dieu persécuteur! Et ta fureur divine a passé dans mon cœur. (Avec plus d'iorreur.) Mais quel rayon sanglant vient frapper ma paupière? Mon œil épouvanté cherche et fuit la lumière. Silence! — le Destin m'ouvre ses noirs secrets: Quel chaos de malheurs, de vertus, de forfaits! Dans la confusion je les vois tous ensemble : Comment, comment saisir le fil qui les rassemble? Saiil ! — Michel ! — David ! — malheureux Jonathas! Arrête, arrête, ô roi, ne m'interroge pas! SAUL, trtmblanl. Que dis-tu de David, de Jonathas? Achève! 368 SAUL. LA PYTIIO.MSSEj toujours inspiréo. Oui, l'ombre se dissipe, et le voile se lève. Ciel! de ce que je vois faut-il percer son cœur? — Vous le voulez, ô roi? SAÛL. Dis tout ! LA PYTIlOiMSSE. Il est vainqueur , Quel triomphe! ô David! que d'éclat t'environne! Que vois-je sur ton front? saCl, Achève! la rYTIIOMSSE. Une couronne! SAUL. Perfide, que dis-tu? David est couronné? LA PYTnONISSR. Hélas! cf tu péris, enfant infortuné! I SA Cl. • 369 Et pour pleurer ton sort, jeune et tendre victime, Les palmiers de Cadès ont incliné leur cime. Oh ciel! épargne-le, détourne tes fureurs, Saûl a bien assez de ses propres malheurs! Mais la mort l'a frappé sans pitié pour ses charmes, Hélas! et David même en a versé des larmes... SAÛL. Silence! — c'est assez; j'en ai trop écouté. LA PVTIIOMSSE, s.n„s lentendre. Saiïl , pour tes forfaits ton fils est rejeté ; D'un prince condamné Dieu détourne sa face, D'un souffle de sa bouche il dissipe sa race ; Le sceptre est arraché... SALL, avec emportement. Tais-toi, dis-je, tais-toi! LA rYTIIONISSE. Saûl, Saûl, écoute un Dieu plus foit que moi. Le sceptre est arraché de tes mains sans défense, Le sceptre chez David passe avec ta puissance , Et ces biens par Dieu même à ta race promis, Transportés à David, passeront à ses fils. Que David est brillant! Que son triomphe est juste! Ou'il sort de rejetons de cette tige auguste! Que vois-je? Un Dieu lui-même! 0 viei-gcs du saint lieu. Chantez, chantez David, David ciifcinte un Dieu! ŒUVR, COMl'l,. — II], 2i 370 i^AUL. SALL, u\cc plus île fureur. Ton audace à la lin a conil)lé la mesure! Va, tout respire en toi la fourbe et T imposture. Dieu m'a promis le trône, et Dieu ne trompe pas. LA l'YïlIOMSSE. Dieu promet ses fureurs à des princes ingrats. SAÛr. Crois-tu qu'impunénfient ta bouche ici m'outrage? LA rVTUOMSSE. Crois-tu taire d'un Dieu varier le langage? SAÛL. Sais-tu quel sort t'attend? sais-tu...? I LA PYTIIOMSSE. Ce que je sais C'est que ton propre bras va punir tes forfaits! Et (}u'avant que des cieux le flambeau se retire Un Dieu justifîra tout ce qu'un Dieu m'inspire. Adieu, malheureux père! adieu, malheureux roi! (Klle teut s'éloigner, S.iiil la relient.) SA Cl. Non, non, perfide; reste; écoute et réponds-moi! SAUL 371 C'est souffrir trop longtemps rinsolencc et l'injure, Je veux convaincre ici ta bouche d'imposture. . Si le ciel à tes yeux a su les révéler, Quels sont donc ces forfaits dont tu m'oses parler? LA PYTHOMSSE. L'ombre les a couverts, l'ombre les couvre encore, Saûl, mais le ciel voit ce que la terre ignore. Ne tente pas le ciel ! SAÛL. Non, parle, si tu sais! LA PVTIIOMSSE. L'ombre de Samuel te dira ces forfaits !... SALL. Samuel, Samuel! Eh quoi! que veux-tu dire? LA PYTUOMSSE. Toi-même en traits de sang ne peux-tu pas le lire? SAÛL. b Eh bien! qu'a de commun Samuel avec moi? LV PYTHOMSSE. Qui plongea dans son sein le 1er sanglant? 372 SAUL. SAUL. LA rYTIIONISSR. SAUL , hors .lu lui. Qui Toi. Monstre qu'a trop longtemps épargne ma clémenc Ton audace à la fin appelle ma vengeance. ni lùve sa lanci' el la poursuit.) Tiens, va dire à ton Dieu, va dire à Samuel Comment Saùl punit. ta perfidie... (Au moment où il va la frapper, Il aperçoit l'ombre de Samuel ; il laisse tomber le fer ; il recule.) Oh ciel ! Ciel ! que vois-jc? cest toi! c'est ton ombre sanglante! Quels regards! — Son aspect me glace d'épouvante. Pardonne, ombre fatale, aii! pardonne! oui, c'est moi! C'est moi qui t'ai porté tous ces coups que je voi! Quoi ! depuis si longtemps? quoi ! ton sang coule encore? Viens-tu pour le venger? — Tiens! (Il décou\re sa poihiiie et la [.résenle à Samuel.) Mais il s'évapore. iKa f'jtboDisso eorl pcudaot as ilcrniers mol» ) I SAUL. 373 SCÈNE IV SAÛL, MICHOL, ABNER, JONATHAS, DAVID. Jonattas el David reviennent do camp. Saul est absorbé dans sa vision. JO^ ATIIAS , en entrant sur la scène. Quels moments ! MICIIOI,, à Jonalhas. Quels transports a causés son retour I Tout ce peuple enivré partageait mon amour. JONATHAS, s"approcbant dn roi. Seigneur, de nos guerriers l'élite déjà prête Se dispose au combat comme pour une fête ; A l'aspect de David, une antique valeur Ranime leur espoir et rentre dans leur cœur ; L'étendard belliqueux dans les airs se déploie, On pousse mille cris de victoire et de joie, Qu'attendez-vous? Venez donner à nos soldats L'exemple et le signal. b.\UL, comme sortant d'un sommeil. Qui parle de combats? JONATHAS. Eh quoi! seigneur, ici, vous-même tout à l'heure N'ordonnàtes-vous pas...? ÎT4 SAUL SAl !.. H sullil. (Juon (.Icmcurc! Qu'on letii-c à l'instant rordre que j'ai donné. (A»cc (■garcmciit cl i Dans quel abaissement ma gloire s'est perdue! " J'erre sur la montagne ainsi qu'un passereau, ■' Et par tant de rigueurs mon âme confondue,' ■ Mon àme est devant toi comme un désert sans eau. SAUL. 389 » Pour mes fiers ennemis ce deuil est une fête; a Ils se montrent entre eux ton Christ liumilié : » Le voilà, disent-ils, ses dieux l'ont oublié, » Et Moloch en passant a secoué sa tête » Et souri de pitié. » SAUL, sn levant furieux. Que dis-tu? quoi, Moloch! — Va, je les brave encore; Où sont ces ennemis que mon glaive dévore? (■Qn enlPnJ de nouveau le son des instrumenis. I.c roi se calme.) MICIIOL reprend. « Seigneur, tendez votre arc, levez-vous, jugez-moi, » Remplissez mon carquois de vos flèches brûlantes; » Que des hauteurs du ciel vos foudres dévorantes » Portent sur eux la mort qu'ils conspiraient sur moi. » Dieu se lève, il s'élance, il abaisse la voûte » De ces cieux éternels ébranlés sous ses pas ; » Le soleil et la foudre ont éclairé sa route, » Ses anges devant lui font voler le trépas. » Le feu de son courroux fait monter la fumée, » Son éclat a fendu les nuages des cieux, » La terre est consumée » D'un regard de ses yeux. » Il parle : sa voix foudroyante » A fait chanceler d'épouvante » Les cèdres du Liban , les rochers des déserts ; » Le Jourdain montre à nu sa source révérée; » De la terre altérée » Les os sont découverts. :m SAUL. » Lp Seigneur m'a livré la race criminelle » Des superbes enfants d'Amnion; • Levez-vous, ô Saiil, et que l'ombre éternelle » Engloutisse jusqu'à leur nom. » SAULj se levant avec joie. Me voici, me voici! Seignem', venge ta gloire! C'est ainsi que ta voix m'annonçait la victoire. (La niusiqiiu f.iit l'iitcndre des sons iM-iliiineiix.) MICUOL. « Que vois-je? vous tremblez, orgueilleux oppresseurs! » Le héros prend sa lance, » Il s'agite, il s'élance; » A sa seule présence , » La terreur de ses yeux a passé dans vos cœurs. » Fuyez! — Il est trop tard; — sa redoutable épée » Décrit autour de vous un corcle menaçant, » En tous lieux vous poursuit, en tous lieux vous attend, » Et déjà mille fois de votre sang trempée, » S'enivre encor de votre sang. » Son coursier superbe » Foule comme l'herbe » Les corps des mourants; » Le héros l'excite » Et le précipite » A travers les rangs; » Les feux l'environnent, » Les casques résonnent » Sous ses pieds sanglants; I SAUL. 391 » Devant sa carrière, » ('et te foule altière » Tombe tout entière » Sous tes traits brûlants, » Comme la poussière ') Qu'emportent les vents. » Oii sont ces fiers Ismaélites, » Les enfants de Moab et la race d'Édom, » Iduméens, guerriers d'Ammon, » Et vous superbes fils de Tyr et de Sidon , » Et vous cruels Amalécites? » Les voilà devant moi comme un fleuve tari, » Et leur mémoire même avec eux a péri. » SAUL, avec lrans|iiirt. Les voilà devant moi comme un fleuve tari, Et leur mémoire même avec eux a péri. C'est Saùl! oui, c'est moi! Que ces chants de victoire Sont doux à mon oreille et chers à ma mémoire! Que ces jours étaient beaux où le fils d'Isaï Partageait mon triomphe et le chantait ainsi! Mais que ces temps sont loin, hélas! et combien l'âge A depuis énervé ce superbe courage! Que le fer pour mon bras est un pesant fardeau. Et que le soir est sombre après un jour si beau! (La musique se fait entendre avec plus île douceur.) MICHOL. « Que de biens le Seigneur m'apprête! » Qu'il couronnne d'honneurs la vieillesse du roi ! 392 SAUL. » Épliraïm, Maiiassé , Galaad, sont à moi, )• Jacob, mon bouclier ot l'appui de ma tète! » Que de biens le Seigneur m'apprête! » Qu'il couronne d'honneurs la vieillesse du roi! » Des bords où l'aurore se lève » Aux bords où le soleil achève >' Son cours tracé par l'Éternel, • L'opulente Saba, la fertile Ethiopie, » La riche mer de Tyr, les déserts d'Arabie , )' Adorent le roi d'Israël. » Peuples, frappez des mains, le Roi des rois s'avance; » Il monte, il s'est assis sur son trône éclatant; » Il pose de Sion l'éternel fondement. » La montagne frémit de joie et d'espérance. » Peuples, frappez des mains, le Roi des rois s'avance ,. » Il monte, il s'est assis sur son trône éclatant. » De sa main pleine de justice » 11 verse aux nations l'abondance et la paix. » Réjouis-toi, Sion! sous ton ombre propice, » Ainsi* que le palmier qui parfume Cadôs, » La paix et l'équité fleurissent à jamais. » De sa main pleine de justice y> Il verse aux nations l'abondance et la paix. y> Dieu chérit de Sion les sacrés tabernacles » Plus que les tentes d'Israël; » Il y fait sa demeure, il y rend ses oracles, » 11 y fait éclater sa gloire et ses miracles; » Sion ! ainsi que Lui , ton nom est immortel. » Dieu chérit de Sion les sacrés tabernacles » Plus que les tentes d'Israël. SAÛL. 393 » C'est là qu'un jour vaut mieux que mille ! » C'est là qu'environné de la troupe docile » De ses nombreux enfants, sa gloire et son appui, » Le roi vieillit, semblable à l'olivier fertile » Qui voit ses rejetons fleurir autour de lui. » SALL, eiUièremenl calmé. Que ces accents divins dissipent mes alarmes! Mon œil se mouille encor : mais quelles douces larmes! C'est ainsi qu'autrefois David, David mon fils, Me racontait les biens que Dieu m'avait promis; Je crois entendre encor cette harpe sacrée Accompagnant les sons de sa voix inspirée; Plus doux que les soupirs des palmiers du Thabor, Ces chants autour de moi retentissent encor. Le calme par degrés succède à ma tristesse; Ah! qu'il revienne encor ranimer ma vieillesse! Avec lui mon repos, hélas! s'est envolé. Ma fille, qu'il revienne et je suis consolé! (L'on enteud des sons brillant?, iJes cris de joie.) Qu'entends-je? MICHOL, nvecolTroi. 0 ciel! SAÛL. Mes sens ne me trompent-ils pas? LE CIICCUR , en se rapproiliant, laisse distinguer ces mots. « David est notre chef et roi dans les combats! » 394 SAUL. SM !.. 0 perlidic, ô crime! ô monstres exécrables! Ai-je bien entendu ces voix, ces cris coupables? I.E CIIOEI'R, |iliis près fmore. « David nous a sauvés des ombres du trépas , » David est notre chef et roi dans les combats. » saCl. David a combattu, David a la victoire! Je n'en puis plus douter; volons, vengeons ma gloire! illfe prètipile liors . Jonathas m'est plus cher que le jour qui m'éclaire, iMichol est mon épouse, et vous fûtes mon père, Ouols o;arants plus certains attendez-vous de moi? SàÛL. Il est vrai; cependant tu n'estimes que toi! Devant toi tout pâlit, devant toi tout s'elTace, Et par-dessus Saiil tu t'es choisi ta place. DAVID. Je ne m'exalte point, je suis dans Israël Le second après vous, et rien devant le ciel. SAÛL. Le ciel ! toujours le ciel et Dieu sont dans sa bouche ! AB.MiU, i„-.8isui,i. Il aflecte à dessein ce langage farouche. SAÛL. Mais tu n'ignores pas que ses prêtres cruels M'ont de ce Dieu terrible interdit les autels, .^AUL. 403 Que pour lui uiou encens est un encens profane, Que sa main me poursuit, que sa voix me condamne. Et que, se repentant de m'avoir élu roi, Il n'est rien de commun entre ton ciel et moi. Pourquoi, si tu le sais, me tiens-tu ce langage? Est-ce pour m'(»ul rager? DAVID. C'est pour lui rendre hommage. Et pourquoi pensez- vous que, déjà condamné, Le Dieu qui vous choisit vous ait abandonné? 11 répond à toute heure au cœur qui s'humilie, Et n'oublia jamais que l'ingrat qui l'oublie. C'est lui qui, dès Jabès vous prenant par la main. Du trône, encore enfant, vous ouvrit le chemin; C'est lui qui, confondant l'errant Amalécite, Jusqu'aux déserts de Sûr précipita sa fuite; C'est lui qui, soumettant l'idumée à vos lois. Jugera votre cause une seconde fois. Si votre cœur, fidèle à sa reconnaissance , En lui, mais en lui seul, fonde son espérance. SAUL, t'garé- Qui parle au nom de Dieu?... Quel pontife inspiré Ose tenir ici ce langage sacré? (Il cluTclic D.ivirl sans le vuir.) Fils de Mclchisédech , approche, que je voie Cet autre Samuel que le ciel me renvoie ! Pour me parler ainsi, réponds-moi, quel es-tu? Du redoutable éphod es-tu donc revêtu? (Il nconnail Darid.) 404 SAUL. Mais non!... par ses discours mon âme était trompée! Je vois briller sur lui la cuirasse et répée; C'est David!... cl pourtant je ne reconnais pas Ce fer dont, ce malin, j'avais armé son bras. (Il prend IV'p.e dp Goliath.; Quel est ce glaive? MICllO.. . 0 ciel ! DAVID. C'est la dépouille sainte Que ma fronde a conquise au champ du tcrébinthe, Ce fer que sur mon front le géant philistin Comme un éclair de mort fit briller dans sa main, Mais qui, tombant bientôt de sa main égarée, Lui donna cette mort qu'il m'avait préparée. SA IL. Qu'entends-je? Eh quoi ! ce fer consacré par mes mains Ne fut-il pas soustrait aux regards des humains, Et, pour rendre à. Dieu seul l'honneur de ce miracle, Suspendu devant lui dans le saint tabernacle? Moi seul n'avais-je pas le droit de le toucher? Parle! DAVID. Il est vrai. SAUL. 405 SAUL. Qui donc osa l'en arracher? Qui viola du roi la défense suprême? DAVID. Moi seul. SALL. Et dans quel temps, perfide? DAVID. Aujom^d'hui même. L'ordre du Dieu vivant dans mes mains l'a remis; Voyez, il fume encor du sang des ennemis! Le sang dont il est teint, seigneur, me justifie; Le voici! Jugez-moi, je vous livre ma vie. (David lui remet l'épée de Goliath.) SAUL, saisissant l'épée. Ton crime t'a jugé. Va, ce trait odieux Fait tomber à la fin le bandeau de mes yeux. Perfide, je rends grâce au forfait qui m'éclaire. Et m'a de tes complots révélé le mystère. Il en est temps encor : tu n'es pas encor roi ! En vain tu t'élevais dans l'ombre contre moi, En vain, pour t'cnliardir à toucher la couronne. Ton audace usurpait les droits sacrés du trône; 40f) SAll.. Tiens, iiionstrc, avec les jours tes complots sont finisi Dieu les a confondus : ce l)ras les a punis. (P;iiil li-ïf. IVpi* sur llnvid ; le pranri [irilii-so jillc inlri- ( AC.IiniKIKC. Que faites-vous, Saiil? Arrêtez! .lONAlUAS. 0 mon p^rc! MICHOI.» Il n'a pas mérit('' cette injuste colère. SAÛL. Qui me retient? Tremblez! MICIIOL. 0 mon père, ô mon roi. Nous périrons plutôt! J0N4THAS. Frappez-nous ! ACHlMIiLKC.. Frappe-moi î David est innocent, j'ai pris sur moi le crime. Le ciel fut mon complice, et voilà ta victime! (Il pr.'nciili- sa poilrin* ii Sai 1) SAiJL. 407 Frappe donc ! C'est par moi que tu dois commencer. SALL, clHTrlianl i aticiii.IreDaviil. Non, c'est un sang moins vil que ma main doit verser. ACHIMÉLEC, inspiré. Peux -tu frapper celui que le ciel veut défendre? Sais-tu, sais-tu quel sang tu brûles de répandre? SALI.. C'est le sang criminel d'un traître comme toi ! ACHIMÉLEC. C'est le sang innocent d'un héros... et d'un roi î SAUf D'un roi ! ACHIMÉLEC, «liin awenl propliélirii]^. I Du plus grand roi que la terre, charmée, Ait vu régner jamais sur l'heureuse Iduméc ; D'un roi sage, modeste, humain, chéri des cieux, De tous ses ennemis toujours victorieux, Qui brisera bientôt de ses mains triomphantes Le joug humiliant des tribus gémissantes, Délivrera Jacob, affranchira Juda, Remplira les déserts du nom de .léhova. 408 SAUL. Fondera sur Sion sa cleincurc élcrnelle , Et qui verra de loin de sa race immortelle Les sacrés rejetons, germant dans l'avenir, Enfantin' dans les temps Celui (jiii doit venir! ADMiK. Quelle audace! S.VL'L, avec terreur, en regaidaut David. Est-ce un Dieu? JONATIIAS. Quel éclat sur sa tête! \bm<:h. Quoi, tu ne trembles pas, téméraire prophète? \CUIMIiLEC. Moi trembler! — devant qui? Va, malheureux vieillard. Je te plains. Je voudrais... Hélas! il est trop tard! Saul est rejeté, sa race est retranchée; De ce tronc réprouvé la tige est desséchée. Fonds en pleurs. Benjamin; Juda, réjouis-toi: C'est de ton sein que sort ton salut et mon roi ! Israël le bénit, l'univers le contemple. Il règne, il est des rois la terreur et l'exemple, Son sceptre réjouit les lieureuses tribus , Les îles et Saba lui portent leurs tributs. C'est un astre nouveau que l'univers adore : SAUL. 409 A sa vive clarté, venez, accourez tous, . Peuples de l'aquilon, nations de l'aurore; Et vous, rois étrangers, de sa grandeur jaloux, Et vous, fils de Sion , venez, prosternez- vous, Poussez des cris de joie et des chants de victoire : Voici l'élu de Dieu, voici le Roi de gloire! Tombez à ses genoux ! (Achiméicc montre DaviJ et se prosterne lui-mi'me.) JONATHAS , frappé de respect. Tombons à ses genoux ! iD^ Que faites- vous? MICHOL. C'est un Dieu qui l'ordonne ! DAVID , roulant les relever. ABNER, sans lléchir. Jamais ! SAUL, épouvante. Ma force m'abandonne ! Heureux fils d'Isaï, tu l'emportes sur moi! Je suis vaincu , je tombe à tes pieds. DAVID. 0 mon roi , Quoi! vous pourriez...? 410 SAUL SAl I. Un Dieu me force à reconnaître Dans mon heureux rival mon vainqueur et mon maître'. Malgré ma liaine, un Dieu me force à l'adorer. A quel abaissement., DAVID. SX L L^ pruhlori Laisse-moi t'implorer. Je m'abaisse et voudrais m' abaisser plus encore ; Mais ce n'est pas pour moi que ma bouche t'implore! Avant que de te voir au trône qui t'attend, Pour le défendre en roi , j'aurai versé mon sang! Mais le ciel est plus fort que tout mon vain courage, Et ce spectre sanglant sera ton héritage. Tu régneras. Au moins, sur ma ruine assis, En remplaçant le père, épargne au moins le fils. Ne verse pas le sang de toute ma famille, Épargne Jonathas, prends pitié de ma fille! Souviens-toi, dans les jours de la prospérité, Que je te recueillis dans ton adversité , Que si Dieu t'a choisi , c'est moi dont la tendresse A d'un rival trop cher réchauffé la jeunesse, Que tu fus entouré de toute ma faveur. Que ma longue amitié prépara ta grandeur, Que, pouvant me venger, ma main tremble et s'arrête. Et qu'à ce moment même où la voix du prophète M'avertit que je tombe et que tu vas régner, Maître oncor <]o tes jours, j'ai pu les épargner. SAiJI.. .\\\ Vu, délivre mes yeux d'une vue iiiiporluiic. Va, loin de mes malheurs, attendre ta fortune! Hâte-toi, fuis, épargne un crime au désespoir! Je puis plus aisément f épargner que te voir. Ml. toi.) SCÈXE IV SAÛL, ACHIMÉLEC, JOXAÏHAS, ABNER. SALI.. Vous qui me poursuivez avec tant d'injustice, N'êtes-vous pas contents d'un si grand sacrifice? Dieu, prêtres dont la voix a^vaincu mon courroux. Me serez-vous enfin plus cléments et plus doux? pionif-iil lie s-ilencf.) Non , leur haine est sacrée , et rien ne la surmonte ! Je tomberai toujours, mais avec plus de honte. 0 lâche! qu'ai-je fait? j'ai pu m'humilier Devant mon ennemi jusqu'à le supplier! J'ai tremblé lâchement aux vains accents d'un traître! J'ai fléchi devant lui, moi Saùl, moi son maître! Ah ! j'aurais dû frapper, j'aurais dû dans son sein Plonger ce fer vengeur échappé de ma main . Prévenir et punir le crime par le crime. Rassasier mes yeux du sang de ma viclinio, Et. d'avance vengeant et ma chute et m;i mort, Lutter c(»ntre le ciel et mériter mon sort. 412 SAUL. (l'.n aporcfTanl le grand prêtre.) Mais quoi! je vois encor cet insolent prophète! l-V AcUimélec.) C'est toi qui conjuras les destins sur ma tête ! C'est toi, monstre sacré, dont rinfcrnale voix Place au front d'un brigand la couronne des rois! Vengeons-nous!... ACIIIMÉLEC. Et sur qui? Je ne suis que l'organe Du Dieu qui le choisit, du Dieu qui te condamne. S\IIL. Tout ce que veut un fourbe, un Dieu l'a révélé! ACIIIMHLEC. Un Dieu plus fort que moi par ma bouche a parlé. SAÛL. Que ce Dieu, s'il se peut, sauve donc son oracle! ACIIIMÉLEC. Le ciel ne fait jamais d'inutile miracle : Il a su pour David tromper votre courroux; Je ne suis plus qu'un homme, il m'abandonne h vous. SACL, à Abncr. Qu'on le mène à la mort, qu'il n'avait pas prévue! SAL'L. 413 (A AcLiiiilIlc.) Ton heure avant la mienne au moins sera venue. (Oii (iitrainc li; grand^jrùtre.) ACIIIMÉLEC. cuséloignanl. C'en est fait! il manquait ce comble à tes forfaits. Ah! malheureux vieillard, que tu me suis de près! SCÈNE V SAÙL, MICHOL, JONATHAS. ' .lONATIIAS, uiTfpnoux de Saiil. 0 mon père! MICHOL. Épargnez cette auguste victime ! JONATHAS. Ne souillez pas vos mains!... MICHOL. Mourez du moins sans crime, s vil- Non, j'ai trop écouté vos timides clameurs, Tous ceux que vous sauvez seront vos oppresseurs: 114 ^AUL. lu Uifii jiiluux de moi vous pousse et vous inspire, Kt pour uKi perte aussi mon propre sang conspire. Laissez-moi ! .lONATUVS. Non! S.VUI.. Tremblez ! MICUOI Ah! que votre courroux Épargne le grand prêtre et retombe sm* nous! SALI.. Par votre aveuglement ma fureur se ranime. JO.NATIIAS. Quel crime aux yeux du ciel! SAIJI,. Eh bien! justice ou crime Que m'importe? et que font aux aveugles destins Les malheurs, les vertus, les crimes des humains? De trente ans de vertus quelle est la récompense? Que m'est-il revenu de ma longue innocence? Quel est ce Dieu vengeur dont vous parlez toujours? Il vous perd, et d'un monstre il protège les jours. SALL. 415 Il le conduit au trône, il vous fait sa victime, Et s'il a des faveurs, ce n'est que pour le crime. S'il les met à ce prix , je les veux mériter. Ne pouvant le fléchir, je le veux imiter : Je prends, ainsi que lui, ma haine pour justice, Et de tous mes forfaits je le fais le complice. JONATHAS. Par un blasphème, ô ciel! n'éveillez pas son bras. Craignez!... SAÛL. Va, je le hais, mais je ne le crains pas. SCÈNE VI SAÛL, JONATHAS, MICHOL, ABNER. ABAER, à Sadi. Il n'est plus, dans son sang j'ai lavé votre injure. JONATHAS. 0 crime! AB^ER. uJonalba.. Ainsi que vous ce vil peuple en murmure. 410 SAUL. .lO.WTIlAS, ;, Abn«r. Puisse ce sang sacré retomber tout sur toi ! SAUL, à SCS cnf.inls. Je le sens qui retombe et sur vous et sur moi ; Mais mon glaive, altéré de ce sang que j'abhorre, S'il n'était répandu le verserait encore. (A Abner.) Laissons aux faibles cœurs la crainte et le remord, Nous, bravons-les, Abner, allons tenter le sort, Rassemblons nos guerriers : que le silence et l'ombre Aux yeux des Philistins cachent leur petit nombre; Marchons, terrassons-les, et noyons pour jamais Dans les flots de leur sang ma honte et mes forfaits. Va! ABMEIl, s'éloignunt. J'obéis, seigneur. SCÈNE VU SAUL, MICHOL, JONATIIAS. SAUl., a Jonilba». Toi, donne-moi mes armes; Suis-moi; laisse à ta sœur les terreurs et les larmes! SAUL. 417 Sois cligne de Saiil , sois digne de ton rang : Viens chercher, viens braver le sort qui nous attend. Ah! dans ce cœur vieilli je sens de mon jeune âge Renaître en cet instant l'audace et le courage; Le désespoir enfin rend la force à mon bras : Mon cœur frémit de joie au signal des combats. Je vois des flots de sang, j'entends, j'entends d'avance Les vains cris des mourants renversés par ma lance. Quel plaisir! Qu'il est beau pour un simple mortel De combattre à la fois les hommes et le ciel ! ill sort en disant ces mois, Mitl:ol ei Junitlias lo suivfnl. ii:r Vl\. COM l'I.. — 1)1. 418 SAUL. ACTE CINQUIEME SCÈNE [ (La scène lepiéseiite le camp do Sai'i! dans le désordre d'un champ de l)atailie : des lentes renversées, des armes éparses çà et là. — L'arche entourée de lévites effrayés. — Michel arrive éperdue sur la scène, suivie des prêtres, des femmes. — U est nuit. MICHOL, PRÈTUES, LÉVITES, FEMMES. MICilOL , anx prùlrcs cl aux feinnics qui la suivent. Ail ! suivez-moi ! rentrons dans cette auguste enceinto Et périssons du moins aux pieds de l'arche sainte! (Klle jcUi! k'S yeux sur les débris du ciia>i>.) Mais que vois-jc? 0 douleur! jusqu'en ce lieu sacré Le Philistin vainqueur a déjà pénétré, Et, repoussé trop tard par notre vain courage, 11 a rempli le camp des traces du carnage. L'\ PRiVniE. Nuit suprême! aux fureurs d'un ennemi cruel Verras-tu donc livrer les restes d'Israël? SAUL. 419 UNE ISRAÉLITE. Ah! fuyons! UNE AUTRE. Mais où fuir? MICIIOI.. La mort nous environne , Sous les pas des guerriers la terre au loin résonne; Le bruit approche, oh ciel! il redouble : écoutez! UNE ISRAÉLITE. 4 C'est le pas des coursiers dans la plaine emportés. MIGuOL , s'appiochant de la foret pour écouter. Ce sont des cris plaintifs, des voix, des sons funèbres Roulant comme la foudre au milieu des ténèbres, — Le sifflement des traits, — la fuite des coursiers, — Le roulement des chars, — le choc des boucliers; — De tous ces bruits confus s'élève un bruit immense. — Écoutons. Mais tout meurt dans un vaste silence. UNE ISRAÉLITE. Ah! l'un des deux partis à l'autre aura cédé î MICIIOL. Doute alïreux ! 420 SALIL. l.\ PRftlRE. Dieu vengeur, qu'as-tu donc décidé? MICIIOI-, iiuul.uudc nouveau. Quel tumulte nouveau! quelle tempête horrible Se réveille et m'annonce un combat plus terrible? Écoutez, regardez! le fer frappe le fer. Des boucliers brisés sort un livide éclair. Voyez, à chaque coup, comme dans la nuit sombre Leur lance, en traits de feu, se dessine dans l'ombre! Approchez, entendez ce long cri des mourants. Ce sont peut-être, hélas! nos frères expirants! C'est peut-être Saùl ou Jonathas mon frère, Qui nomme encor David à son heure 'dernière. LN l'uiVriin:. Ali! généreux enfant, malheureux Jonathas, David à ton secours ne volera donc pas? MICFIOL. Non, pour perdre Israël, la vengeance céleste Éloigne ce héros dans cette nuit funeste; Menacé par Saùl, j'ignore dans quel lieu Le retient loin de nous la colère de Dieu. UNE ISRAÉLITE. Silence! d'un guerrier j'entends les pas rapides; Du côté d'Engaddi, par ces sommets arides, 11 gravit la montagne et s'avance vers nous. SAUL. 421 MICflOI. Ah! si c'était David! SCÈNE II JLES PRECEDENTS ', UA \ lU , am é, se précipite vers Michnl, qu'il a entendue. DAVID. C'est lui, c'est ton époux! Micnoi.. Sa voix seule à mon cœur a rendu l'espérance. DAVID. J'ai prévu vos périls, je vole à ta défense. A peine avais-je atteint mon asile écarté Et confié mes pas à son obscurité, Que le bruit renaissant de l'ardente mêlée S'élève et vient frapper mon oreille troublée : J'écoute, et du côté où s'élève le bruit Je dirige au hasard ma course dans la nuit. Tremblant de m'égarer, la main de Dieu, sans doute, A travers les périls a dirigé ma route ; Où sont les ennemis? Où combat Jonathas? En est -il temps encor? Parlez, guidez mes pas. 422 SAUL. Micnoi,. Les Philistins du camp ont forcé la muraille, Et tout le Gelboé n'est qu'un champ de bataille. Le combat est partout : le succès, balancé, D'un parti dans un autre a maintes fois passé; On se cherche, on se mêle, on frappe, et la nuit sombre Cache encor nos destins dans l'horreur de son ombre. DAVID. Eh bien! que Dieu me guide au plus fort du danger! Je vais sauver son fîeuple ou je vais le venger : Adieu, chère Michol, adieu! Si je succombe, Puisse le ciel au moins nous unir dans la tombe ! SCÈNE m MICHOL, SL'ITK, PRÊTRES, FEMMES, LÉVITES. .MICMOL , «uivnnl rli-s yeux Pavi,!. C'en est fait! il s'éloigne, il s'élance aux combats, Hélas ! je n'entends plus que le bruit de ses pas. Que n'ai-je pu le suivre au gré de mon envie! Mourir du môme coup qui tranchera sa vie! Ah! (juand le reverrai-je? En quel état, grands dieux! Sanglant, percé de coups, peut-être qu'à mes yeux, A côté de Saiil, à côté de mon frère. Le jour le montrera coucIkî sur la poussière... SAUL. 423 Ah! fuis, nuit éternelle, et vous, ombres sans fin, Tombez, et d'un seul coup montrez-moi mon destin. L\E ISr.AKI.lTE. Le bruit approclie : oh! ciel! fuyons, chères compagnes. UNE ALTF.E. Cherchons un autre asile au sommet des montagnes. MICriOL. Si j'ai perdu David, que m'importe mon sort? J'irai, j'irai moi-même au-devant de la mort. UN PRftlRE, àMicboi. Pour Saûl et pour lui, vivez, vivez encore. Attendons en priant le retour de l'aurore. Espérons en David, en Jonathas, en Dieu! I NE ISRAÉLITE. Tremblons ! — J'entends des voix. — Des guerriers vers ce lieu S'avancent! — Ah! fuyons la mort ou l'esclavage. UN TRKTRE. Montons vers les rochers. — Dans cet antre sauvage Cachons l'arche sacrée. — Et nous, dans ces forets Dispersons-nous. — Cherchons des abri< plus secrets. (I.os léïili's etnpnricnl 1 .irE AL'TRIi. Ah ! périssons plutôt ! MICnOI. . lulcnilanl les pas des guerriers. Silence ! les voici ! La nuit à mes regards dérobe encor leur nombre , Hâtons-nous, et sans bruit enfonçons-nous dans l'ombre. (Ils disparaissent Imi^.) SCÈNE lY JONATHAS, ESDRAS. (Jonalhoç Lle.'Sp, soutenu par son couver, entre par le cùté opposé à la scène.) JONATHAS, arançant avec ptiin'. Où sommes-nous, Esdras? oi^i conduis-tu mes pas? Laisse-moi ! — Tous tes soins ne me sauveront pas! SAUL. 425 Mon sang coule à longs flots ! — Mes yeux s'appesantissent, Et mes genoux sans force à chaque pas fléchissent. £SDRAS, s'efforrant de le comluire plui loin. Rappelez, ô mon fils, un reste de chaleur! Ne tombez pas vivant dans les mains du vainqueur! Encore quelques pas! JO.NArnAS, essayaDl en vain fie marcLci. Ma force m'abandonne; Sous la main du trépas mon cœur serré frissonne : C'en est fait! je succombe! (Il se laisse tomber au pied d'un svcomore.) ESDRAS, désespéré. 0 mortelle douleur ! Il tombe ! et je n'ai pu prévenir son malheur, A mon maître expirant donner des soins utiles, Ni d'un fardeau si cher charger mes bras débiles ! Ah ! malheureux vieillard ! loin de le secourir, Hélas! à ses côtés tu ne peux que mourir. JOXATIIAS, avec effort. Écoute, cher Esdras, ma dernière prière : Si cette nuit fatale... épargne au moins mon père, Raconte-lui ma mort; dis-lui que Jonathas N'est pas tombé sans gloire en ses premiers combats. Dis-lui que pour David j'implore sa clémence, Que le Seigneur sur moi venge son innocence, Que je meurs sans me plaindre, et qu'en le bénissant, Pour son peuple et pour lui j'ai versé tout mon sang! 42fi SALL KSOR \S, im,^„- .1.. i.,.„..,s. Ouoi! }c vciTcais mourir celui (|U(^ j'ai vu naîlre! Ai-je donc tant vécu pour survivre à mon maître? 0 douleur ! — Mais le ciel peut prolonger vos jours. Si Taurore vers nous ramenait du secours? Si quelque fugitif, aidant mon bras dél)ile, Vous portait avec moi vers un plus sûr asile? J'écoute. — Mais partout un silence de mort!... .ION VTU \s. Va ! je n'attends plus rien des liommes ni du sort : Si seulement, ah! Dieu! si je pouvais encore Étancher d'un peu d'eau la soif qui me dévore! l'-SDIîAS, parcnniant la siùm-. Hélas! j'en cherche eu vain. Dans ces arides lieux, Nulle fontaine, ô ciel! ne réjouit mes yeux; D'aucune source au loin je n'entends le murmure; Pas une goutte d'eau sur la pâle verdure! .ION M JI AS. Kh bien! tiens, prends mon casque, et là, dans le vallon. Descends, et remplis-le des ondes du Cédron. l'.SDIl AS, prcmnl |p r.T?i)ii(> f l sVlnipnanl. Faut-il le laisser seul! 0 tardive vieillesse! 0 Dieu ! rends à mes pas la force et la vitesse. I SAUL. 427 SCÈNE Y JONATflAS, sn,i. Dérobez-moi , Seigneur, aux yeux des Philistins ! Ne laissez pas tomber mes restes dans leurs mains ; Ne livrez pas mes os à la terre étrangère; Laissez au moins ma cendre à mon malheureux père î Mon père! Ah! qu'ai-je dit? Dans ce moment, hélas! 11 tombe, il meurt peut-être en nommant Jonathas! Où donc était David? — Michel, sœur adorée, Combien tu ]^leureras ma mort prématurée!... Le Seigneur Ta voulu! béni soit le Seigneur! Esdras!... Il ne vient pas... une molle langueur Efface par degrés ma mémoire et mes peines ; Un calme inattendu se répand dans mes veines; Mes yeux appesantis succombent au sommeil. Esdras viendra trop tard... Seigneur!... sois mon réveil! (Il s'fndort l'ionrlu au pie.) .ir l'arbre.) SCÈNE VI •lUlVA J liAo, ■>iMluniii; SAIJJ>, Tiigitif, arrive k'iUrtucnl sur la scène saDsvnir son fils. svfi.. Oïl fuir?... où retrouver dans ces ombres funestes De mes guerriers détruits les déplorables restes? 4::S SAUL. Sous le fer ennemi sont-ils donc tombés tous? Kt moi qui les bravais, seul j'échappe à leurs coups!... (Il ckrrclii' :i lOiontinitrc \e lieu uii il se trouve.) OÙ suis-je?... C'est le camp : voici ces mêmes tentes, Muettes maintenant, naguère si bruyantes !... Peuple qu'entre mes mains le ciel avait remis, C'est donc là ce retour que je t'avais promis? Qu'un moment a changé ton héros et ton maître ! D'une heure à l'autre, hélas! qui peut le reconnaître? Où sont tous tes enfants, dont les cris belliqueux Réjouissaient mon camp? — Je te reviens sans eux! Seul je \is! — et le ciel, constant à me poursuivre. M'arrache le triomphe et me condamne à vivre ! Et je vivrais! — ô honte! — et je viendrais m'olTrir A la pitié d'un peuple ardent à m'avilir? A l'orgueilleux dédain des fils du sanctuaire? Lâches qu'enhardirait l'excès de ma misère. Et qui, sur mes malheurs mesurant leur allVont, D'un reste de bandeau d('i)ouillcraient mon Iront! Non, non; plutôt cent fois de ma main forcenée', Moi-même, en roi du moins, faire ma destinée; Et puisque Dieu l'emporte, et qu'il est le plus fort, Chercher contre sa haine un abri dans la mort ! (Il lire son l'pi-p.) Frappons! — Mais Jonathas peut-être vit encore! Faut-il l'abandonner au rival qui l'abhorre? Comment ce faible enfant, de traîtres entouré, Sortirait-il du piège à ses pas préparé? Que recueil lera-t-il de mon triste héritage? Un trône s'écroulant, la honte et l'esclavage! Non , non ; bravons pour lui les derniers coups du sort ! Vivons, puisqu'il le faut pour prévenir sa mort! SAUL. 429 Malgré lo ciel, cncor conservons rcspérancc! Aux destins, jusqu'au bout, opposons ma constance; Et s'il me faut tomber, eh bien! tombant en roi. Que toute ma maison s'engloutisse avec moi! (Saiil cherclie une issue, et s'approche du sycomore au pied duquel Sun fils est étendu et endormi.) — Mais où porter mes pas? — où le chercher? — L'aurore Sur ces sommets sanglants ne brille point encore : Qui sait si ses rayons ne me montreront pas Parmi des morts...? Grand Dieu, sauve au moins Jonathas! JONATUAS, i ce mol, se rijveill;i»l; i demi-voix. Où suis-je? — Quelle voix m'a nommé? S.VLL, étonné. Qui soupire? Parle! c[ui que tu sois, que fais-tu là? (Il b'approclje préti|iitaninient Je l'arb.c. •lO.NATHAS. J'expire SAl L. Quels accents!... JOiNATlIAS. C'est Saul !. 430 SAUL. S.VUL, t-perdu. Est -il \rai? Jonallias! .iO\ Villes. C/cst iLoi ! s VI I. , se |ircci|iit.iiil »ur son flU. .!c k' retrouve! J0\ VTirvs. Et je meurs dans vos bras ! Mais, avant de fermer mes yeux à la lumière, Oue le ciel soit loué! j'ai pu bénir mon père. SALI.. Que vois-je ! () malheureux, il nage dans son sang! C'est donc ainsi, grand Dieu, que ta main me le rend! Quel monstre l'a frappé? N'cst-il plus d'espérance? Faut-il mourir aussi? JONATIJAS. Vivez pour ma vengeance ! Vivez; n'espérez pas de conserver mes jours: L'instant oi^i je vous parle en achève le cours. Accordez-moi du moins une dernière grâce: Que d'un fils expirant David prenne la place. Dieu le chérit, et Dieu rejette votre fils: Hespeclons ses décrets! Je meurs, et les bénis! SAUl.. 431 SALL. Quoi ! ce nom détesté dans ta bonclie est encore ? Dieu le chérit!... Eh bien! c'est pourquoi je Tabliorrc! C'est pour lui que de Dieu les décrets inhumains Ont brisé cette nuit mon sceptre dans mes mains; C'est pour lui que tu meurs, c'est pour lui que je tombe; C'est lui qui doit fonder son trône sur ta tombe I Et tu veux...! Ah! plutôt dans son sein abhorré Que ne puis-je plonger ce fer désespéré; L'en retirer fumant pour l'y plonger encore; Voir couler dans le tien tout ce sang que j'abhorre: Et lorsque sous mes coups sa vie aurait coulé, Me frapper à mon tour, et mourir consolé ! (lii ii.omeiit lie silencf.) — Mais je ne verrai pas son supplice! — Le lâche Laisse tout faire au ciel ; il triomphe , et se cache ! Il craint ce bras débile; il attend pour venir Qu'un traître de ma perte aille le prévenir! Qu'il vienne, il en est temps, saisir cette couronne Qui tombe de mon front, et que son Dieu lui donne! Qu'il vienne rechercher parmi ces flots de sang Ce sceptre abandonné, ce trône qui l'attend! Le voici! — Alens régner sur ces champs de carnage; Viens recueillir de moi cet horrible héritage; Prends ma place, perfide; et, sur ces tristes bords. Règne sur des déserts, des débris et des morts! jo.N vru \s. Malheureux père! au nom de mon heure suprême. Épargnez-moi! — Vivez, et rentrez en vous-même; -^32 SAUL. N'irritez pas un Dieu si sévère pou^ nous, !•]( ])ar le repentir désarmez son courroux! SALI.. Et que me peut ton Dieu? que nie fait sa colère? A son courroux enlin que restc-t-il à faire? Près du corps déchiré de mon fils expirant 11 m'entraîne, il me voit; il doit être content! — Va! tant (]ue j'espérai de conserver ta vie, J'ai craint ce Dieu, mon fils; tu meurs, je le défie! Sa cru luté ne peut accroître mon tourment. Je tombe sous ses coups, mais en le blasphémant! .lONATUAS. U ciel! à nos malheurs n'ajoutez pas ce crime! — Contentez-vous, ô Dieu! d'une seule victime; Oue mon sang vous apaise, et que mon père... ! SALI,, furieux. Non ! Non ! je ne veux de toi ni bienfait ni pardon ! Dieu cruel, Dieu de sang, je te brave et t'outrage! Tout ton i)uuvoir ne peut avilir mon courage. Tu l'emporte, il est vrai; mais lorsque tu m'abats, Je me relève encor pour insulter ton bras! Je ne me repens pas des crimes de ma vie : C'est toi (pli les commis, et qui les justifie; C'est toi qui , de mes jours constant persécuteur, As semé sous mes pas les pièges du malheur; Et, si l'excès des maux a produit l'injustice. Tu fus de mes forfaits la cau.sc et le complice! s A IL. 433 — Tu les punis pourtant! — Tu les punis on moi; Mais je les vois ailleurs récompensés par toi ! Ce qui fut crime en l'un chez un autre est justice: La vertu n'est qu'un nom, ta loi n'est qu'un caprice: Et ton pouvoir cruel n'a formé les humains Que pour persécuter l'ouvrage de tes mains! Eh bien! par mon supplice exerce ta puissance! Assouvis tes regards, jouis de ma soulTranco; Jouis! mais hâte-toi de l'épuiser sur moi: Le néant où je cours va m'arracher à toi ! JO.NAniAS, d'une voix cleioU'. 0 blasphème! Épargnez, Dieu démenti... 0 mon père! Que cet égarement rend ma mort plus amèrc! — Ne vous souvenez pas, Seigneur, de ces discours! Seigneur, votre justice a compté tous nos jours; Nos destins sont écrits dans vos lois éternelles. Nos mérites pesés dans vos mains immortelles : L'homme, œuvre de ces mains, pourra-t-il murmurer? Osera-t-il juger ce qu'il doit adorer? Ah! si la nuit d"es sens ici nous presse encore. La mort ouvre nos yeux à l'éternelle aurore : Je la sens! 0 Saiil! quelle immense clarté! Mon père! jour divin, céleste vérité! Que ces rayons sacrés consolent ma paupière!... Que le Seigneur m'est doux à mon licure dernière!... Mon âme dans son sein s'exliale sans effort ! Mon père!... adieu... Seigneur, recevez... SAL F-j rontempliiit It* corps (itî jftu Ùh- 11 est mort!... rKU vn. coM PI . — : i I. 2.^ m SAUL. 11 est mort!... La voilà cette longue espérance, Ces destins éternels promis à ma puissance! Oracles imposteurs! à mon peuple, à mon fils, A toute ma grandeur, malheureux, je survis! Comme un astre tombant cjui brille et qui s'efface, J'ai vu briller et fuir tout l'espoir de ma race: tt moi!... vieilli, défait, et pleurant sur des morts, Vaincu, je reste seul!... seul avec mes remords! Mourons donc ! Venez tous jouir de mon supplice. Vous, ombres qu'immola ma sanglante injustice. Dans le sang de mon fils voyez couler mon sang!... Mais je ne vous vois pas à ce dernier instant, Mânes persécuteurs, auteurs de ma misère! Quoi! vous m'abandonnez à mon heure dernière? Quoi! vous ne venez pas vous disputer mon corps? Quoi donc! connaîtrait-on la pitié chez les morts? Eh bien! ma propre main vous apaise et vous venge! Recevez tout mon sang, enivrez-vous... * >ll rnUiKl las !>»» des guerrier», les cri» des tiiinqueurs.) Qu'entends-je? Mon nom!... Vous me cherchez, barbares ennemis? Vous me trouverez là, sur le corps de mon fils! Qui n'est tombé que mort n'est pas tombé sans gloire ! Les voici! Hâtons-nous, frappons, mourons! ,11 f perce dr toa ifii-e sur le corps de Jonatbas.) SAUL. 435 SCÈNE YII DhS (iL'EIlIlIEIlS pousioiit uii ui en se prétipitaut sur la sccue. Victoire ! d'autres guerriers. Gloire au lils d'Isaï! ses généreuses mains Ont délivré Juda du fer des Philistins ! UIV G L'ERRJER , .-ipi-rcevaul les corps de Saûl et de Ji.nalbas. Ciel! que vois-je? LiN AUTRE. Saiil couché sur la poussière! U\ AUTRE. 0 spectacle! ) douleur! le fils avec le père! 43G SAUL. SCÈNb: Vlll l.KS PRÉCÉDENTS, DAVID, GUERRIERS. DAVID. Quoi! Saiil? Jonathas? où sont-ils? LKS CiUKRllIERS, lui monlranl leurs .or;... Tu les vois. DAVID, Dieu vengeur, qu'ai-je vu ! SAl I., sp Miiininiil. Je reconnais la voix ! Exécrable rival, dans les demeures sombres Ta voix me poursuit donc jusque parmi les ombres? DAVID, l.Irnranl.s.ir .Inn.UlMi,. .Ml! j'ai \ainru trop lard! Ah! malhoureux enfant! SAUL. Kl mon dernier regard voit David triomphant! (Il «ipire.i il meurt! SAUL. 437 LES GUERRIERS. D.VVID. ■ Malheureux roi! je triomphe, et tu tombes! Versons, au Heu de pleurs, du sang sur ces deux tombes! Jonathas ! en quel deuil mon triomphe est changé ! Mais nous te pleurerons quand tu seras vengé. FIN DE Sa'i L, TRAGÉDIE BIBLIQUE ÉCRITE E.N 1818 I i CHANT DU SACRE LA VEILLE DES ARMES I L"auleur, en voulant porter aux pieds du roi ce faible tribut de ses sentiments pour un prin(;e dont le règne est l'aurore du bonheur de la France, n'a pas cru devoir s'astreindre scrupu- leusement aux formes modernes du sacre, formes que l'état pré- sent de notre monarchie modiOera peut-être encore. Il en a em- prunté les principaux traits aux cérémonies guerrières qui, dans les temps chevaleresques, accompagnaient cette auguste consé- cration. 1 lu 2'.) \ < t CHANT DU SACRE LA VEILLE DES ARMES Oiietiir iii clii'lius ejiis iii.-t:ti« et abuiiiiantin picis. La nuit couvre de Reims T antique cathédrale ' ; Mille flambeaux semant la voûte triomphale, De colonne en colonne et d'arceaux en arceaux. Étendent sur la nef leurs lumineux réseaux, Et, se réfléchissant sur le bronze ou la pierre. Font serpenter au loin des ruisseaux de lumière. De soie et de velours les parvis sont tendus : Les écussons royaux aux piliers suspendus. Flottant par intervalle au soufllc de la brise. Font de soixante rois ondoyer la devise. V'ii CHANT nu SACRE. L'autel est ombragé d'ariiies et cF étendards; Ceux (jue la Palestine a vus sur ses remparts, r.cux qu'enleva Philippe aux plaines de Bovines, Et ceux qui d'Orléans sauvèrent les ruines. Ce panache d'Ivry que fit flotter un roi, Ceux ([ue ravit Gondé sous les feux de Rocroi, Ceux enfin qui, guidant les fils de la victoire. Du Tage au Rorysthènc ont poi-té notre gloire, El n'ont rien rapporté de Vienne et d'Austerlitz Que cent noms immortels sur leurs lambeaux éciits! Noirs, souillés, mutilés, teints de sang et de poudre. Déchirés par le sabre ou percés par la foudre, Pendant du haut des murs, entre leurs plis mouvants De ce dôme sonore emprisonnent les vents, Et semblent murmurer, en roulant sur leur lance : « Voilà l'ombre qui sied au front d'un roi de France! » Le temple est vide encore : aux marches de l'autel. Un pontife vêtu de l'éphod solennel Semble attendre le jour, l'heure, l'instant suprême Par la voix de l'airain frappé dans le ciel même : Cent lévites, couverts de vêtements sacrés. Du brillant sanctuaire entourent les degrés; Le regard suit au loin leurs onduleuses files; Debout, l'œil attentif, en silence, immobiles, Ils tiennent d'une main les encensoirs flottants; L'autre, pressant la chaîne aux anneaux éclatants. Semble prête à lancer vers la voûte enflammée L'urne où déjà l'encens monte en flots de fumée. On n'entend aucun bruit sous les divins arceaux , Ou'un léf^^cr cliquetis de fer dans les fai!=ceaux, chànt du sacre. 44: Ou le tintement sourd des gothiques armures Qui jettent par moments d'aigres et longs murmures. L'ombre déjà blanchit; tout est prêt; qu'attend-on? Entendez-vous là-haut rouler ce vaste son, Qui, comme un bruit des vents dans des forets plaintives. Gronde avec majesté d'ogives en ogives, Par les sacrés échos répété douze fois, Du dôme harmonieux fait vibrer les parois, Et, tandis qu'à ses coups la voûte tremble encore. Semble sortir du marbre et rendre l'air sonore? C'est l'airain de la tour qui murmure minuit : Minuit! l'heure sacrée!... Ecoutez! A ce bruit, Les lourds battants d'airain, brisant leurs gonds antiques. Ouvrent du temple saint les immenses portiques; On entend au dehors l'acier heurter l'acier, Le marbre frissonner sous le fer du coursier, Ou les pas des guerriers, dont le bruit monotone Ébranle, à temps égaux, le caveau qui résonne. Cent chevaliers couverts de l'éclatant cimier Entrent. Quel est celui qui marche le premier? Son port majestueux sur la foule s'élève ; L'or fait étinceler le pommeau de son glaive: Flottante à son côté, son écharpe à longs plis Balaye en retombant les marches du parvis: De longs éperons d'or embrassent sa chaussure. Et sur l'écu royal qui couvre son armure, Du sanctuaire en feu tout l'éclat reflété Jette au loin sur ses pas des gerbes de clarté. De son casque superbe il lève la visière; Son panache éclatant flotte et penche en arrière, Et laisse contempler au regard enchanté D'un front mâle et serein la douce dignité. m\ CHANT Dl SACRE. ('onimc un sommet batlu des coups de la lempèlc, Dont les neiges craiitomnc ont parsemé le laîlc, Avant les jours d'hiver déjà ses cheveux blancs Ont empreint sur ce front la sainteté des ans, Et leur boucle d'argent, qui s'écliappe avec grâce, A son panache blanc se confond et s'enlace : Son œil superbe et doux brille d'un sombre azur; Son regard élevé, mais franc, sincère et pur. Lançant sous sa visière un long rayon de flamme. Semble à chaque coup d'œil communiquer son àmc : Dans ce regard sévère et clément à la fois, La nature avant l'homme avait écrit ses droits; Il semble accoutumé dès sa première aurore A regarder d'en haut un peuple qui l'implore; Sa bouche, que relève une mâle fierté. Imprime à son visage un air de majesté; Mais sa lèvre entr' ouverte , où la grâce respire, Tempère à chaque instant l'elTroi par un sourire; Et cette main, qu'il ouvre et qu'il tend comme Henri, Tout annonce le Roi!... La nef tremble à ce cri: Mais d'un geste à la foule il impose silence, Va d'un pas recueilli vers l'autel il s'avance. D'où viens-tu? * 1, ARClIliVJîQUIi. i.E '101. De l'exil. L'ARCimviiQlJli:. (Ju'apportes-tu CHANT DU SACRE. 447 LE r.oi. Mon nom. t'ARCllEVÊQUH. Quel est ce nom sacré? LE ROI. Charles dix et Bourbon, l'archevêque. Que viens-tu demander? le roi. Le sceptre et la couronne. l'arcaevêque. Au nom de qui? LE ROI. Du Dieu qui les ôte et les donne L archevêque. Pourquoi? 44î< CHANT Dl SACRE. i.i'; i;oi. Pour imprimer à mon nom, à mes droits. Le sceau majestueux du Dieu qui fait les rois ! 1. AUCIlKVliQlJÎ!:. Connais-tu les devoirs que ce lili'o l'impose? Oses-tu les jurer? m: roi. (jue Dieu m'aide, et je l'ose. i.'Ar.ciiiîiVKQUi;. Ouels sont-ils? l.K «OJ. I*roclamer et défendre la loi, liécompenser, punir, vivre et mourir en l'oi! Aimer et gouverner comme un pasteur fidèle (le saint troupeau que Dieu confie à ma tutelle, VArc de mes sujets le ])ère et le vengeur! i;.ui(;iii;vKOLJ:. Où les as-lu trouvés, ces devoirs? Lii r.oî. Dans mon cœur! CHANT DU SACRE. 449 Mon Iront connut le poids de ces grandeurs humaines, Et c'est la royauté qui coule dans mes veines! l'archevkqle. Où sont les saints garants de tes serments? LE ROI. Aux cieux! Les mânes couronnés de mes soixante aïeux : Ce Charles qui fonda des ruines de Rome Un empire trop grand pour l'âme d'un autre homme; Ces princes tour à tour redoutés et chéris, Ces Louis, ces François, ces généreux He.nris; Et si de ces héros tu récuses la gloire. J'en ai d'autres encore en qui le ciel peut croire ! l'archevêque. Où sont-ils, ces témoins des paroles des rois-? Où sont tes douze pairs? LE ROI , montrant les douze pairs. Pontife, tu les vois. •.'.iRCHEVÊQUE. Nomme-les. LE Ror. Reggio! Ce nom, à son aurore. Du saint vernis des temps n'est pas couvert encore ; ŒDVR, COMPI..— IT', 29 450 CHANT Dl SACilE. Mais SCS litres cV honneur sont partout déroulés: Regarde avec respect ses membres mutiles ! Ce nom, comme les noms des Dunois, des Xaintraillcs. A germé tout à coup sur vingt champs de batailles : J'aime mieux, pour orner le bandeau qui me ceint. Un grand nom qui surgit qu'un vieux nom qui s'éteint I l'archevêque. Quel est ce maréchal qui d'une main frappée Cherche en vain à presser le pommeau d'une épéc? L'étoile des héros étincelle sur lui, Et son bâton d'azur semble être son appui. LE ROI. C'est le second Bayard! c'est Victor! c'est Bellune! Plus brave que son nom , plus grand que sa fortune ! Partout où la patrie a des coups à pleurer, Son corps, rempart vivant, est là pour les parer, Et, fidèle au malheur encor plus qu'à la gloire, Ses revers ont toujours l'éclat d'une victoire! l'archevêque. Et celui qui soutient de son bras triomphant Les pas tremblants encor de ce royal enfant, Et qui d'un œil de père, en regardant son maître, Semble dire en son cœur: «C'est moi qui l'ai vu naître! » Quel est-il? \.\L ROI. Un soldat : le nom d'ALRUFÉRA Illustre encor celui que l'Espagne pleura CHANT DU SACHE. 451 Quand, brisant dans Madrid le joug de la victoire, Pour unique dépouille il rapporta sa gloire! Sauveur du beau pays qu'il avait combattu, Il a ravi son nom... mais c'est par sa vertu I l'archevêque. Mais quel est ce vieillard? Sa blanche chevelure Couvre à flocons d'argent l'acier de son armure; Par la trace des ans son front paraît terni... LE ROL C'est Moncey! des combats le bruit l'a rajeuni. Malgré ses traits flétris sous les glaces de l'âge, Les camps l'ont reconnu... mais c'est à son courage. Comme un soldat d'hier il marcha pour son roi. Il serait mort pour lui! qu'il vieillisse pour moi! L" VRCHEVÊQUE. Et celui qui, brillant d'un long reflet de gloire...? LE Ror. La Trémocille! l'archevêque. Il suffit : ce nom vaut une histoire ! Et celui qui, le front sur le marbre incliné, Aux degrés de l'autel humblement prosterné, Les mains jointes, les yeux fixes comme la pierre. Semble exhaler pour toi sa fervente prière. Quel est ce chevalier chrétien? 452 CHANT DU SACRE. LK ElOI. MOMMOllENCV. :/AaCHEVÊQUK. L'œil, s'il n'y brillait pas, le chercherait ici! LK ROI. Servant le même Dieu, fidèle au même maître, Ses aïeux, à ces traits, pourraient le reconnaître; Modèle du sujet, du héros, du chrétien. Son nom de siècle en siècle est un écho du mien ; Et partout où la France a besoin de son glaive. Ou le roi d'un ami, Mommgre.ncy se lève. i.'archevêqle. (^e guerrier (jui soutient l'étoile des guerriers, Oii l'image d'Henri brille entre des lauriers? LE ROI. Macdonald! Des héros le juge et le modèle, Sous un nom étranger il porte un cœur fidèle; Dans nos sanglants revers, moderne Xénophon, l.a France et l'avenir ont adopté son nom. Et son bras, dans les champs d'Arcole et d'ibérie. En sauvant les Français a conquis sa patrie! I. ARCUEVÊQL'E. Ce sage revêtu de la toge à longs plis CHANT DU SACRE. 453 Où l'on voit enlacés des cyprès et des lis, Et qui tient dans ses mains ton glaive et ta balance? LE uoi. Arrête! ce nom seul fait incliner la France! C'est Desèze! C'est lui dont l'éloquente voix S'éleva pour sauver le pur sang de ses rois. Quand aux fers des bourreaux , impatients du crime , Disputant sans espoir la royale victime, Il fallait un martyr pour défendre un Bourbon, Lui seul de ce grand meurtre a lavé son beau nom. Louis à l'avenir a légué sa mémoire, Et ces deux noms unis sont scellés dans l'histoire! l'archevêque. Et ce preux chevalier qui sur l'écu d'airain Porte au milieu des lis la croix du pèlerin, Et dont l'œil, rayonnant de gloire et de génie, Contemple du passé la pompe rajeunie? LE ROL CHATEAUBRLA.ND ! Gc nom à tous les temps répond : L'avenir au passé dans son cœur se confond; Et la France des preux et la France nouvelle Unissent sur son front leur gloire fraternelle. Soutien de la Couronne et de la Liberté, Il lègue un double titre à la postérité; Et, pour briser naguère une force usurpée, La plume entre ses mains nous valut une épée! l'archevêque. Nomme encor ce vieillard qui de pleurs inondé.... 454 CHANT DU SACHE. I.K ROI. Ne m'interroge pas! c'est le dernier Co.ndé!!! 11 pleure un fils absent : ne troublons pas ses larmes! I. VRCIIEVEQLE. Et ce prince appuyé sur ses brillantes armes, Qui, les yeux attachés sur ce groupe d'enfants, Contemple avec orgueil cet espoir? LE ROI. D'Orléans! Ce grand nom est couvert du pardon de mon frère Le fils a racheté les crimes de son père! Et, comme les rejets d'un arbre encor fécond, Sept rameaux ont caché les blessures du tronc! l'archevêque. Nomme enfin ce héros, dont la tête inclinée Semble porter le poids de tant de destinée, Et dont le front chargé de palmes... le roi. C'est mon fils! L ARCHEVEQUE. Qu'a-t-il fait pour ce nom? CHANT DU SACRE. 455 LE uor. Demandez à Cadix! L ARCHEVEQUE. Il suffit : ces témoins répondent de ta vie! Tout siècle les verrait avec un œil d'envie. Charles ! réjouis-toi ! Lequel de tes aïeux A pu citer jamais des noms plus glorieux? Mais silence! Le Roi^ le front contre la pien-e, Murmure à demi-voix sa touchante prière, Et ses vœux, en soupirs de son cœur échappés, S'exhalent lentement à mots entrecoupés : Dieu des astres. Dieu des armées! Dieu qui conduis de l'œil les sphères enflammées! Dieu des empires, Roi des rois! Au bruit d'un peuple entier qui pousse un cri de fètc. Du bronze et de l'airain qui grondent sur ma tèlc, Voici l'heure! écoute ma voix! Errant, sans trône et sans patrie. Triste objet de pitié comme autrefois d'envie, 456 CHANT DU SACRE. J'ai mangé le pain de douleur; Et d'exil en exil traînant mon titre illustre, Je n'avais à montrer, pour conserver son lustre. Que la majesté du malheur ! Adorant tes rigueurs divines, Dans les murs d'Edimbourg j'habitai ces ruines Pleines du destin des Stuarts! Ces palais écroulés, ces tours d'herbes couvertes, Et ces portes sans gardes et ces salles désertes Sympathisaient à mes regards! Là, victime du rang suprême. Une reine voyait son sacré diadème Jouet de l'amour et du sort; Et, du haut de ces tours où triomphaient ses charmes. En regardant la mer, implorait par ses larmes L'obscurité de l'autre bord ! Que de fois sous le dôme sombre Où je cherchais sa trace, hélas! je vis cette ombre Mêler ses soupirs à ma voix, Et m'apprendre en pleurant sur quelle onde incertaine Le vent capricieux de la fortune humaine Fait flotter le destin des rois! Victime, pleurant des victimes, Trop connu du malhCTir, de ces leçons sublimes, Ilélas! je n'avais pas besoin! Quel siècle fut jamais plus fertile en ruines? CHANT DU SACRE. 457 Mon Dieu! pour contempler tes justices divines, Fallait-il regarder si loin? JN'ai-je pas vu ce diadème, Par le glaive arraché de la tête suprême, Rouler dans la poussière aux pieds des factions? De la poudre des camps relevé par la gloire, Joué, gagné, perdu, ravi par la victoire. Passer avec les nations? Hélas! sur ce sable où nous sommes, Quand tout mugit encor de ces tempêtes d'homme Qui pourrait envier ce sceptre des humains? C'est la foudre du ciel que porte un bras timide ! Qui toucherait sans crainte à cette arme perfide Près d'éclater entre nos mains? Par un ciel d'exil profanées, L'inlortune a doublé le poids de mes journées, Je descends la pente des ans; A peine si mon front, que leur souffle moissonne, Portera sans fléchir le poids de la couronne Qui va parer ces cheveux blancs! La tombe avertit ma paupière; L'espoir à son aspect retournant en arrièi'c Ferme l'avenir devant moi ! Je mourrai; de la mort l'égalité fatale Mêlera quelque jour à la cendre banale La poussière qui fut un Roi! 458 r.IIANr ])[■ SACHE. Mais ma faiblesse en vain imirniui-e; Le cri d'un peuple entier, l'ordre de la nature, Du ciel sont l'arrêt souverain! Hélas! il faut régner! Uégner'i-^iel mot suprême! Être ici-bas ton ombre! ô mon Dieu! viens toi-même Tenir le sceptre dans ma main! Que l'onction (jifon va répandre Me donne la vertu de eiaindre et de défendre Ce trône où je suis condamné! Kt (juc riuiile sacrée en coulant sur ma tête Me j)répare au combat que cette heure m'apprête, Comme un athlète couronné. Oue jamais mon œil ne sommeille! Que tes anges. Seigneur, portent à mon oreille Ces soupirs, les" remords des rois! Que mon nom luise égal sur mes vastes provinces! Que le denier du pauvre et le trésor des princes Y soient pesés du même poids! Que, s'élevant en ma présence, Les cris de Topprimé, les pleurs de l'innocence M'apportent les besoins du dernier des mortels! Que l'orphelin tremblant, que la veuve qui pleure, Près de mon trône admis, l'embrassent à toute heure Comme les marches des autels! Aux con(|uérants livre la gloire! Qu'aux cœurs de mes sujets ma paisible mémoire CHANT Di: SACRE. 15!) Ne soit qu'un tendre souvenir! Que mes fastes lieureux n'aient qu'une seule page! Que la borne posée à mon noble iiéritage Passe immobile à l'avenir! De ma race auguste patronne, Toi qui, pour les Français elïeuillant ta couronne, A leurs drapeaux prêtas tes lis, Étoile du bonheur, sois l'astre de la France, Et conserve à jamais ta bénigne influence Aux premiers soldats de ton fils! La première lueur de la naissante aui'ore, A travers les vitraux où le jour se colore, Comme l'aube obscurcit les étoiles des nuits, Fait pâlir de la nef les feux évanouis, Et la double clarté ({ui se combat dans l'ombre Se mêle, en avançant, vers la voûte moins sombre. A ce jour progressif, de ces dômes sacrés L'œil suit dans le lointain les contours éclairés, Et, de la basilique embrassant l'étendue, Découvre à ses arceaux la foule suspendue : Les tribunes, longeant les courbes des piliers, Croisent dans tous les sens leurs immenses sentiers; Sous leur poids orageux le cintre ébranlé gronde; Un long torrent de peuple à grands flots les inonde, En déborde, et couvrant les arcs, les monuments, Des dômes découpés les hauts entablements. Aux voûtes de la nef se suspend en arcades, S'enlace comme un lierre aux fûts des colonnades. 460 CHANT Dr SACRE. . hu |»;ir\is à la Irise et d'arceaux en arceaux Kn guirlandes s'allonge, ou se groupe en faisceaux, Et du i)ilier gothique embrassant^ le feuillage, Tremble comme Tafantlie au soulïle de l'orage. De ses noirs fondements jusqu'au sommet des tours, l'n peuple tout entier tapissant ses contours, Pressé comme les Ilots de l'antique poussière, Semble avoir du vieux temple animé chaque pierre. L"airain guerrier résonne, et les enfants de Mars Se rangent en silence autour des étendards : Là, ceux dont le regard, que le calcul éclaire, Dans les champs des combats est l'aigle du tonnerre, Et qui, d'une étincelle échappée à leurs mains, Font voler à son but la foudre des humains; Là, ces géants coiffés de sauvages crinières, Dont le poil fauve et noir tombe sur leurs paupières ; Ces centaures brillants, messagers des combats. Qui traînent à grand bruit leurs sabres sur leurs pas; Et ceux qui font rouler sur le 1er d'une lance Ces légers étendards oi^i la mort se balance; Et ceux dont au soleil les casques éclatants Font ondoyer encor des panaches flottants; Et ceux qui, revêtus de leurs brillantes mailles. N'offrent qu'un mur d'airain sur leur front de batailles, Et dont le pied, ])rcssant les flancs d'un noir coursier. Résonne sur le sol comme un faisceau d'acier! DiGEO\, Valin, Maubolrg, dirigent leurs courages! Enfants des deux drapeaux, biaves d(; tous les âges, Ces preux aut(tur du Uoi n'ont qu'im cœur et qu'un rang; L'Espagne a conlondu les couleurs dans leur sang. CHANT DU SACRE. 4GÎ Là ce jeune guerrier, ce débris de deux guerres, Dont le laurier s'unit au cyprès de deux frères; Ce sang, dont la Vendée a vu couler les flots, N'épuisa point en lui la source des héros *. Mais, sur ce dais où l'or en longs plis se déroule, Quel populaire instinct porte l'œil de la foule? Ah! c'est le sang royal qui parle aux cœurs français!... A l'ombre de ces lis entourés de cyprès, Dont la tige sur elle avec amour s'incline. Voilà l'ange exilé! la royale Orpheline! Son front, que des bourreaux le fer a respecté. Garde de la douleur la noble majesté! On sent à son aspect que, digne de sa mère, Le ciel lui fit une âme égale à sa misère! A ces pompes du trône on la ramène en vain ; Son cœur désenchanté les goûte avec dédain, Et peut-être, au moment où son œil les contemple, Son âme, s'envolant dans les cachots du Temple, Rêve aux jours de l'enfance où, sous ces murs affreux, Que la main des bourreaux obscurcissait pour eux , Un rayon de soleil à travers une grille Était la seule pompe, hélas! de sa famille!... La veuve de Berri des couleurs du cercueil Couvre son front mêlé d'espérance et de deuil ; Ses longs cheveux épars, se dénouant d'eux-même, Semblent en retombant pleurer un diadème ; * l,a Rochi'jiKiuelein. 46l> chant \M sache. Son n\ii;arcl, cnicuraiit le faste de ers lieiiA , '^'y voit qu'un vide iminonse et se reporte aux deux. Hélas! le sort, xnilanl l'aube de sa jeunesse, A brisé dans ses niains un»^ coupe d'ivresse... Le coup qu'elle a reçu répond à tous les cœurs; Ses yeux dans tous les yeux ont retrouvé des pleurs. Là, deux sœurs, un exil, un palais les rassemble *; Lt' malheur, la pitié, les invoquent ensemble; Le siècle les admire et ne les connaît pas, Le ])auvre les regarde et les noinme tout bas. Mais quel est cet entant? L'avenir de la France ! ! ! La promesse de Dieu qu'embellit l'espérance! De ses seuls cheveux blonds son beau front couronné Ignore encor le rang pour lequel il est né ; Libre encor des liens de sa haute origine, il sourit au fardeau que le temps lui destine; Ses yeux bleus, où le ciel aime à se retracer, Sur ces pompes du sort s'égarent sans penser; Il ne voit que l'éclat dont le trône étincelle, La vapeur de l'encens qui monte ou qui ruisselle, Le reflet des flambeaux répété dans l'acier. Ou Taigrette flottant sur le front du guerrier; Et, comme Astyanax dans les bras de sa mère, Sa main touche en jouant aux armes de son père. Le ])ontife est debout : le nard aux flots dorés Semble prêt h couler de ses doigts consacrés; CiiAfu.ii, à genoux, baissant son front sans diadème, Oiïre SCS blancs cheveux aux parfums du saint chrême ; * I.I.. AA. HM. madame la duclicsse et mademoiselle d'OrK-ans. CHANT DU SACRE. 46:i Et le prêtre, élevant la couronne en ses mains ^, Parle au nom du seul maître, au maître des humains.. L ARCHEVKQUi'. Si nous étions encore aux siècles des miracles '', La colombe, planant sur les saints tabernacles, T'apporterait du ciel le chrême de Clovis, La main d'un ange même, aux accents d'un prophète, Poserait sur ta tête La couronne de lis! Mais ces temps ne sont plus! le passé les emporte; Le ciel parle à la teri'e une langue plus forte : C'est la seule raison qui l'explique à la foi ! Les grands événements, voilà les grands prestiges! Tu cherches les prodiges! Le prodige, c'est Toi! C'est toi! Roi sans sujets! fugitif sans asile! Proscrit du trône ingrat d'où l'Europe t'exile, Tu vas traîner des rois l'indélébile affront, Puis, au moment marqué par le Maître suprême Tu reviens : de lui-même Le bandeau ceint ton fi'ont ! Tu reviens sans trésors, sans alliés, sans armes. Toucher du pied royal cette terre de larmes. U;i en A. NT Dl SACHE. C.t'ltc terre de feu qui dévorait les rois! (^omme un honmie trompé par un funeste rêve, On s'éveille, on se lève. On s'élance à ta voix! . Le voilà! " Ce seul mot a reconquis la France; Tout un peuple animé de zèle et d'espérance T«' p(»rte dans ses bras au palais paternel! Le soldat, des Germains ne compte plus le nombre, Et se désarme à l'ombre De ton trône éternel! Les \illes à tes pieds portent leurs clefs fidèles; Les soldats étonnés, ouvrant leurs citadelles. Comme un salut royal déchargent leur canon! Ces drapeaux que jamais, aux éclairs de la poudre, Me fit baisser la foudre, S'abaissent à ton nom! La Liberté superbe, à ta voix assouplie, Sous un joug volontaire avec amour se plie; Tu souris au pardon sur la force appuyé! Trente ans comme un seul jour s'effacent : la mémoire Se souvient de la gloire; Le crime est oublié! il semble ([u un esprit de grâce et d'harmonie Aux cœurs de tes sujets ait soufflé ton génie ! Que du royal martyr le vœu soit accompli! Kt (jue chaque Français, comme une sainte offrande, CHANT DU SACRE. 465 Devant tes pas répande L'espérance et l'oubli ! Viens donc ! élu du ciel que sa force accompagne ; Viens! Par la majesté du divin Charlemagne! La valeur de Martel ou du soldat d'Ivri! Par la vertu du roi qu'a couronné TÉglise! Par la noble franchise Du quatrième Henri ! Par les brillants surnoms de cette race auguste : Le Sage, le Vainqueur, le Bon, le Saint, le Juste; La grâce de Philippe ou de François premier! Par l'éclat de ce roi dont l'ascendant suprême Imposa son nom même Au siècle tout entier ! Par ce martyr des rois qui mourut pour nos crimes! Par le sang consacré de cent mille victimes! Par ce pacte éternel qui rajeunit tes droits! Par le nom de Celui dont tout sceptre relève! Par l'amour qui t'élève Sur ce nouveau pavois! Au nom du seul puissant, du seul saint, du seul sage, Dont l'espace et le temps sont le vaste héritage. Dont le regard s'étend à tout siècle , à tout lieu ! Sois sacré! tu deviens, par ce royal mystère^, Le maître de la terre, Le serviteur de Dieu! «Euvn. coxiri.. — m. :î'> 466 CHANT DU SACRE. Riî'gnc ! juge ! combats ! a engc ! punis ! pardonne ! Conduis! règle! soutiens! commande! impose! ordonne! Par la vertu d'en haut sois couronné! sois Roi! Ta main dès cet instant peut frapi^er, peut absoudre ; Ton regard est la foudi'e, Ta ])arole est la loi! Il dit : un seul cri part; l'air mugit, l'airain sonne! Les drapeaux déroulés flottent ; le canon tonne , Et l'ardent Tk Deum, ce cantique des rois, S'élance d'un seul cœur et de cent mille voix! « Ouc la terre et les cieux et les mers te bénissent! Qu'au chœur de chérubins les séraphins s'unissent Pour célébrer ici le Dieu qui nous sauva. Saint, Saint, Saint est son nom! Que la foudre le gronde. Que le vent le murmure, et l'abîme réponde : Jéhova! Jéhova! * Qu'il gouverne à jamais son antique héritage! Sur les fils de nos fils qu'il règne d'âge en âge; Nos cris l'ont invoqué! sa foudre a répondu! De toute majesté c'est la source et le père! Le i)eui)le qui l'attend, le siècle qui l'espère IN'est jamais confondu! CHANT DU SACRE. 46. » Qu'il est rare, ô mon Dieu, que ta main nous accorde Ces temps, ces temps de grâce et de miséricorde, Oi^i l'homme peut jeter ce long cri de bonheur, Sans qu'un soupir, faussant le cantique d'ivresse, Vienne en secret mêler aux concerts d'allégresse L'accent d'une douleur! » Mais béni soit mon temps! le monde enfin respire; De trente ans de combats le bruit lointain expire : La terre enfante l'homme, et n'a plus soif de sang! Sur deux mondes unis qui marchent en silence On n'entend que la voix de la reconnaissance Qui monte et redescend. » Les rois ont recouvré leur divin héritage ; Les peuples, leur rendant un légitime hommage, Ont placé dans leurs mains le sceptre de la loi ! Elle brille à leurs yeux comme un céleste phare, Et dans le temple en deuil leur piété répare Les débris de la foi. y> L'homme voit sur les mers ses flottes mutuelles A tous les vents du ciel ouvrir leurs libres ailes; La sueur de son front ne germe que pour lui; Et partout dans la loi, sourde comme la pierre, Le crime a son vengeur, la force sa barrière. Le faible son appui. » En génie, en vertu, la terre encor féconde Ouvre un champ sans limite à l'avenir du monde: 4G8 CHANT DU SACRE. Chaque jour à son siècle ap])orte sou trésor; Les éléments soumis ont reconnu leur maître, Et l'univers vieilli rêve qu'il voit renaître Un dernier âge d'or... » Et toi qui, relevant les débris des couronnes, Viens du trône des rois embrasser les colonnes, Hè\e des nations, qu'ont vu passer nos yeux, Oue le Christ après lui lit descendre des cieux! Libertk! dont la Grèce a salué l'aurore. Que d'un berceau de feu ce siècle vit éclore, Viens, le front incliné sous le sceptre des rois. Poser le sceau du peuple au livre de nos lois! Troj) longtemps l'univers, lassé de tes orages. Aux mains des factions vit flotter tes images; Trop longtemps l'imposture, usurpant ton beau nom, De ses honteux excès fit rougir la raison: L'univers cependant, effrayé de lui-môme, T'invoque et te maudit, t'adore et te blasphème, Et, comme un nouveau culte aux humains inspiré. Ne peut fixer encor ton symbole sacré ! Je ne sais quel instinct, plus sûr que l'espérance. Présage aux nations ton règne qui s'avance: L'opprimé, l'oppresseur, te révent à la fois; Un i)r'uple enseveli ressuscite à ta voix; Li; voile qui des lois couvrait le sanctuaire Se déchire, et le jour de tes yeux les éclaire. Les partis lriomj)hants, si prompts à t'oublier, Se couvrent de ton nom comme d'un bouclier; Cliaque peuple à son tour te possède ou t'espère. Et ton œil cherche en vain un tyran sur la terre! CHANT DU SACRE. 409 Viens donc! viens, il est temps, tardive LiMRTii! Que ton nom incertain, par le ciel adopté, Avec la vérité, la force et la justice, Du palais de nos rois orne le frontispice! Que ton nom soit scellé dans les vieux fondements De ce temple où la foi veille sur leurs serments; Et que l'huile, en coulant sur leur saint diadème, Retombe sur ton front et te sacre toi-même! Règne! mais souviens-toi que l'illustre exilé Par qui dans ces climats ton deuil fut consolé, Précurseur couronné que salua la France, T'annonça dans nos maux comme une autre espérance, Et, t' arrachant lui seul aux mains des factions, Fit de tes fers brisés l'ancre des nations; Que ton ombre, régnant sur un peuple en délire. Et victime bientôt des fureurs qu'elle inspire, Fit au monde étonné regretter les tyrans; Que tu fus enchaînée au char des conquérants; Que ton pied traîne en cor les fers de la victoire A ces anneaux dorés qu'avait rivés la gloire. Et que pour affermir et consacrer tes droits. Ton temple le plus sûr est le cœur des bons rois! NOTES DU CHANT DU SACRE NOTE PREMIÈRE (Page 441) La nuit couvre de Reims l'antique cathédrale. Nous n'ajouterons point de nouvelles dissertations à tant d'au- tres sur les prétentions de l'église de Reims au droit exclusif de sacrer les successeurs de Cloviset de saint Louis. Nous nous bor- nerons à faire observer que cette métropole n"a pour elle qu'un long usage qui, toutes choses égales dans la balance des considé- rations, doit lui mériter la préférence, mais qui ne saurait, d'au- cune manière, lier le monarque dans son choix. « La faction des Guise, dit le président de Tliou, avait proposé aux états de Blois de reconnaître en principe que nul ne pourrait être réputé roi légitime de France s'il n'avait été sacré à Reims; mais le conseil du roi, rejetant cette proposition insidieuse, dé- cida qu'il serait injuste que l'héritier naturel et légitime de la couronne n'eût pas la liberté de se faire couronner où il jugerait à propos; et parmi plusieurs exemples de rois qui n'avaient pas été sacrés à Reims, on cita celui de Louis le Gros, dont le sacre se fit à Orléans. » On a plusieurs exemples de sacres qui ne se sont point accom- 474 NOTES. plis ;\ Reims, ooux ilo Popin, Charleniagnc, Carlornan, Raoul, Louis IV, Robert (suivant quelques historiens), Louis VI, Char- les VII (la prenli^re fois) et Henri IV ; non compris les sacres appliqués à des titres autres que celui de roi de France. NOTE DEUXIÈME (Page i'H) I. ARCHEVEQCE. OÙ sont-ils, ces témoins des paroles des rois? Où sont tes douze pairs? l.E ROI j montrant les douze pairs. Pontife, tu les vois! Froissait appelle les douze pairs frères du royaume. Les douze pairs étaient connus avant Louis VII; on lit dans le roman d'Alexandre : Élisez douze pairs qui soyent compagnons, Qui mènent vos batailles en grande dévotion. D'autres romanciers du même temps, entre autres Gauthier d'Avignon, supposent que les douze pairs se trouvèrent à la ba- taille de Roncevaux. Louis le Jeune, dit Du Tillet dans son Re- cueil des rois de France, créa les douze pairs pour le sacre et le couronnement de l'Iiilippc-Auguste, et pour juger avec le roi les grandes causes au parlement. Les premiers pairs royaux, érigés en tribunal national, concouraient à Tinauguration, non-seule- 476 NOTES. ment pour recevoir le serment du monarque et constater l'acte de prise de possession du trône, mais encore pour juger les opposi- tions qui auraient pu s'élever parmi les dissidents. On trouve des traces de ces fonctions primitives dans un ancien Fornmlaire, sui- vant lequel le roi, la veille de son sacre, se montrait au peuple accompagné des pairs, qui faisaient entendre ces paroles : « Vées- cy votre roi que nous, pairs de France, couronnons à roi et à souverain seigneur, et s'il y a âme qui le veuille contredire, nous sommes ici pour en faire droit, et sera au jour de demain consa- cré par la grâce du Saint-Esprit, se par vous n'est contredit. » NOTE TROISIÈME (Page 161) Et le prêtre, élevant la couronne en ses mains, Parle, au nom du seul maître, au maître des humains. L'inauguration de Pépin , cette solennité qu'on s'est habitué à considérer comme te principe et le fondement du sacre, ne con- stitue qu'un contrat politique béni par lÉglise , suivant un usage dès lors établi dans FOrient ; et l'onction sainte un rite commun à tous les fidèles, dont les ministres de la religion avaient fait une application plus particulière et plus solennelle à la cérémonie du couronnement, qui n'emportait aucune idée de servitude ou de dépendance temporelle envers l'Église, qui laissait agir dans toute sa plénitude, ou la force du droit de naissance, ou le vœu spontané de la nation. Nous en trouvons une preuve dans le couronnement de Louis le Débonnaire, qui, sans la participation de l'Église et n'obéissant qu'à l'ordre absolu de Charlemagne, prit la couronne que son père avait fait placer sur l'autel, et se la mit lui-même sur la tète en présence des états. Tum jussit pater ut, propriis manibus coro- nam quœ eral super altare, elemret, et capiti suo imponerct (The- gan, (îestes de Louis le Débonnaire); sur quoi Fauchet fait cette réflexion : « Est à noter, en cet acte solennel, que Charlemagne, 478 NOTES. déclarant son fils empereur, n'nltctul ])oint le C()nsenteme7it de personne là-dessHii , ni ne voulut qu'autre que son fils touchât à la couronne impériale pour la mettre sur son chef; chose qui semble n'avoir été faite par cet empereur sans mystère, et pour montrer quil ne tenoit l'empire que de Dieu seul, etc. » Cela est juste quanta l'Église, et rien n'est plus propre à démontrer Tindépen- dance de l'empereur; mais l'observation n'est pas exacte à l'égard dclaffranchissement politique ou civil : car, quelques jours avant la cérémonie, Charlemagne assembla les grands du royaume, et leur demanda à tous, depuis le premier jusqu'au dernier, s'ils avaient pour agréable qu'il déclarât son fils empereur : Intewo- (jans omncs, a maximo usqiiead minimum, si cis placuisset, etc. NOTE QUATRIÈME (Page 461 ) Si nous étions encore au siècle des miracles, La colombe, planant sur les saints tabernacles, T'apporterait du ciel le chrême de Clovis ... L'onction administrée à Clovis a-t-elle été une inauguration? Ce prince a-t-il été oint comme roi ou comme chrétien ? Tout an- nonce que le sacre de Clovis, comme roi, est un fait supposé qui n'aurait d'autre fondement que le miracle de la sainte ampoule. Les auteurs des deux derniers siècles qui ont écrit notre histoire générale avec quelque discernement n'ont vu dans l'acte de la conversion de Clovis qu'une cérémonie sacramentelle qui fit d'un roi idolâtre un monarque chrétien, Grégoire de Tours , qui rap- porte les, circonstances caractéristiques de cette solennité royale, ne dit pas un mot d'où l'on puisse inférer qu'il y fut question de toute autre chose que du baptême et de la confirmation de Clovis. Voici son récit : « Saint Rémi fait préparer un lavoir suivant le mode de l'immersion. Le baptistère est dis[)0sé et muni de baume ' 1 L'usage du baume et do l'huile parfumée dans les cérémonies de la religion tire son principe de la plus haute antiquité. La manière de le préparer a fourni le sujet d'un traité volumineux 480 . NOTES. par son ordre. L'éplise est tapissée de courtines blanches, c'est la couleur des catéchumènes et la décoration propre à la cérémonie du baptême. Nouveau Constantin, Clovis se présente au bain sacré pour y laver sa vieille lèpre et se purifier dans la source de vie. Là, confessant un Dieu en trois personnes, il est baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit; il reçoit enfin l'onction du chrême, et plus de trois mille Français participent aux mêmes sacrements dans la même cérémonie. » Les traditions reçues veulent que la sainte ampoule ait été cn- vovée ou même apportée par le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe; et néanmoins elle est annoncée pour la première fois dans le Formulaire de Louis le Jeune comme un présent de la Divinité transmis par un ange. L'apparition de Tange est attestée j)ar Godefroy de Viterbe et Guillaume le Breton. On la retrouve encore dans la Chronique de Morigny, et dans une éi)itapho de Clovis (lue Ton conserva longtemps à Sainte-Geneviève de Paris comme un monument de la plus haute antiquité : mais la descente de la colombe est plus conforme au rituel du sacre et à l'opinion dominante, qui paraît se fonder sur les leçons d'Aymoin etd'An- tonin, d'après le texte d'IIincmar. Nous remarquerons que le grand sceau, le plus ancien de l'ab- baye de Saint-lkmi, portail pour effigie une colombe tenant en son bec une ampoule, ce qui prouverait que la version suivie dans le rituel est d'accord avec les premières traditions. Mais comment se fait-il que la tradition la plus ancienne de ce prodige ne se concilie |)oint avec le plus ancien des règlements qui l'ont consacré? Pourquoi le sceau de Saint-Rcmi nous in- dique-t-il une colombe, et le Formulaire de Louis VII un ange? D'où vient cette différcnce'essentielle entre des témoignages du dont parlent le patriarche fiabrit'l et Abulbircat, cités par dom (Ihar- d(in dans son ///.s oirc des Sacrements. Outre l'huile et le suc de di- verses fleurs, dit aussi dom Vort, Céréin., t. I, les (irecs y l'ont entrer la cannelle, l'ambre, le girofle, l'af/jès, la muscade, le spinanardi, la rose rouge d'Irak, et beaucoup d'autres ilrogues (jui ne sont pas spé- cifiées. Le même auteurajoutc que l'Rucologe des Grecs indique jus- qu'à quarante espèces d'aromat: Largeur du col, sept lignes et demie. * Notamment Froissart, qui dit, en parlant du sacre de Charles VI, que la sainte ampoule n'éprouvait aucune diminution. 2 Elle décroît à mesure qu'on en prend, telles sont les propres pj- roles de Marlut, docteur en théologie et grand prieur de Saint-Nicaise de Reims. ŒC VR. COill'I.. — Il I. 31 482 NOTES. 1. Lari.'fur du tond, un pouce une ligne. u Longueur de la colombe , hormis lu tète , deux pouces huit ligues. » Elle est posée sur un cadre d'argent doré, à l'exception de la plaque où elle est assise , qui est dor semé de pierreries. » Longueur du cadre, trois pouces dix lignes et demie. a Largeur du cadre, trois pouces. j) Longueur de Taiguille d'or avec quoi on prend l'onction , deux pouces onze lignes. » Le cadre est sur une assiette d'argent doré, semée de pierre- ries, dont la bordure est d'or, ouest attachée une chaîne d'argent que Tabbé met à son cou lorsqu'on la porte en la grande église pour le sacre... t La profanation de la sainte ampoule, brisée par des mains im- jues, n'en fut pas moins un véritable scandale aux yeux des gens de bien. La sainteté du dépôt, le souvenir de sa destination, l'es- pèce de culte que lui vouèrent un« longue suite de rois, cette au- réole divine dont la ceignit la pieuse croyance de nos pères, tous ces antiques et religieux prestiges qui la rattachaient à la consécra- tion du premier roi chrétien, n'ont pu la soustraire aux fureurs révulutionnaires. Un peu plus tard peut-cire ils l'auraient pro- tégée contre les atteintes de l'incrédulité, en faveur du nouveau pouvoir, et la France monarchique y aurait encore et longtemps respecté l'objet de la vénération de ses princes. Il paraît que la sainte ampoule a échappé en partie à une des- truction qu'on croyait entièrement consommée. Une lettre écrite par un fonctionnaire de Reims à M. Leber l'informe de cette par- ticularité. On pourra lire cette lettre curieuse à la page 348 de son livre, savant et curieux à la fois. La note ci-bas nous a été donnée en communication, et elle est étrangère à l'ouvrage déjà cité. NOTE COMMUNIQUÉE «Le 25 janvier 1819, quinze temoinsontcomparudevantM.de Chevrièrcs, procureur du roi honoraire de Reims. M. Seraine, qui était curé de Saint-Remi de Reims, en 1793, déclara ce qui NOTES. 483 suit : « Le 17 octobre 1795, M Ilourelle, alors offîcior municipal » et premier marguillier de la paroisse de Saint-Remi, vint chez » moi et me notifia, de la part du représentant du peuple Ruhl,* » l'ordre de remettre le reliquaire contenant la sainte ampoule, « pour être brisé. Nous résolûmes, M. Hourelle et moi, ne pou- « vaut mieux faire, d'extraire de la sainte ampoule la plus grande » partie du baume qu'elle contenait. Nous nous rendîmes à )' l'église de Saint-Remi; je tirai le reliquaire du tombeau du » saint, et le transportai à la sacristie, où je l'ouvris à l'aide d'une " petite pince de fer. Je trouvai placée dans le ventre d'une co- » lombe d'or et d'argent doré, revêtue d'émail blanc, ayant le bec » et les pattes rouges, les ailes déployées, une petite fiole de » verre de couleur rougeâtre d'environ un pouce et demi de hau- » teur, bouchée avec un morceau de damas cramoisi; j'examinai » cette fiole attentivement au jour, et j'aperçus grand nombre de » coups d'aiguille aux parois du vase; alors je pris dans une » bourse de velours cramoisi, parsemée de fleurs de lis d"or, Tai- » guille qui servait, lors du sacre de nos rois, à extraire les par- » celles du baume desséché et attaché au verre; j'en détachai la » plus grande partie possible, dont je pris la plus forte, et je » remis la plus faible à M. Hourelle. » Suivent les détails des moyens employés par MM. Seraine et Hourelle pour la conservation de leur dépôt; et ce témoignage a été confirmé par les déclarations qu'ont faites les autres témoins. Ces parcelles conservées ont été remises entre les mains de M. de Coucy, dernier archevêque de Reims, qui les a réunies dans un nouveau reliquaire qui a été placé dans le tombeau de saint Rémi. Ces détails, qui ont été publiés, paraissent ne devoir laisser aucun doute sur leur authenticité et sur la vérité des faits qu'ils contiennent. 1 NOTE CINQUIÈME (Page 463) Sois sacré! tu deviens, par ce royal mystère, Le maître de la terre. Le serviteur de Dieu. A partir de la fm du quatorzième siècle, le sacre a constam- ment passé pour une cérémonie sinon indifférente, du moins in- dépendante de l'exercice de tous droits et de toutes prérogatives ultramontaines ou sociales. L'héritier du trône, saisi du titre de roi dès le ventre de sa mère, a toujours été réputé roi par la seule force et dans toute la plénitude de son droit héréditaire, sans que le défaut ou l'accomplissement de l'onction pût ni le fortifier, ni l'affaiblir, ni rien changer à l'effet de la puissance royale, avant comme après la solennité. Mais on a continué d'y respecter ce caractère auguste qu'y imprime la religion. Nous n'avons pas d'exemple qu'un roi de France ait dédaigné ou négligé de se con- former à cet antique usage, lors môme qu'il a cessé d'être un sujet d'obligation politique, jusqu'au successeur de l'infortuné Louis XVI, qui était hors d'état de se faire sacrer. Il n'est pas un de nos princes qui ne se soit fait un pieux devoir d'appeler la bé- nédiction du ciel sur les prémices de son règne , et de courber publiquement son front aux pieds du souverain maître des cm- 480 NOTES. pires et des rois. Jean Rcly, dans un de ses discours aux états de Tours, en 14S3, ox|irinie ainsi son opinion au sujet du sacre : • La vertu de l'onclion sacrée et des bénédictions sacerdotales et pontilicales qui se font en la sainte église au couronnement des rois, quand ils sont dignement venus de lui, les fait régner en paix, en joie et en prospérité, avoir longue vie, grande gloire et invincible sûreté, protection et garde de Dieu, le créateur, et des benoîts anges, de laquelle le roi est environné, défendu et gardé, etc.. » I LA CHUTE DU RHIN A LAUFEN LA CHUTE DU RHIN A LAUFEN PAYSAGE C'était aux premiers feux de la naissante aurore ; Le jour dans les vallons ne plongeait pas encore, Mais, planant dans les airs sur ses pâles rayons. Ne touchait que le ciel et les crêtes des monts. Sur les obscurs sentiers de la forêt profonde, Au roulement lointain d'un tonnerre qui gronde. J'avançais; de l'orage imitant le fracas. Le tonnerre des eaux redouble à chaque pas : Déjà, comme battus par les coups d'un orage. Les arbres ébranlés secouaient leur feuillage, 490 l-A cm TK Dr RllIX. Et les rochers, minés sur leurs vieux fondements, Épouvantaient mes yeux de leurs longs tremblements. Enfui mon pied crispé touche au bord de l'abime; Le voile humide épars sur cette liorreur sublime Tombe; je jette un cri de surprise et (reiVroi : Le fleuve tout entier s'écroule devant moi! Ah! regarde, ô mon àmo! et demeure en silence! Nature, ah! qui pourrait parler en ta présence. Quand sous ces traits divins, que ton Dieu t'a donnés, Tu te montres sans voile à nos yeux étonnés? Le poids de ta gi'andeur accable la pensée; Le cœur fuit, l'œil se trouble, et la bouche oppressée, Cherchant en vain le mot impossible à trouver, 0 Dieu! jette ton nom et ne peut l'achever. De rochers en rochers et d'abîme en abîme Il tombe, il rebondit, il retombe, il s'abîme; Les débris mugissants roulent de toutes parts; Le Rhin sur tous ses bords sème ses flots épars; De leur choc redoublé le roc gémit et fume; Le flot pulvérisé roule en flocons d'écume, Remonte, court, serpente; aux noirs flancs du rocher Semble avec ses cent bras chercher à s'accrocher, Sur les bords de l'abîme accourt, hésite encoi'c; Puis dans le goufl're ouvert, qui hurle et le dévore. Réunissant enfin tous ses flots à la fois, D'un bond majestueux tombe de tout son poids : L'abîme en retentit, l'air siflle, le sol gronde; Le goufl*re, en bouillonnant, s'enfle et revomit l'onde; Le fleuve, épouvanté, dans ses fougueux transports, Retombe sur lui-même et déchire ses bords. Et s^^mble, en pi'olongeant un lugubre murmure, De ses flots mutilés étaler la torture. LA CHUTE DU RHIN. 491 Et (l'un cours insensé s' enfuyant au hasard. En cent torrents brisés roule de toute part. Tel un temple superbe inondé par la foule, Sur ses vieux fondements tout à coup il s'écroule, Un seul cri jusqu'au ciel s'élance; tout s'enfuit; Le sol tremblant répond à cet horrible bruit; Les piliers ébranlés chancellent sur leur base ; La voûte éclate et tombe, et les murs qu'elle écrase. Roulant sur les parvis en immenses lambeaux, De leurs débris fumants enfoncent les tombeaux; Sous un nuage épais de cendre et de poussière L'astre du jour répand sa sinistre lumière; Et sur les champs voisins les décombres jetés Laissent errer au loin les yeux épouvantés! Tombe avec cette chute et rejaillis comme elle, 0 ma pauvre pensée! et plonges-y ton aile, Com.me l'oiseau du ciel qui vient en tournoyant Enivrer son regard sur ce goulTre aboyant; Puis confonds dans l'horreur d'une extase muette Ta faible voix au bruit que chaque flot lui jette, Et que Dieu, qui là-haut écoute dans sa paix L'écho majestueux des hymnes qu'il s'est faits, Distingue avec bonté ton sourd et doux murmure D'avec les mille voix de sa forte nature. Entre ces éclats d'onde et ces orgues des bois, A son accent pieux reconnaisse ta voix, Et dise , en écoutant cette lutte touchante : « Le fleuve me célèbre et l'insecte me chante ! » UNE JEUNE FILLE I UNE JEUNE FILLE Elle était dans cet âge où, près de se flétrir, Cette fleur de beauté, qu'un printemps fait mûrir, Semble inviter l'amour à cueillir ses délices Avant qu'un jour de plus effeuille ses calices; Age heureux de la grâce et de la volupté, Qui confond en un jour le printemps et l'été. La jeunesse mêlait sur ses lèvres écloses Une tendre pâleur à l'éclat de ses roses. Ses traits formés, dont l'ombre arrêtait le contour. Ses yeux bleus où, perçant et voilé tour à tour. L'astre dont le foyer est le cœur d'une femme Laissait en longs éclairs jaillir toute sa flamme; 496 UNE JEUNE FILLE. D'un sein plus arrondi les globes achevés, D'un souffle égal et pur, abaissés, élevés; Et ses cheveux flottants, dont les tresses moins blondes Jusque sur le gazon glissaient en larges ondes, Mais dont l'or brunissant, de plus de feu frappé. Ressemblait à l'épi que la faux a coupé : Tout en elle annonçait ces saisons de tempête. Ce solstice éclatant où la beauté s'arrête. * Un voile blanc, tissu du poil de ses brebis, Pressait ses chastes flancs et, glissant h longs plis. Dessinait les contours de sa taille superbe, Et venait sous ses pieds se confondre avec l'herbe. Aucun vain ornement, aucun luxe emprunté N'altérait la candeur de sa pure beauté; Dédaignant d'un faux art les trompeuses merveilles. L'opale ou le corail n'ornait pas ses oreilles, Le mbis sur son front ne dardait pas ses feux. L'or autour de son cou n'enlaçait pas ses nœuds. Et ces lourds bracelets, qu'un vain luxe idolâtre, De ses bras arrondis ne foulaient point l'albâtre : Mais sur sa blanche épaule un ramier favori Était venu chercher un amoureux abri; H ventilait son cou d'un frémissement d'aile; Et, broutant le gazon qui croissait autour d'elle, Deux agneaux, par sa voix sous ses yeux retenus. Folâtraient sur sa trace et léchaient ses pieds nus : Tels les plus doux objets qu'anima la nature Suivaient Eve en Éden et formaient sa parure. REFLEXION ^")> -^ r^ > 3 ? ^^ ^ > ^ » ) -- ^ :> ) -^ :> o • -^ ^>::^ :> . .^3 3 ' vise» :> » D 3) :> -.. ^ ■ -^-^ -'^ ^'^ ^> > 5):) 1 S^) )-X - > ■i>^ 0|> ) :> ^>^:);^ap L >)> )y> -^p y^ )^^ ^ ') D ^)>^^^ > •:> V >:) ]> > :ï)3 y > > 'ys> > >D > > > D > ^ X) ^ B ^) ^^ :^ >) :. ji( 3)^ : "^ 4J )> >;3i)j>.>,>-:>^y- 1S> ) ^ ^ ; y > j » .:> :>) 1 J 3 >^ .' )) »J> J) :>))> o:> 1. >)) ■ ->3 ^ 5». ^:> •1 3 ^ PQ 2325 Al 1860 t. 3 Lamartine, Alphonse Marie Louis de Oeuvres complètes 9 0 33 ^:> 03 33 33 J 3 PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY 33 3 ) 3> ) > J %^ %'■ ..•y^t. m